« Demain, quand la troisième guerre mondiale a commencé… »
La sécurité constitue désormais, avec le chômage, la première
préoccupation des Français : 46 % d’entre eux placent la lutte contre le
terrorisme en tête des priorités nationales. Cette prise de conscience de nos
concitoyens est légitime et cohérente. Elle est à la mesure des risques qui
pèsent aujourd’hui sur les démocraties, et en particulier sur la France, et de
l’accroissement des menaces.
L’Europe et la France ont été rattrapées par
la guerre à travers des vagues successives d’attentats, plaçant ses citoyens en
première ligne et touchant tous les aspects de la vie de la collectivité.
Toutes deux se sont révélées très insuffisamment
préparées alors que les signaux d’alertes se multipliaient.
Depuis les années 2000, les crises se sont multipliées, amplifiées et rapprochées. La crise des
migrants a brutalement fait prendre conscience à l’Europe de son impréparation et
du vide
stratégique qu’elle a laissé se constituer. Elle ne dispose ni de la capacité de maîtriser son territoire et
sa population, ni d’un dispositif de contrôle efficace de ses frontières
extérieures. En outre, l'Europe ne dispose plus d’une garantie de sécurité
effective depuis le retrait relatif des Etats-Unis du continent.
Parce que nous avons changé de monde, la sécurité nationale doit être refondée. Elle doit prendre racine dans une nouvelle stratégie globale et
opérationnelle et prendre appui sur une nation soudée. La sécurité est
la condition de la liberté, de la paix civile et du développement. Elle est le
premier des services dus par un Etat à ses citoyens mais elle est aussi leur
bien commun. Elle est l’affaire de tous.
Les menaces liées aux
nouvelles puissances
Le monde du XXIème
siècle devient extrêmement dangereux pour les démocraties confrontées
simultanément au terrorisme islamique et à la pression des démocraties
chinoise, russe et turque.
Le développement économique
de grands pays émergents, leur volonté de remettre en cause le système
international, la course à la maîtrise du nucléaire ou encore l’investissement
dans le réarmement, ont dessiné une nouvelle donne géopolitique marquée par
l’intention de certains Etats d’utiliser la force.
La guerre est de retour et sort
des cadres qui lui avaient été assignés durant la guerre froide.
Les dépenses militaires représentent environ 1 700
milliards de dollars, soit 2,3 % du PIB mondial, et augmentent de 5 à 10 % par
an.
Le terrorisme, la
première des menaces
Si les attaques terroristes n’ont pas cessé depuis 2001, elles ont pris une
nouvelle dimension à partir de 2015 avec l’avènement
de l’État islamique, au croisement du chaos créé par l’intervention américaine
en Irak, de l’onde de choc des printemps arabes, du conflit ouvert entre
Sunnites et Chiites au sein de l’islam.
La France, en raison de son
histoire, de ses valeurs et de ses engagements au Sahel comme au Levant, constitue une cible privilégiée
pour l’État islamique.
L’idéologie djihadiste
s’enracine ainsi au cœur des sociétés développées, s’adapte aux contextes locaux et cherche à
enclencher une logique de guerre civile au sein des démocraties.
L’ennemi n’est pas
seulement à l’intérieur, il est intérieur. Un terrorisme de proximité qui ne cible plus une personne ou une
population, mais des valeurs, un mode de vie, une nation.
Le cyberespace :
nouvel espace de rivalité et de conflictualité
Il échappe aux logiques
territoriales et géographiques et s’affirme comme un espace stratégique à part
entière, au croisement du militaire, de l’économique et du sociétal.
La cybersécurité est devenue un
enjeu de souveraineté décisif et la cyberdéfense,
une nouvelle donne stratégique.
La guerre sur plusieurs fronts
L’opération Serval
au Mali, déclenchée en janvier 2013, a été décidée dans l’urgence malgré des
renseignements précis connus de longue date. En novembre 2013, alors que les violences
se déroulaient depuis un an en Centrafrique, la France lançait trop tardivement
l’opération Sangaris avec
des moyens militaires insuffisants. L’opération Chammal au
Moyen-Orient se poursuit essentiellement sous la forme d’appui aérien et de
tirs d’artillerie sous le commandement des Etats-Unis. Enfin, sur
le plan intérieur, l’opération Sentinelle, qui mobilise en
permanence plus de 7 000 hommes, a déstabilisé nos armées.
Toutes ces opérations portent toutes la marque d’un manque de clarté
dans le but politique visé, car l’engagement des forces ne peut et ne doit en
aucun cas constituer une finalité, mais seulement un moyen, contribuant à créer
les conditions nécessaires à l’atteinte du but politique recherché.
De plus, elles révèlent chaque jour davantage les lacunes et les
insuffisances de nos forces en effectifs et matériels, qui sont pourtant
exposées régulièrement par les chefs d’état-major aux autorités politiques et
devant les membres des commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du
Sénat.
Des capacités militaires
qui s’épuisent
L’armée est en situation d’appauvrissement accéléré et, à ce rythme, il
ne sera plus possible de maintenir le niveau actuel de nos engagements, ni de
reconstituer un ensemble de forces cohérent tant il est long et coûteux de
restaurer des capacités militaires perdues, qui combinent souvent haute
technologie, savoir-faire individuels, entraînement et expérience
opérationnelle. Un important déficit en résulte dans des capacités clés telles
que l’aéromobilité, le ravitaillement en vol, les drones ou la cyberdéfense.
Les militaires, en nombre
insuffisant, sont soumis à un rythme d’activité opérationnelle excessif qui
conduit à sacrifier leur entraînement. Le décalage entre le sur-engagement des
armées et les moyens humains, matériels et financiers dont elles disposent n’a
cessé de se creuser. La France déploie aujourd’hui 30 000 hommes en
opérations, y compris sur le territoire national.
De même, l’usure des matériels est réelle, la France consomme
son capital militaire qui, au rythme actuel, est menacé d'extinction à
l'horizon 2020. L’outil
militaire français se trouve aujourd’hui à la limite de la rupture. La France n’a plus aujourd’hui les moyens de régénérer son potentiel
militaire et de maintenir le niveau de puissance militaire dont elle disposait
il y a encore cinq ans.
Trois exemples illustrent la situation : aucun des avions
ravitailleurs, qui ont pourtant plus de 50 ans, n’a été remplacé, plus de 50%
des hélicoptères sont indisponibles, 15% des militaires ne reçoivent toujours
pas le montant exact de leurs rémunérations 6 ans après la mise en place de « Louvois »…
scandaleux !
L’absence de programmation
des forces et des équipements de sécurité intérieure ne paraît plus soutenable.
La dissuasion nucléaire
C’est bien dans l’action politique quotidienne que se forge la
dissuasion.
Si elle est sans effet dans certaines situations de crise notamment
contre des adversaires tels que l’Etat islamique ou al-Qaïda, l’arme nucléaire
peut dissuader autant une puissance nucléaire qu’un pays disposant de forces
conventionnelles importantes. Elle représente un volet important de « l’assurance
vie » de la France et est un instrument majeur de son indépendance
stratégique, qui doit être modernisée régulièrement compte tenu des
développements technologiques qui pourraient la rendre inefficace. A cet égard,
les prochaines années vont être cruciales et nécessiter des investissements en
recherche et développement qui s’élèveront annuellement à plusieurs milliards
d’euros supplémentaires.
La dissuasion nucléaire complète la dissuasion classique reposant sur
des forces conventionnelles robustes.
Les responsabilités politiques
Le budget français consacré à la défense a été considérablement réduit
depuis 50 ans : de 5,44% du PIB en 1961, il a été réduit à 1,44% en
2015. Chaque Américain dépense 2,5 fois plus que chaque Français pour sa
défense et le budget militaire américain est 20 fois celui de la France,
c'est-à-dire que le budget de nos armées représente 5% de celui des Etats-Unis.
Tous les gouvernements, depuis près de 40 ans, n’ont eu de cesse de
prélever tous les ans, et malgré les lois de programmation votées, une part des
ressources destinées à la Défense. Le budget de ce ministère a ainsi constitué
une variable d’ajustement utilisée en vue de réduire le déficit systématique de
celui de l’Etat sans d’ailleurs y parvenir. Le budget consacré aux armées (hors
pensions de retraite) est passé de près de 3% du produit intérieur brut (PIB)
en 1980 à moins de 1,5% aujourd’hui. En outre, la professionnalisation
effectuée dans un cadre financier toujours plus contraint a conduit, à partir
de 1996, à une réduction considérable des effectifs. La défense a représenté 40 % des économies réalisées sur les dépenses de
l’État au cours des dix dernières années.
Dès le 11 mars 2012, le candidat François Hollande annonçait clairement
une réduction de l’effort de Défense. Effectivement, le Livre blanc sur la Défense et la
sécurité nationale paru un an après fixait aux armées des contrats
opérationnels divisés de moitié par rapport à ceux du Livre blanc précédent. La
loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 qui traduisait ces choix,
conduisait à ramener la part du PIB consacrée à la Défense (hors pensions) de
1,6% du PIB en 2012 à 1,4% en 2019. Les déflations importantes d’effectifs de
10 175 postes prévues par la LPM précédente (2009-2014) étaient donc
maintenues, et la nouvelle LPM organisait une déflation supplémentaire de
23 500 postes.
Ce sont les attentats de 2015, avec le déclenchement de l’opération Sentinelle, qui
ont contraint le président de la République à finalement revoir les déflations
prévues dans la LPM jusqu’en 2019. Dès lors, les effectifs et la part du PIB
consacrée à la Défense seront globalement stabilisés au niveau de 2015, mais le système de défense français reste
notoirement sous-financé par rapport à ses missions, ce qui compromet à court
terme la pérennité du modèle complet d’armée.
Repenser la stratégie : « la
méthode globale »
Il faut rompre radicalement avec cette situation de déclin et repenser la sécurité de notre pays dans une perspective globale. Tout le monde s’accorde pour remonter
à 2% du PIB à court terme (rappelons que le seuil de 2% était celui retenu
en1996 lors de la professionnalisation des armées...). Un effort de
Défense s’élevant à 2% du PIB (hors pensions de retraite) en 2022, c’est ce que
demandait avec raison le chef d’état-major des Armées, le Général De Villiers,
qui était le mieux-à-même de maîtriser l’équation missions = moyens que les
technocrates qui ont conduit nos armées dans l’impasse actuelle.
Au-delà de l’affichage d’un pourcentage du produit national, il est
essentiel de chercher à clarifier les besoins et les engagements concernés.
La France est aujourd’hui à une heure de vérité : elle doit se
désengager ou réarmer. Le désengagement serait
paradoxal. Il aboutirait à compromettre la sécurité de la France et des
Français dans une période de remontée des risques stratégiques.
La mise
en œuvre des stratégies cohérentes et le développement de logiques dites
"d’approche globale" permettant d'agir de manière coordonnée sur
différents leviers. Des moyens importants sont
alloués à la lutte contre le terrorisme mais leur articulation demeure
insuffisante.
Il est temps de créer, de
manière pragmatique, une Europe de la sécurité autour d’objectifs
concrets : la protection des populations, le renforcement du renseignement,
la sécurisation des infrastructures essentielles, le contrôle et la
surveillance des frontières. La France en serait le commandant en chef
et coordonnerait la stratégie.
Le réarmement de la France
apparaît indispensable et doit se traduire par un effort budgétaire pour la
sécurité nationale. Cet effort doit être subventionné par l’Union européenne et
la part consacrée par la France au budget militaire sorti des critères de Maastricht.
L’esprit de défense doit
aussi être réinventé afin que chaque citoyen et que la société civile, à
commencer par les entreprises, se réapproprient et réinvestissent la sécurité. Cette
mobilisation est essentielle pour conforter la résilience de la société
française et européenne aux chocs et aux surprises stratégiques.
2017© Laurent SAILLY pour Méchant Réac ! ®