Alexis de Tocqueville est un Méchant Réac !

Saluée par ses contemporains, l'oeuvre de Tocqueville (1805-1859) fut oubliée, ou délibérément occultée durant une grande partie du XXe siècle. Il a fallu la réflexion de Raymond Aron, et surtout de François Furet et Mona Ozouf, leur indépendance d'esprit, pour qu'elle retrouve la place qui est la sienne : au premier rang. Il est vrai que longtemps régna ce que Furet appela « le catéchisme révolutionnaire », le culte de la Révolution considérée comme un tout, un bloc par les historiens marxistes, Soboul ou Mathiez. Une Révolution censée annoncer des avenirs radieux et préfigurant sa soeur cadette, celle de 1917 en Russie. Peu importaient les églises, couvents et châteaux saccagés, les foules menées à l'échafaud, cette Terreur dont l'ombre s'étend sur plusieurs décennies romantiques. Et ces blessures de la mémoire étaient très vives pour Alexis de Tocqueville : son grand-père et sa grand-mère, sa tante et son oncle le frère de Chateaubriand avaient été guillotinés, ainsi que son arrière-grand-père Malesherbes, celui-là même qui, directeur de la « Librairie » - nom de la censure - sous le règne de Louis XV, avait pris des risques pour protéger les philosophes et sauver L'Encyclopédie, et avait favorisé ainsi l'essor des Lumières.
Tocqueville ne fut pourtant pas un « ultra » vengeur ou partisan d'un retour à l'ordre ancien. Le grand mérite de l'étude magistrale de Lucien Jaume est de partir non pas des données biographiques ou de l'histoire familiale, mais de l'analyse précise de ses textes, en particulier des deux principaux, De la démocratie en Amérique (1835 et 1840) et, oeuvre restée inachevée, prolongement de la précédente, L'Ancien Régime et la Révolution (1856).
Envoyé aux États-Unis pour y étudier le système pénitentiaire, Tocqueville en rapporte une description objective et une réflexion sur le fonctionnement de la démocratie et l'on sait que, parlant de l'Amérique, il songe à la France de son temps. Comme son parent par alliance Chateaubriand, il est persuadé que son pays et aussi le reste du monde vont forcément évoluer vers la démocratie. Ce qui a retenu son attention, c'est le fait que, dans une société démocratique, l'opinion de la majorité acquiert la force d'une religion, qui est la religion de l'égalité. Il constate qu'il n'existe pas de nation où il règne moins d'indépendance d'esprit et de véritable liberté de discussion qu'aux États-Unis. Dans ce genre de régime, remarque-t-il, l'égalité provoque le désir de la concurrence entre les individus, et ceux-ci deviennent prisonniers de « la passion du bien-être », du « goût des jouissances matérielles » qui caractérisent les classes moyennes. Pour lui, le mouvement de démocratisation n'a pas commencé avec la Révolution, mais avec l'Ancien Régime : « Ce sont les rois absolus, écrit-il, qui ont le plus travaillé à niveler les rangs parmi leurs sujets. » La démocratie, d'après lui, n'est pas incompatible avec le despotisme.
Lorsque Tocqueville imagine la société de l'avenir, il pense qu'elle ne ressemblera pas du tout à celle qui l'a précédée. Il voit « une foule innombrable d'hommes qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme ». Au-dessus d'eux, il devine un pouvoir immense qui se chargera de veiller sur leur sort, de travailler à leur bonheur, à condition d'en être le seul arbitre. Il est difficile de ne pas reconnaître que, beaucoup plus que la « société sans classe » rêvée par Karl Marx, le message de Tocqueville avait des aspects prophétiques.
FRANCINE DE MARTINOIR


ŒUVRES

· Regards sur le Bas-Canada, Montréal, Québec, TYPO, 2003.
· De la démocratie en Amérique, Schoenhofs Foreign Books (23 mai 1986), collection "Folio", (ISBN 2-07-032354-4) (édition originale en 1835 pour le premier livre et en 1840 pour le second).
· L'Ancien Régime et la Révolution. Paris, Garnier-Flammarion, no 500 (édition F. Mélonio).
· De la démocratie en Amérique, Souvenirs, l'Ancien Régime et la Révolution. Paris, coll. Bouquins, Éditions Robert Laffont, 1986. 1 volume.
· Mémoire sur le paupérisme 1835, Mémoire présenté à la Société royale académique de Cherbourg et publié en 1835 par celle-ci dans les Mémoires de la Société royale académique de Cherbourg, 1835, p. 293-344
· Œuvres Complètes. Paris, Gallimard, 1951-2002 (29 volumes parus).
· Œuvres, Gallimard, coll. "Pléiade", 3 t., t. I : Voyages. Écrits politiques et académiques, 1744 p. ; t. II : De la démocratie en Amérique, 1232 p. ; t. III, 1376 p.
· Quinze jours au désert, Le Passager clandestin (éditions), 2011, (ISBN 978-2-916952-41-3)
· Lettres Choisies et Souvenirs (1814-1859), Gallimard, collection Quarto (édition : Françoise Mélonio et Laurence Guellec), 2003.
· Sur l'Algérie, GF Flammarion, présentation de Seloua Luste Boulbina.
· Sur l'esclavage, Seloua Luste Boulbina, Bibliographie chez Actes Sud, octobre, 2008 / Coédition Barzakh, (ISBN 978-2-7427-7788-4)
· Alexis de Tocqueville, Œuvres Complètes, Tome XIV, Correspondance familiale, appareil critique, notes et introduction, éditions Gallimard, mai 1998, 700 p., présentation de Jean-Louis Benoît, prix de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, décembre 1998.
· Alexis de Tocqueville, Textes économiques, Anthologie critique, présentation de Jean-Louis Benoît en collaboration avec Éric Keslassy – éditions Pocket, collection Agora, mars 2005.
· Alexis de Tocqueville, Textes essentiels, Anthologie critique, éditions Pocket, collection Agora, juin 2000, présentation de Jean-Louis Benoît, prix littéraire du Cotentin, novembre 2000.
· Tocqueville, notes sur le Coran et autres textes sur les religions, présentation de Jean-Louis Benoît, Bayard, février 2007.
· Alexis de Tocqueville, une pensée précoce, choix de lettres par Anne Rotenberg, collection « Scènes Intempestives à Grignan », TriArtis, mai 2013, (ISBN 978-2-916724-47-8)
https://pourunenouvellerepubliquefrancaise.blogspot.com/https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police