La Méchante Semaine 2020-20
La méchante semaine de Méchant Réac a été alimentée par les réflexions de Anastasi Colosimo, Anne-Sophie Chazaud, Chantal Delsol, Cyrille Dalmont, H16, Eric Zemmour, Jean-Thomas Lesueur, Malika Sorel, Mathieu Bock-Côté, Maxime Tandonnet, Natacha Polony, Nicolas Lecaussin, Nicolas Marquès, Philippe d'Iribarne, Philippe Prigent, Pierre-Henri Tavoillot, Rafik Smati, Régis de Castelnau, Sébastien Chapotard, Sébastien Cochard, Thierry Godefridi, Valérie Toranian et Yannick Chatelain.
I.Les
Libertés sacrifiées
C’est le pays qu'on enchaine, déclare Malika Sorel.
« Jamais,
en choisissant la France comme Patrie, je n’aurais pu imaginer qu’elle puisse
emprunter un jour la voie du sous-développement. J’ai commencé ma vie en France
comme ingénieur avec plein d’étoiles dans les yeux et tant de fierté pour nos
réalisations. Tristesse infinie et grosse colère pour tout ce qui nous arrive
en tant que peuple ! »
Les
libertés perdues pendant la crise du coronavirus pourront-elles être récupérées
? Pierre-Henri Tavoillot se montre optimiste et veut croire à la capacité de
résilience et de rebond des démocraties européennes. Pour le philosophe, « l’empire de la trouille ne doit pas triompher. »
Il nous alerte quant au
risque de dérive « sanitariste » de nos sociétés. «
C’est au nom de la santé que les libertés auront le plus de risques d’être sacrifiées
désormais ». Et
d’avouer avoir une légère inquiétude quand il lit que Nicolas Hulot est la
personnalité politique préférée des Français. La crise doit permettre de
débloquer des débats enkystés : sur la santé, sur l’éducation, sur le
travail, sur la bureaucratie, sur les frontières… « Vivre ensemble, c'est réfréner son ego ».
Le philosophe évalue les
forces et les faiblesses de la démocratie à l'heure du déconfinement. Selon
lui, on ne sait pas évaluer l'action publique.
Si les contours de
l’application StopCovid restent à préciser, il est aujourd’hui clair que l’État
français souhaite jouer un rôle central au niveau du développement, du stockage
des données et du processus d’alerte. Mais pour quelle efficacité et quel coût pour les libertés
individuelles ? s’interroge Sébastien Chapotard.
En matière de
surveillance de masse pour faciliter l’acceptation sociale, les leviers
utilisés auront été les mêmes dans nombreuses de nos démocraties : la peur et la mort
et pire encore, le mensonge des pouvoirs publics nous explique Yannick
Chatelain. Une
raison d’État, lorsqu’elle impose des régimes d’exceptions, devrait inviter
tous citoyens à se remémorer les propos tenu par Hannah Arendt en 1974 à
leur sujet, propos qui, pardonnez-moi cette trivialité, en 46 ans n’ont
en pas pris une ride : «
Ce qui est propre à notre temps c’est l’intrusion massive de la criminalité
dans la vie politique. Je veux parler ici de quelque chose qui dépasse de loin
ces crimes, que l’on cherche toujours à justifier par la raison d’État, en
prétextant que ce sont des exceptions à la règle. »
L’auteur des Bûchers
de la liberté*
et docteur en théorie politique, Anastasia Colosimo, voit dans la crise du
coronavirus et ses conséquences en matière sociétale le symptôme d’un possible
basculement anthropologique. « Nous entrons dans l’ère de la
surveillance généralisée. » L’emprise nouvelle de la science sur
le politique ainsi que « la primauté accordée à l’existence biologique
» pourrait, selon elle,
signifier une rupture avec les valeurs humanistes qui fondent notre
civilisation.
Loi Avia, sous couvert de lutte contre les « contenus
haineux », c’est la liberté d’expression qu’on assassine. La proposition de loi de la députée Laetitia Avia,
visant à mieux lutter contre les propos haineux sur Internet, sera certainement
adoptée ce mercredi 13 mai à l’Assemblée nationale. Jean-Thomas Lesueur et
Cyrille Dalmont dénoncent le caractère subjectif de la définition de ces «
contenus haineux ». Cette proposition de loi est, dans son fondement
même, particulièrement liberticide. Comme l’a écrit l’essayiste et
avocat François Sureau, « en se fondant sur la notion de haine, qui est
un sentiment, relevant du for intérieur, la loi introduit désormais la
répression pénale à l’intérieur de la conscience ».
Pour H16, la loi Avia
est le mûrissement du royaume de l’arbitraire et de la
censure administrative.
Dans un long
entretien croisé, Anne-Sophie Chazaud,
Philippe d’Iribarne et Régis de Castelnau échangent sur la loi Avia, évidente atteinte à la liberté
d’expression. Que la députée LREM puisse être un employeur
détestable comme le suggère une enquête de Mediapart suffit-il pour conclure
que ses propos privés sont racistes ou haineux ? Et c’est précisément parce
qu’ils sont ambigus que sa loi est profondément liberticide et dangereuse.
Cette loi s’inscrit dans le
plus vaste projet d’un resserrement des conditions d’entrée dans l’espace
public par le régime diversitaire, qui entend dominer la mise en récit de la
vie collective. La lutte contre la haine autorise l’expulsion de l’espace
public des contradicteurs du progressisme et inhibe les timorés, qui se
réfugient dans l’autocensure. Au même moment, la gauche racialiste se
déploie sans risque sur les réseaux sociaux. Mieux : elle y règne. Que penser
de cette asymétrie dans le traitement des « radicaux » ? demande Mathieu
Bock-Côté qui y voit « une loi
néosoviétique ».
Pour Maxime Tandonnet, il
s’agit d’une loi liberticide. L’objectif de mettre fin aux
propos diffamatoires, insultants ou appelant explicitement à la violence et au
meurtre sur Internet est louable. Cependant, plutôt que de se donner les moyens
d’appliquer la législation existante en sanctionnant les auteurs de tels
propos, la loi Avia, sous prétexte de lutter contre la haine, étrangle la
liberté d’expression. Celle-ci bouleverse la conception française de la liberté d’expression.
En principe, la censure préalable (a priori) n’existe plus depuis les lois
républicaines sur la liberté de la presse.
II.Coronavirus en France : économie, état,
« people-isme », démocratie
Le coronavirus frappe une
économie affaiblie. Nos entreprises, étouffées par une fiscalité hors norme et
une réglementation tatillonne, ont des problèmes de compétitivité structurels
rappelle Nicolas Marques et s’exclame : "Démantelons notre fiscalité anti-économique
!"
Devant les conséquences de la pandémie et incurie de l’État, qui paiera les dommages ?
s’inquiète Philippe Prigent. Les multiples conséquences humaines et économiques
de la mauvaise gestion de la pandémie posent la question de la responsabilité
de l’Etat envers les victimes. La responsabilité pour faute de l’Etat suppose
la réunion de trois conditions : une faute, un dommage à réparer et un
lien de cause à effet entre la faute et le dommage.
« On a les dirigeants qu’on mérite et les
élites qu’on peut » constate avec une pointe d’amertume Valérie Toranian. En
ces temps de coronavirus où le politique a cédé la place à des comités
scientifiques pour décider de l’ouverture des salons de coiffure et du nombre
d’occupants dans un ascenseur, les élites intellectuelles, elles, n’ont plus
qu’à s’incliner devant le surgissement fécond d’une nouvelle intelligentsia :
le penseur-people radical, Nicolas Hulot, Juliette Binoche et Vincent Lindon… l’avenir
radieux du monde d’après. En 2020, les bobos et les prolos n’ont toujours pas la même grille de
lecture : prôner la décroissance est plus facile de sa villa du Cap Ferret que
de la France périphérique où l’on a du mal à joindre les deux bouts. Le temps
n’est pas à l’exactitude et à l’esprit critique des Lumières, le temps est
(re)venu de croire au grand soir, à l’élan effréné pour ouvrir de nouvelles
voies. Ce qui caractérise Jean Valjean c’est sa conduite. La mise en conformité
de ses actes et de sa révolte. Il ne parle pas, il ne fait pas de beaux
discours, il agit. Le penseur-people radical donneur de leçons est-il prêt à
donner autant de sa poche que Jean Valjean ?
Bomber le torse face aux
démocraties et au capitalisme, c’est beaucoup plus facile que de critiquer le
leader chinois Xi Jinping… De Renaud Muselier qui lance un ultimatum à la
grande distribution à Nicolas Hulot avec ses six voitures qui nous oblige
à suivre les principes écolos, au bord de la piscine, face à l’océan, on
dessine « le monde d’après » ! Aussi, Nicolas Lecaussin nous
invite à renoncer au « nouveau monde » des écologistes et des artistes.
« Au secours, ils réclament la démocratie ! »
s’exclame ironiquement
Natacha Polony. L’avertissement est lancé au fil des éditoriaux et des
commentaires de plateau télé par tout ce que la France compte de vigies de
l’idéologiquement correct.
La « philosophie de
l’inclusion » constitutive du macronisme révèle son impuissance en des temps où
l’essence du politique redevient l’éthique de la décision et la hiérarchie des
priorités, estime la Chantal Delsol. La pensée inclusive représente un courant de
pensée très actif au sein de l’Occident contemporain, estime la philosophe. « Le “en même temps”, une politique inclusive
inadaptée aux temps tragiques ». Il n’existe plus de
divergences, seulement des différences qui sont toutes bienvenues, puisque
toutes ont la même valeur. Nous avons plutôt besoin de dirigeants qui nomment et
désignent leurs choix, tout en délaissant les autres choix enviables qu’ils
auraient pu faire – et qui assument la responsabilité de leurs décisions
discriminantes.
III.Coronavirus et l’ordre mondial, Pékin et
le Monde, Karlsruhe et l’Europe
La pandémie n’inaugurera pas un ordre mondial entièrement
nouveau, mais elle changera les choses de trois manières
importantes pour Thierry Godefridi : 1) Elle fera remonter à la surface
des développements qui étaient en train de se produire mais étaient passés
inaperçus, tels que la manière dont la Chine a étendu son influence dans des
parties du monde qui ne reçoivent que peu d’attention ; 2) Elle agira
comme un accélérateur des tendances géopolitiques existantes, en particulier la
rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine et le déplacement du
centre de gravité économique d’ouest en est ; 3) Enfin, elle pourrait être
un catalyseur de changements actuellement difficiles à prévoir, tant dans le
monde développé que dans le monde en développement, qu’il s’agisse de l’avenir
de l’UE ou des relations entre de nombreux pays en voie de développement et la
Chine.
Pour Rafik Smati, "le régime chinois doit des explications", ainsi qu’à
l’humanité tout entière. La question de sa responsabilité se pose en effet dans
la pandémie de Covid-19 qui a tué des centaines de milliers de personnes,
obligé à confiner plus de la moitié de l’humanité et détruit l’emploi de
dizaines de millions de personnes. L’Australie, pourtant très dépendante du
marché chinois, a demandé une enquête internationale. Néanmoins, il est
légitime que la France maintienne une attitude calme et prudente.
En pleine crise du COVID, la Cour
constitutionnelle allemande de Karlsruhe vient de rendre le 5 mai une décision
extraordinaire dans laquelle elle montre que la voie germanique sera celle du
refus de la solidarité européenne. Pour faire simple, cette juridiction a posé
le principe de la supériorité du droit allemand sur le droit européen
supranational. L’arbitrage dont parle Lordon semblent bien avoir été rendu par
l’arrêt du 5 mai. En faveur des seuls intérêts de l’Allemagne. Et il ne faut
pas se tromper, pour Philippe Prigent et Sébastien Cochard la cour suprême
allemande n’a pas pris cette décision de près de 80 pages pour des raisons
d’opportunité politique ou économique mais bien pour des raisons de principe
juridique. On dirait bien que la messe est dite : "Deutschland über alles" ?
Si les juges
constitutionnels allemands ont défendu strictement l’État de droit, rappelant
que les institutions européennes n’avaient de pouvoir que délégué par les
États-nations, ils portent un coup qui peut être mortel pour
l’Europe, selon Eric Zemmour.
Laurent Sailly, directeur de la publication.