"Pourquoi je n'ai pas peur d'être conservateur" - Par Laurent Sailly

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#Ordre, #Liberté, #Paix, #Honneur

Le conservatisme est à la fois une idéologie (Robert Nisbet) tout autant qu’un style de pensée (Karl Mannheim), précise Jean-Philippe Vincent. Mais en France, le conservatisme jouit « d’une réputation exécrable » alors que le terme (« conservatisme ») est né en France (avec Chateaubriand et son journal Le Conservateur créé en 1818) et que, depuis le XVIIIème siècle, la majorité des penseurs conservateurs sont français…
Le conservatisme n’est pas une « orthodoxie rigide construite à partir d’un postulat unificateur ». Les conservateurs ont des sensibilités diverses, voire des divergences, mais ils constituent « une nébuleuse présentant malgré tout une certaine cohérence quant à ses valeurs, à ses projets et à ses combats. »
« Croyant ou non, le conservateur accorde respect et intérêt aux religions et aux spiritualité. (…) Pour autant, il ne peut évidemment que réprouver des systèmes religieux dont la seule finalité paraît être de dénier toute valeur à l’homme et au monde : des systèmes qui ne constituent au fond qu’une forme paradoxalement moderne du nihilisme. (…) Pour un conservateur, l’idée même de la tabula rasa (…) est forcément déplorable, et condamnable. L’homme se construit dans l’histoire (…) »
Aussi, le conservateur se méfie-t-il de l’européisme et de la mondialisation. « Précision importante : en soi, le conservateur n’est évidemment pas ‘’opposé’’ à l’Europe, ni même à une certaine évolution confédérale de celle-ci. » Le conservatisme défend les appartenances et les souverainetés anciennes contre l’abolition des réalités politiques et des vieilles patries.
« Tandis que certains courants nihilistes considèrent l’homme comme une machine susceptible d’être modifiée sans limite par l’ingénierie biologique, d’autres y voient un animal au même titre que le moucheron ou l’éléphant. » Le conservateur se montre particulièrement vigilant au développement de l’intelligence artificiel ou du transhumanisme qui seront certainement la base « des grands systèmes totalitaires de l’avenir. » De même, il se montre attentif et prudent à toutes les théories « se réclamant du sacro-saint principe d’égalité » ; l’égalitarisme forcené conduisant au totalitarisme comme nous l’a appris Raymond Aron. Enfin, pour le conservateur, l’homme n’est pas un animal comme un autre et lutte contre les ridicules théories antispécistes.
« De façon générale et dans son essence, l’utopie est foncièrement anticonservatrice. » Le conservateur est résigné à l’imperfection humaine « qu’il intègre, dans sa vision du monde, comme un paramètre irrémédiable et indépassable. » L’utopie a été au XXème siècle « la grande pourvoyeuse des massacres et des génocides » (nazisme, communisme, maoïsme, islamisme etc…). Cette utopie (« rêve impossible mais généreux ») conserve un « vrai prestige dans certains milieux de la gauche et ultra-gauche intellectuelles. »

Le conservatisme n’est pas un traditionalisme

« Le traditionalisme est une nostalgie, plus ou moins structurée, du passé. Le conservatisme n’est en aucune façon une nostalgie, car il est totalement ancré dans le présent et une de ses idées fortes est de perpétuer le meilleur de la tradition par les réformes qui peuvent s’imposer. » « Pour les conservateur, la tradition est vivante », alors que les traditionnalistes figent la tradition à un moment donné de l’Histoire. Le traditionalisme n’est pas une doctrine politique, à la différence du conservatisme.

Les conservateurs ne sont pas des contre-révolutionnaires

« La contre-révolution est un mouvement, une doctrine et un parti politique né de la Révolution et dont l’objectif est d’abolir les effets de la Révolution par un retour au statu quo ante. » Certes, des contre-révolutionnaires tels Maistre et Bonald ont contribué à nourrir la pensée conservatrice ; de même que Malouet, Cazalès, Lally-Tollendal et Mounier, bien que qualifié de contre-révolutionnaires sont en fait des conservateurs. D’ailleurs, pour la grande majorité des auteurs, « le conservatisme français (et même, plus largement, européen) se serait constitué en réaction contre la Révolution. » Pourtant, « il est clair que conservatisme et contre-révolution sont deux doctrines radicalement distinctes, même si, sur deux points, elles convergent partiellement » : d’une part « une méfiance certaine à l’égard de l’idée de révolution [; d’autre part] la critique des droits de l’homme. »

Les conservateurs ne sont pas des réactionnaires

Comme le traditionalisme, la « réaction est une autre forme de nostalgie du passé » Mais la réaction, à la différence de la contre-révolution « n’a pas, en tant que tel, de projet politique (…). Elle est bien davantage une rhétorique antimoderne. » Si « le conservatisme a pu, dans son histoire, se teinter de nuances réactionnaires (…) [il] vise la stabilité, non un retour illusoire à un passé idéalisé. » « Le conservateur entend établir un pont entre le passé, le présent et l’avenir, qu’il appréhende comme les éléments indissociables d’une continuité. Il n’idolâtre pas le passé : (…) ‘’Conserver ce qui vaut, réformer ce qu’il faut’’, déclarait Disraëli.

Le conservatisme est le contraire de l’immobilisme

Le vrai conservatisme ce n’est pas « une attitude figée, immobiliste, aveugle aux changements inévitables et aux mutations nécessaires, (…) mais une approche ouverte (…) qui estime que le seul comportement raisonnable consiste à poursuivre vers l’avant sans rejeter systématiquement les apports et les leçons du passé. » L’immobilisme « est une critique [très superficielle] de la politique ». Elle n’est ni une doctrine, ni une sensibilité politique (à la différence du conservatisme). Pourquoi alors assimile-t-on conservatisme et immobilisme ? « Il est de fait que le conservatisme vise une certaine stabilité ». Mais tout comme avec la réaction, « il a pu arriver que la gestion conservatrice se caractérise par une dérive vers l’immobilisme » (critique – sévère – du ministère Guizot de 1840 à 1848). « D’autres périodes de l’histoire de France ont pu, dans certains domaines, contribuer à la confusion du conservatisme et d’un possible immobilisme (…) » (1871 – 1877).

Citons, avec Jean-Philippe Vincent, les principaux penseurs conservateurs français :

- Les monarchiens qui, au cours de la Révolution française, sont les partisans, d'une monarchie constitutionnelle fondée sur le modèle britannique. Dès septembre 1789, ils tentent de s'opposer à l'accélération révolutionnaire :
  • Jacques Antoine Marie de Cazalès, (1758 – 1805), député de la noblesse aux États généraux de 1789.
  • François Dominique de Reynaud, comte de Montlosier, dit Montlosier (1755 – 1838). Ses colères contre les hommes de son propre camp le rendent inclassable et cachent une pensée profonde et innovatrice qui a posé les fondements d'une droite moderne dépassant le cadre strict de la Contre-Révolution.
  • Trophime-Gérard, comte de Lally, baron de Tollendal, puis marquis de Lally-Tollendal, dit Lally-Tollendal (1751 – 1830), homme politique et homme de lettres français.
  • Pierre-Victor Malouët (1740 – 1814), planteur de sucre de Saint-Domingue et homme politique français.
  • Jean-Joseph Mounier (1758 – 1806), avocat et homme politique français. Il est, dès 1788, favorable à un programme constitutionnel d'inspiration anglaise combinant un véto royal, et la souveraineté nationale, en mettant en place une assemblée législative élue par le peuple issu d'un suffrage censitaire.
- Les contre-révolutionnaires :
  • Le comte Joseph de Maistre (1753 – 1821) homme politique, philosophe, magistrat, historien et écrivain savoyard, sujet du royaume de Sardaigne ; père de la contre-révolution.
  • Louis-Ambroise, vicomte de Bonald (1754 – 1840), homme politique, philosophe et essayiste français, grand adversaire de la Révolution française. 
- Les légitimistes, partisans favorables au rétablissement de la royauté dans la personne de l’aîné des Capétiens, chef de la maison de Bourbon :
  • François-René, vicomte de Chateaubriand (1768 – 1848), écrivain, mémorialiste et homme politique français. 
- Les orléanistes, opposants aux légitimistes et favorables à la monarchie dans la lignée de Louis-Philippe (libéral et conservateur) :
  • François Guizot (1787 – 1874), historien et homme d'État français.
  • Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, dit Alexis de Tocqueville (1805 – 1859), philosophe politique, précurseur de la sociologie et homme politique français.
  • Lucien-Anatole Prévost-Paradol (1829 – 1870), journaliste et essayiste français. Son livre, La France nouvelle, fut une référence majeure de l'orléanisme, courant libéral français. 
- Le « conservateur par excellence » selon Nisbet :
  • Pierre Guillaume Frédéric Le Play (1806 – 1882), ingénieur, homme politique et pionnier de la sociologie française. 
- Les autres penseurs conservateurs français selon Jean-Philippe Vincent1 ou le site de la Fondation du Pont-Neuf :
  • Antoine Rivaroli, dit Rivarol (1753 – 1801) écrivain, journaliste, essayiste et pamphlétaire royaliste français.
  • Pierre-Paul Royer, dit Royer-Collard (1763 – 1845), homme politique libéral, académicien et philosophe français.
  • Honoré de Balzac (1799 – 1850), écrivain, romancier, critique et essayiste français.
  • Charles Baudelaire (1821 – 1867), poète français.
  • Joseph Ernest Renan (1823 – 1892), écrivain, philologue, philosophe et historien français.
  • Hippolyte Taine (1828 – 1893), philosophe et historien français.
  • Paul Bourget (1852 – 1935), écrivain et essayiste français.
  • Hubert Lyautey (1854 – 1934) militaire français, maréchal de France.
  • Daniel Halévy (1872 – 1962), historien et essayiste français.
  • Georges Ripert (1880 – 1958), professeur de droit et homme politique français, profondément conservateur.
  • Jacques Maritain (1882 – 1973), philosophe français.
  • Jean Mallard de La Varende Agis de Saint-Denis, plus connu sous la forme brève Jean de La Varende, (1887 – 1959) écrivain français.
  • Georges Bernanos (1888 – 1948), écrivain français.
  • Gaston Fessard (1897 – 1978), prêtre jésuite français, résistant, philosophe et théologien.
  • Bertrand de Jouvenel (1903 – 1987), écrivain et journaliste français, également juriste, politologue et économiste.
  • Michel Villey (1914 – 1988), philosophe français et historien du droit.
  • Pierre Boutang (1916 – 1998) philosophe, poète et journaliste politique français.
  • Raoul Girardet (1917 – 2013), historien français.
  • Julien Freund (1921 – 1993), philosophe, sociologue et résistant français.
  • Jacques Ellul (1912 – 1994), historien du droit, sociologue et théologien protestant libertaire français.
  • Vladimir Volkoff (1932 – 2005), écrivain français d’origine russe.
  • Jean-François Mattéi (1941 – 2014), professeur de philosophie grecque et de philosophie politique.
  • Philippe Muray (1945 – 2006), philosophe, essayiste et romancier français.
  • Stéphane Rials (1951), juriste français et professeur d’université.
A côté des penseurs conservateurs, Jean-François Vincent cite, parmi d’autres, deux figures conservatrices :
  • André Tardieu (1876 – 1945), homme politique de l’entre-deux-guerres, ancien collaborateur de Clémenceau, plusieurs fois membre du gouvernement. Il illustre combien le conservatisme n’est pas un immobilisme, il estimait que le meilleur du passé ne pouvait survivre que par la réforme.
  • Georges Pompidou (1911 – 1974) incarne le conservatisme de toujours. Premier ministre puis Président de la République, il manifesta, comme Tardieu, son intérêt pour les réformes, notamment sociales.
N’oublions pas rappelle la Fondation du Pont-Neuf :
  • Charles de Gaulle (1890 – 1970) qui, « bien qu’il ne se soit jamais réclamé » du conservatisme « (…) sa volonté de réconcilier la présent de la France avec son passé, [peut être considérée] comme un archétype du conservatisme à la française. »
Le père du conservatisme moderne :
  • Edmund Burke (1729 – 1797), homme politique et philosophe irlandais, père du conservatisme moderne et penseur libéral, s’il émet « une critique virulente de la Révolution française, (…) [le] fait générateur qui manifeste [son] conservatisme (…) [est] que ladite révolution a troublé, par l’introduction de notions subversives et le principe de la table rase, un ordre des choses, naturel ou non, qui constituait dans la pensée même de Burke la réalité objective du conservatisme. »
« Par ailleurs, dans beaucoup de pays, le conservatisme politique est très prégnant, sans qu’il y ait eu un choc comparable à la Révolution française (…) » :
  • Edgar Allan Poe (1809 – 1849), poète, romancier, nouvelliste, critique littéraire, dramaturge et éditeur américain2.
  • Jacob Burckhardt (1818 – 1897), historien, historien de l'art, philosophe de l'histoire et de la culture et historiographe suisse.
  • John Ruskin (1819 – 1900) écrivain, poète, peintre et critique d'art britannique.
  • Charles-Ferdinand Ramuz (1878 – 1947), écrivain et poète suisse2.
  • Monseigneur Clémens August, né comte Von Galen (1878 – 1946), cardinal catholique allemand.
  • Robert Nisbet (1913 – 1996), sociologue conservateur américain.
  • Russel Kirk (1918 – 1994), théoricien politique, écrivain, historien, moraliste et critique américain.
  • Irving Kristol (1920 – 2009), journaliste, éditeur et intellectuel américain considéré comme le fondateur du néoconservatisme américain.
  • William F. Buckley (1925 – 2008), essayiste et journaliste américain, fondateur de National Review. 
« La permanence du conservatisme comme doctrine et comme style est attesté au XXème et au début du XXIème siècle par les écrits de nombreux auteurs » et Jean-Philippe Vincent de nommer en plus de Julien Freund, Bertrand de Jouvenel et Robert Nisbet ou encore Daniel Halévy, Stéphane Rials, Pierre Boutang, Philippe Muray et Vladimir Volkoff cités plus haut :
  • Léo Strauss (1899 – 1973), philosophe et historien de la philosophie allemand émigré aux Etats-Unis.
  • Eric Voegelin (1901 – 1985), philosophe américain d’origine autrichienne.
  • Michael Oakeshott (1901 – 1990), philosophe et historien britannique, spécialiste de la pensée politique.
  • Aurel Kolnai (1900 – 1973), philosophe et théoricien conservateur britannique d’origine hongroise.
  • Wilhelm Röpke (1899 – 1966), philosophe et économiste allemand, fondateur de l’ordolibéralisme.
  • Alexandre Soljenitsyne (1918 – 2008), écrivain russe et dissident au régime soviétique.
  • Alasdair MacIntyre (1929), philosophe écossais. 
Dans son livre, paru en 1987, sur le mouvement conservateur aux Etats-Unis, John P. West cite 7 personnalités importantes. Outre Russell Kirk, Leo Strauss, Eric Voegelin cités par Jean-Philippe Vincent :
  • Ludwig von Mises (1881 – 1973), économiste autrichien naturalisé américain, auteur influent sur l’école autrichienne, défenseur du capitalisme et du libéralisme.
  • Richard Weaver (1910 – 1963), universitaire américain.
  • Frank S. Meyer (1909 – 1972), philosophe américain.
  • Willmoore Kendall (1909 – 1967), écrivain et professeur de philosophie politique. 
Et le site de la Fondation du Pont-Neuf de compléter :
  • Thomas Mann (1875 – 1955), écrivain allemand, prix Nobel de littérature en 1929.
  • T. S. Eliot (1888-1965), de son nom complet Thomas Stearns Eliot, poète, dramaturge et critique littéraire américain naturalisé britannique.
  • Christopher Lasch (1932 – 1994), historien et sociologue américain, intellectuel et critique social. 
Ajoutons les conservateurs suivants :
  • Jacques Julliard (1932), essayiste, historien et journaliste français.
  • François d’Orcival, né Amaury de Chaunac-Lanzac (1942), journaliste français.
  • Sir Roger Scruton (1944), philosophe anglais.
  • Pierre-André Taguieff (1946), politologue français et historien des idées.
  • Denis Tillinac (1947), écrivain, éditeur et journaliste français.
  • Rémi Brague (1947), philosophe français spécialiste de la philosophie médiévale.
  • Chantal Delsol (1947), philosophe et écrivain français.
  • Ivan Rioufol (1952), journaliste, éditorialiste et essayiste français.
  • Gilles-William Goldnadel (1954), avocat franco-israélien et essayiste.
  • Olivier Dard (1953), historien français spécialisé dans l’histoire politique.
  • Maxime Tandonnet (1958), essayiste et haut-fonctionnaire français.
  • Christophe Boutin (1959), politologue français.
  • Bertrand Soubelet (1959), général français puis homme politique.
  • Yves de Kerdrel (1962), journaliste économique et politique français.
  • Charles Beigbeder (1964), investisseur, entrepreneur et homme politique français.
  • Eric Brunet (1964), essayiste et chroniqueur français.
  • Frédéric Rouvillois (1964), docteur en droit et essayiste français.
  • Barbara Lefebvre (1972), enseignante et essayiste française.
  • Guillaume Perrault (1972), journaliste et essayiste français.
  • Jean-Philippe Vincent, essayiste et haut-fonctionnaire français.
  • Mathieu Bock-Côté (1980), sociologue, essayiste et chroniqueur québécois.
  • François-Xavier Bellamy (1985), professeur agrégé de philosophie, essayiste et homme politique français.
  • Eugénie Bastié (1991), journaliste et essayiste française. 
Introduction du livre de Jean-Philippe Vincent, « Qu’est-ce que le conservatisme ? Histoire intellectuelle d’une idée politique » aux éditions Les Belles Lettres.
Site de la Fondation du Pont-Neuf et « Le dictionnaire du conservatisme » de C. Boutin, F. Rouvillois et O. Dard aux éditions Le Cerf.
Cité par Laurent Sailly sur le site Méchant Réac ! ®. La classification « conservateur » n’engage que la site Méchant Réac ! ®. Un droit de rectification peut être adressé au site via laurent@mechantreac.fr.

Qu’est-ce que le conservatisme aujourd’hui ?

11/11/2021
Patrick AULNAS

Le succès de l’essayiste Éric Zemmour interroge sur le conservatisme. Depuis longtemps déjà, la droite avait abandonné la partie dans un monde en évolution rapide sur lequel elle semblait n’avoir aucune prise. La gauche restait semblable à elle-même : faire miroiter un avenir souhaitable, plus juste parce que plus égalitaire par la contrainte juridique. L’espèce humaine se caractérisant par l’intelligence, elle s’accomplit par la découverte, l’invention, l’innovation. Le conservatisme est donc une option difficile à tenir. Trop de conservatisme confine à la bêtise. « Il faut bien aller avec son temps » disait ma grand-mère, en le regrettant un peu, mais avec la conscience claire de l’inéluctabilité de ce comportement. Qu’est-ce donc que le conservatisme au 21e siècle ?

Etat des lieux

Traçons d’abord un panorama très rapide des évolutions récentes du monde. Depuis un siècle environ, les État-nations se sont affaiblis pour plusieurs raisons. De grands groupes industriels, financiers, de services, à caractère multinational, sont apparus, créant un marché mondial. Le multilatéralisme s’est considérablement développé dans les rapports entre États et de nombreuses organisations internationales ont émergé. Les barrières aux échanges ont reculé avec le GATT puis l’OMC. Le patrimoine cognitif scientifique et technique est désormais celui de l’humanité entière du fait de la circulation de l’information à la vitesse de la lumière. Il est impossible de conserver durablement une avance technologique. L’Occident est ainsi passé de la domination à la compétition avec le reste du monde.

A l’intérieur des États-nations, le rôle économique et social de la puissance publique s’est considérablement développé. Tout se passe comme si la croissance économique, qui reste très supérieure à ce qu’elle était jusqu’au 18e siècle, conduisait à un interventionnisme public accru. Les dépenses publiques, partout inférieures à 10% du PIB au début du 20e siècle, atteignent 30 à 60% du PIB dans les pays riches.

L’être humain lui-même s’est profondément transformé. La vie rurale, stable géographiquement et socialement, qui prévalait jusqu’au 19e siècle, a disparu dans les pays développés. Il suffit de faire un peu de généalogie familiale pour se rendre compte concrètement que les générations se succédaient dans un petit territoire regroupant quelques villages et que la promotion sociale était une variable quasiment inexistante. La mobilité géographique et sociale date du 20e siècle.

Mais la famille elle-même a été atteinte par les évolutions sociétales : divorces, contraception, interruption volontaire de grossesse, union de personnes de même sexe, procréation médicalement assistée, gestation pour autrui, interrogations sur le genre qui serait partiellement indépendant du sexe biologique. Une personne vivant en 1900 ne pouvait même pas imaginer dans ses rêves les plus fous une telle avalanche de bouleversements. Le narrateur de Proust est profondément troublé par l’homosexualité supposée de son amie Albertine et par celle du baron de Charlus. Rien de tout cela ne nous affecte aujourd’hui, il s’agit de la vie courante.

Les critères simples du passé

Conservateur ? Qu’est-ce que peut bien signifier ce mot dans un contexte si évolutif ? Les critères du conservatisme ont perdu la simplicité de jadis. Après la Révolution française de 1789, le conservatisme était assimilé au royalisme. Les républicains libéraux étaient progressistes, les monarchistes attachés aux traditions et à l’ordre juridique ancien (trois ordres) étaient conservateurs. Au cours du 19e siècle émerge la pensée socialiste qui déterminera pour un siècle le clivage politique majeur. Sont progressistes ceux qui souhaitent un interventionnisme public visant à promouvoir l’égalité par le droit ; sont conservateurs ceux qui pensent que la société doit évoluer par elle-même, sans être configurée par l’État. S’opposent donc les constructivistes (il faut construire l’avenir par la violence légale) et les libéraux (les sociétés évoluent mieux spontanément).

La perte des repères

Le problème majeur du 21e siècle est bien la perte des repères. Qui serait capable de dire ce que fut la part de l’interventionnisme public et celle de la liberté dans les évolutions extrêmement rapides du 20e siècle ? En vérité, la conjonction des deux éléments apparaît évidente. Les pays riches et prospères ne sont pas ceux qui ont privilégié le tout étatisme. L’URSS s’est effondrée. Cuba, la Corée du Nord sont des pays pauvres. Mais ce ne sont pas non plus ceux qui ont aujourd’hui un État démuni et incapable d’agir. Les chiffres des dépenses publiques fournis par la Banque mondiale sont à cet égard éloquents. Les dépenses publiques se situent en moyenne à 14,4% du PIB en 2016 dans les pays les moins avancés et à 28,7% dans les pays de l’OCDE.

Être conservateur aujourd’hui ne peut signifier vouloir réduire au maximum les dépenses publiques pour maximiser l’efficacité. Être progressiste ne peut signifier vouloir les augmenter encore pour aboutir à un étatisme étouffant sous prétexte d’égalité économique.

Revenir à l’essence du conservatisme

Il en résulte qu’il faut revenir à une définition plus synthétique du conservatisme. Il n’existe plus de critère politique ou économique dominant du conservatisme, mais seulement un positionnement global par rapport au devenir historique : l’appréciation de la rapidité et du contenu des évolutions. Ceux qui, aujourd’hui en France, se réclament de la droite radicale (grosso modo les soutiens de Marine Le Pen et Éric Zemmour) ont tous ressenti les évolutions des dernières décennies comme trop rapides et ne correspondant pas à leurs aspirations. Le critère est double : cela va trop vite ; cela ne va pas dans la bonne direction.

Ainsi, la globalisation, qu’elle soit financière, économique, technologique, est considérée comme une violence faite aux structures établies, aux États-nations. Elle édulcore leur capacité de protection des individus, désormais écrasés par des puissances mondialisées. Il en résulte des migrations incontrôlées de centaines de millions de personnes, à la recherche d’une vie meilleure certes, mais venant déséquilibrer les sociétés d’implantation par des difficultés majeures d’intégration.

De même, les changements sociétaux rapides (IVG, PMA, GPA, mariage homosexuel, genre et sexe) sont appréhendés comme une destruction pierre par pierre de la famille traditionnelle. Pour se diriger vers quoi ? Vers l’inconnu, répondent les conservateurs, vers une aventure à haut risque, non maîtrisée. Détruire la famille, socle le plus ancien de toute notre vie sociale, pour accorder des libertés nouvelles à chaque individu revient à privilégier dangereusement un individualisme égotiste au détriment de la dimension collective de toute société.

La plupart des problèmes économiques, sociaux et politiques pourraient être analysés sous cet angle. Alors qu’il était possible de privilégier un critère politique du conservatisme auparavant (royauté contre république, égalité contre liberté), il faut désormais s’élever jusqu’à l’essence du conservatisme pour le comprendre : ne faire évoluer le statu quo qu’avec lenteur, en maîtrisant le devenir historique et en sélectionnant les changements souhaitables. Voilà une utopie qui n’a rien à envier à celles des gauches traçant sur le papier ou sur l’écran de l’ordinateur la société idéale à atteindre au plus vite. A l’idéalisme des progressistes, qui dessinent arbitrairement le futur, s’oppose le réalisme des conservateurs, qui tiennent à ce qui fonctionne ici et maintenant et ne veulent le modifier que sous bénéfice d’inventaire.

Après avoir eu la droite la plus bête du monde, avons-nous désormais la gauche la plus bête du monde ? Traiter les électeurs de Zemmour et de Le Pen de fascistes ou de « pré-fascistes » est tellement sommaire que le propos revient à instaurer un manichéisme politique simpliste séparant arbitrairement les gentils et les méchants. Les conservateurs répondent que le changement n’est pas une fin en soi. Pourquoi faudrait-il changer le monde dans la précipitation ? Nous avons devant nous un temps presque infini. La prudence des conservateurs n’a rien de méprisable et les constantes leçons de morale des progressistes passent sous silence les terrifiantes erreurs qui furent les leurs : le communisme totalitaire et le goulag soviétique par exemple. Le conservatisme, lorsqu’il devient réactionnaire et idéologique, comporte évidemment les mêmes risques. Les camps de concentration nazis en sont un exemple. Fuyons donc l’hubris du progressisme addictif et de la réaction brutale. En toute chose il faut savoir raison garder.
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