Qu'est-ce qu'un Méchant Réac (de droite) ? - Par Laurent Sailly

#Liberté, #Autorité, #Mérite, #Progrès, #Solidarité

SOMMAIRE :
1.Qu'est-ce qu'un Méchant Réac?

En 2002, Daniel Lindenberg rédige un essai associant à la fois quelques auteurs alors à la mode (Michel Houellebecq, Philippe Murray, Maurice Dantec) et certains de ses collègues du Centre Raymond Aron à l'EHESS (Pierre Manent, Marcel Gauchet): les néo-réacs étaient nés et s'inscrivaient das la lignée progressiste. Dans la même veine, les critiques de l'ultra-gauche ont associé à cette liste des personnalités telles que Christophe Guilly, Laurent Bouvet, Alain Finkielkraut, ou Michèle Tribalat qui défendent le modèle républicain, critiquent le multiculturalisme politique et idéologique et les dérives humanitaires. A n'en pas douter, une de leur plus brillante "progéniture" est Céline Pina.

Ainsi, pour la "tribu néo-réactionnaire", le débat et la réflexion libres sont les maîtres-mots mais tout en "déconn[ant] plus haut que l'époque" (Philippe Muray). Cette tribu se caratérise par son hétéroclisme, la diversité des positionnements politiques, la diversité des trajectoires suivies, des genres pratiqués. Apparaîssent alors les « Méchant Réac ® », terme créé en 2015 par Laurent Sailly.

Les « Méchant Réac ® » ont en commun l’amour des œuvres du passé et de défiance plus ou moins sarcastique à l’égard des valeurs progressistes (ce qui n’en fait pas moins des « jouisseurs » du bienfaits de la modernité). Les « Méchants Réacs ® » du XXIème siècle ont été les premiers (et parfois encore les seuls) à comprendre ce qu’ils voyaient : la menace multiculturaliste et la sécession islamiste, la catastrophe scolaire menacée par le pédagogisme, les attaques contre la laïcité, l’éloignement des « élites » politiques, la désintégration des corps intermédiaires…

Les « Méchants Réacs ® » font partis de cette arc politique qui résiste à l’idéologie pour ne considérer que les réalités (par exemple, la théorie du genre, dont la démonstration de sa fausseté a été établie). Il existe un certain nombre de fondamentaux sociaux, acquis de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie : l’Etat, la famille, l’intérêt général, la nécessité d’un certain ordre économique, etc. Ils constatent que, si le progrès scientifique ou techniques sont irrécusables, en matière de pédagogie, de politique, et même d’économie, il n’y a pas de véritable progrès.

Ils luttent contre le politiquement correct et la doxa progressiste : les lobbies associatifs et communautaires, les islamo-gauchistes, les féministes exacerbées, les prétendus antiracistes, les égalitaristes dogmatiques… Les « Méchants Réacs ® » veulent le retour de l’art de la conversation publique et du débat démocratique, issue de la tradition littéraire et intellectuelle française. Ainsi, le « Méchant Réac ® » n’use jamais de l’insulte, ne méprise aucune idée (au contraire, il est même volontiers « voltairien »), et s’exprime à visage découvert. Le « Méchant Réac ® » sort grandi ainsi de son combat avec ses opposants qui, pour se donner une contenance à défaut d’une consistance, le « diabolise » en le stigmatisant : néofasciste, crypto-vichyste, lepéniste… On intimide, on terrorise, on menace… Il y a près de 60 ans Albert Camus regrettait que le XXème siècle soit celui « de la polémique et de l’insulte » où « l’adversaire [est un] ennemi (…) Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivions plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes ». Ce monde n’est-il pas encore le nôtre ?

Les « Méchants Réacs ® » restent la cible des sartristes. N’oublions pas que Raymond Aron, dans les années 1950, était traité de « fasciste » par ses ennemis installés dans le bon camp d’alors, celui du prolétariat (les staliniens français). Albert Camus a lutté toute sa vie contre les journaux qui se déchaînaient contre ses livres, coupables de dire la vérité en un temps où l’on préférait le mensonge avec Jean-Paul Sartre. Ainsi, les « Méchants Réacs ® » ont en commun la lutte contre la bêtise qui, pour beaucoup « tient lieu de l’honnêteté » (André Suarès).

11 septembre 1789 – Aux origines du clivage politique Droite/Gauche

D’après Patrice Gueniffey, in « Les Grandes Figures de la Droite »

« Ce jour-là, l’Assemblée constituante doit trancher : accordera-t-elle au roi le droit de s’opposer à l’exécution des lois votées par le Corps législatif ? Les députés favorables à la motion se rangent à droite du président de séance, leurs adversaires à sa gauche. La grande division qui va désormais structurer la vie politique française est née. A la Constituante succède la Législative, la Convention puis les Conseils du Directoire, mais dans chaque cas on retrouvera, avec quelques variantes, la partition en deux blocs qui, spontanément, selon leurs convictions, s’installent dans l’hémicycle sur les bancs situés à gauche ou sur ceux situés à droite. Comme la Révolution se radicalise, la gauche d’une assemblée devient souvent la droite de la suivante. (…)

La « droite » des assemblées révolutionnaires n’en est pas vraiment une : la vraie, celle qui défend l’Ancien Régime ou s’efforce du moins de préserver l’autorité royale, a disparu pendant l’été et l’automne 1789. (…) On aurait donc tord d’essentialiser la gauche comme la droite. Ce sont des forces politiques plurielles, mouvantes, sans contenu doctrinal stable, qui se forment, se défont et se réforment au gré de circonstances et d’enjeux changeants. (…) »

Sortir du troupeau bêlant !

Philippe Bilger

Il n’y a pas de jour où je ne sente pas le bienfait de me qualifier de réactionnaire dans la définition que j’en donne.

Non pas la mutilation du réel, de la vie intellectuelle, de l’approche humaine mais, au contraire, leur plénitude, les ombres et les lumières, le pour mais aussi le contre, penser certes, mais savoir également penser contre soi, refuser la facilité des condamnations sommaires, des décrets expéditifs, des haines hémiplégiques.

Avoir le courage de l’honnêteté et ne pas récuser la lucidité au prétexte qu’elle vous ferait sortir du troupeau bêlant.

Je me félicite d’avoir le droit de stigmatiser les rares violences illégitimes commises par des fonctionnaires de police et, en même temps, comme je l’ai toujours fait, de soutenir la police dans la multitude de ses actions et missions. Je suis heureux, connaissant par expérience le caractère difficile et éprouvant de ses tâches, de ne pas lui imputer une présomption de culpabilité et de la remercier au quotidien pour la tranquillité publique qu’elle nous assure, qu’elle nous sauvegarde. Je considère que le préfet de police Lallement enjoignant à ses troupes de respecter « une ligne républicaine » a raison, mais je ne serais pas hostile à ce qu’il s’applique aussi à lui-même cette prescription.

Je n’ai pas, non plus, à m’excuser d’être curieux de l’opinion des autres, de ne pas mépriser celle de mes adversaires et de mes contradicteurs, d’écouter ceux-ci et peut-être d’en tirer profit.

Pourquoi devrais-je détester par principe, une bonne fois pour toutes, en bloc ceux qui nous dirigent, nous gouvernent, sans prendre la peine d’être équitable et de suivre, par exemple, notre Président à la trace, le louant pour ce qu’il accomplit de bien, le critiquant s’il agit mal ? Pourquoi notre société exige-t-elle qu’on prenne un parti à vie, qu’on choisisse un camp à perpétuité, qu’on schématise, qu’on réduise, qu’on mente en occultant délibérément ce qui ne viendrait pas au soutien de nos thèses ?

Se comporter ainsi n’a rien à voir avec du centrisme ni avec une quelconque lâcheté. C’est, au contraire, faire preuve du courage rare de l’équilibre.

Pour le grave comme pour le dérisoire.

Un policier a été lynché le 28, place de la République, par des casseurs dans les marges d’une manifestation contre les violences policières et la loi de sécurité globale. Comprenne qui pourra ! Mais je rends grâce à Michel Zecler qui a refusé que la moindre violence soit commise en son nom.

Maradona est mort. À la fois un génie du football mais une personnalité qui ne m’a jamais enthousiasmé. La manière dont sa disparition a été accueillie relève du délire. A-t-on si peu de héros authentiques à se mettre dans l’âme et la sensibilité pour être obligés de porter aux nues les footballeurs, ces gladiateurs d’aujourd’hui mais qui, heureusement, ne meurent pas de devoir taper dans un ballon ?

Je ne supporte pas ce monde qui est incapable d’embrasser tout ce qui doit nourrir et irriguer l’esprit parce qu’il risquerait de devoir changer d’avis. Alors qu’il est si doux et si confortable, mais si bête au fond, de demeurer dans le cocon de nos idées toutes faites, jamais questionnées.

L’opprobre qu’on ne cesse de déverser sur certains médias, parce qu’ils ne seraient pas assez progressistes, donc univoques et monocolores, est au contraire un hommage qu’on leur rend. Puisqu’ils font bouger, stimulent, contredisent et dérangent.

Réactionnaire, c’est d’abord réagir contre ce qui nous limite, nous emprisonne. Contre ce qui nous interdit de sortir de nous-mêmes. Contre ce qui prétend stériliser ce qu’on a à penser et à exprimer.

Tout le réel, sinon rien.



Une petite histoire des droites françaises

Les divisions à droite sont anciennes, profondes et récurrentes. Les travaux historiques ont largement insisté sur la pluralité des droites en France, pour reprendre le titre du livre de René Rémond, Les Droites en France. L’historien insistait sur l’existence de trois familles structurant le paysage politique à droite depuis 1815 : les légitimistes (ou traditionalistes), les bonapartistes et les orléanistes. Pour Rémond, la famille nationaliste était considérée comme un avatar du bonapartisme.

Mais dans La Droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914, un ouvrage publié en 1978, Zeev Sternhell distinguait une quatrième droite : une droite révolutionnaire préfasciste indépendante de la famille bonapartiste.

En 2017, dans Histoire des droites en France de 1815 à nos jours, l’historien Gilles Richard distingue huit familles : les légitimistes, les orléanistes, les bonapartistes, les républicains libéraux, les nationalistes, les démo­crates-chrétiens, les agrariens et les gaullistes. On s’étonnera de l’absence des conservateurs mis sur la touche par les droites françaises elles-mêmes depuis la fin du XIXe siècle. Pourtant ils constituent bien une neuvième famille.

Il n’existe pas aujourd’hui à droite de consensus sur la relation qui doit être établie entre nation et construction européenne, nation et mondialisation. Si le point de départ de l’histoire de la gauche est l’égalité, on ne peut réduire la droite à l’opposition à celle-ci. On a souvent vu les droites relever la tête dès l’instant où elles ont pu largement se fédérer autour d’un dirigeant, un chef doté d’un projet susceptible de transcender des clivages existants et d’apporter des réponses aux enjeux brûlants du temps.

Paragraphe largement inspiré par : Les grands textes de la droite et de la gauche lepoint.fr

de Jean-Christophe Buisson et Guillaume Tabard

(…) Qu’elle se réclame du libéralisme, du gaullisme, du nationalisme, du souverainisme ou de la démocratie chrétienne, tendances distinctes et parfois opposées au point de faire de la « droite » tout sauf un bloc idéologique, peu importe : on lui attribuera, pêle-mêle, la responsabilité de la misère sociale (par son attachement à l’économie de marché), la Première Guerre mondiale (par son militarisme), les catastrophes environnementales (par son soutien au développement industriel), l’ « ordre moral » (par sa fidélité à l’histoire de France, bâtie sur le Trône et l’Autel). On la soupçonnera aussi volontiers d’entretenir un fond de racisme et d’antisémitisme, au prétexte qu’elle défendit jadis l’empire colonial (bien qu’elle n’en fût pas à l’origine) et se compromit à Vichy (bien que la Résistance fût d’abord et avant tout celle d’un homme, de Gaulle, élevé par une famille de droite, et que de nombreux chefs de la Collaboration vinssent de la gauche).

Ces accusations sont partiales et désordonnées pour une raison simple : la droite n’existe pas. Son corpus doctrinal navigue entre plusieurs eaux (…). Elle ne prend forme solide, physique, que lorsqu’elle est incarnée par un « sauveur » (…). Et encore ces moments (…) durent ce que dure la vie de ses hérauts. Ce qui n’empêche pas leur héritage – moral, intellectuel, politique ou spirituel – de se transmettre. (…) [Cependant] il y a loin entre les [parlementaires] siégeant à la droite de leurs hémicycles (…) en 2020 et les Constituants se dirigeant, le 28 août 1789, vers la droite du bureau du président pour accorder plus de pouvoir au roi dans le cadre de la monarchie constitutionnelle balbutiante.

Cette date et cet événement marquent la naissance du concept de droite en France. (…) Mais de manière rétroactive. (…) [Jusqu’au début de la IIIe République], on ne se définissait pas « de droite ». Mais en adoptant certaines positions sur le niveau d’émancipation de l’individu, le poids de l’Etat et l’importance des corps intermédiaires, les limites de l’intrusion du politique dans la société « civile », la place de Dieu et de la religion, , le degré d’extension du libre arbitre et de l’autonomie de chacun, le hiérarchie entre liberté et égalité ou encore l’équilibre entre les droits et le devoirs (…).

(…) Par les valeurs mêmes qu’elle porte (suprématie de l’exécutif sur le législatif, goût de l’ordre, culte du « sauveur »), et comme le prouve son histoire, la droite est riche avant tout de ses figurent de proue. A rebours de la gauche, qui se pense en collectif, elle se définit d’abord par ses individualités. La gauche se veut guidée par les idées, la droite est conduite par des hommes.

(…)

Deux ruptures marquent durablement notre histoire : 1789 et 1848. Durant plus d’un demi-siècle, la droite se définit presque exclusivement par rapport à la Révolution. D’abord pour la condamner sans ambages : les nostalgiques de l’Ancien Régime – cette droite originelle qui donnera naissance au légitimisme – vouent aux gémonies de concert la Constituante et la Convention, et appellent, derrière Joseph de Maistre et Louis de Bonald, à une restauration intégrale consacrant les droits de Dieu, plutôt qu’à la vénération d’hypothétique droits de l’homme qui ont fait le lit de la Terreur puis d’un Bonaparte, ce « Robespierre à cheval » (Mme de Staël). Mais très vite, une fracture apparaît, qui provoque un grand reclassement. La Restauration (1815-1830) suscite tant d’oppositions, surtout à partir de l’avènement de Charles X, que libéraux et bonapartistes se rapprochent pour contester le pouvoir royal au nom des principes de 1789 – étant entendu qu’ils ne sauraient être confondus avec ceux de la Terreur, qui les a dévoyés. Les Trois Glorieuses (juillet 1830) provoquent un nouveau glissement de terrain. L’opposition d’hier, désormais au pouvoir avec Louis-Philippe, coulisse de facto à droite, la gauche étant désormais occupée par le camp républicain, avant la poussée socialiste qui intervient dans les années 1840.

Oui, on peut désormais être « de droite » et accepter l’héritage révolutionnaire (…). Non (…) s’insurgent la duchesse de Berry et le dernier carré légitimiste (…) [qui enterreront] tout espoir de restauration sous la IIIe République naissante.

Entre-temps, les révolutions de février et juin 1848 auront (…) ouvert un nouveau cycle. La fracture politique s’efface désormais devant la fracture sociale. Face au danger du socialisme (…), les trois familles de droite se réunissent pour la première fois dans un seul parti : celui de l’ordre (…) derrière un seul chef : Louis-Napoléon Bonaparte. Réunion ne veut pas dire union. Très vite, on se dispute sur cette notion que la nouvelle gauche met en avant : l’égalité. (…) Les querelles reprennent, qui hanteront jusqu’à nos jours la droite… et scelleront à nouveau et à jamais sa désunion.

(…) Comment espérer sortir de la typologie de René Rémond : un légitimisme gardant au fond de lui un refus absolu de la Révolution (et, partant, de la république), qui l’aura poussé à soutenir le régime de Vichy et à signer son arrêt de mort politique tout en préservant son influence littéraire et intellectuelle ; un orléanisme dont le rêve d’une république à la fois libérale et conservatrice, privilégiant les « libertés nécessaires » et le respect de la propriété, se sera surtout incarné chez ses penseurs (Constant, Tocqueville, Aron) plutôt que chez ses dirigeants (à l’exception de Guizot … et de Valéry Giscard d’Estaing) ; un bonapartisme dont le culte de la grandeur se sera fracassé ; après le désastre de Sedan (1870), sur le mur de la défaite de juin 1940 et de la décolonisation, et qui, après Boulanger, de Gaulle, Chirac et Sarkozy, ne survit que dans l’attente de plus en plus hypothétique de l’homme providentiel.


Philippe d’Iribarne

«Aux racines de la dislocation des droites»

La droite classique faisait coexister trois sensibilités différentes, bonapartiste, légitimiste et orléaniste, selon la célèbre typologie de l’historien René Rémond. Elle a éclaté sous nos yeux lors de l’élection présidentielle. Dans un texte d’une parfaite clarté, le grand sociologue explique les causes d’un tel bouleversement.

L’effondrement brutal, à l’occasion de l’élection présidentielle, du parti Les Républicains, succédant à celle du Parti socialiste en 2017, intrigue, tout comme la recomposition des forces politiques qui est en cours. Il est tentant de s’en tenir, pour expliquer ces phénomènes, à des questions de personnes, aux prestations de Valérie Pécresse au cours de sa campagne ou à l’habileté avec laquelle Emmanuel Macron a siphonné sa droite après sa gauche. Mais la transformation du paysage politique met en jeu des phénomènes beaucoup plus profonds.

Concernant le parti Les Républicains il paraît fort utile, pour la comprendre, de partir de l’analyse classique de René Rémond, opposant trois droites, respectivement légitimiste, orléaniste et bonapartiste, et de considérer le bouleversement des conditions de leur alliance séculaire.

La droite légitimiste est attachée à la France éternelle, à la continuité d’une histoire au-delà des régimes politiques qui se succèdent, à un patrimoine à la fois matériel et symbolique, à des traditions ancrées dans une mémoire longue. Imprégnée de culture catholique, elle défend la famille dans sa forme classique. La droite orléaniste privilégie le dynamisme économique et la possibilité pour ceux qui en ont le goût et les capacités de s’enrichir sans subir trop de contraintes de l’État ni souffrir des «partageux». La droite bonapartiste croit à la grandeur de la nation et de l’État, à la République, au rayonnement de la France, à sa place dans le concert des puissances, à l’excellence scolaire et à la méritocratie.

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Depuis le XIXe siècle, ces trois droites n’ont jamais eu une grande estime, voire ont eu un certain mépris, les unes pour les autres. Mais elles ont longtemps eu un intérêt puissant à s’allier pour conquérir le pouvoir et gouverner. Elles n’avaient pas de mal à s’entendre sur la nature de l’ordre que toutes trois voulaient construire. Certes, la droite orléaniste était libérale tant qu’il s’agissait du fonctionnement interne de l’économie, mais elle comptait sur un État fort pour mener des politiques protectionnistes et pour accorder des concessions à des monopoles privés ainsi mis à l’abri de la concurrence.

Elle s’accordait donc avec la droite bonapartiste pour défendre l’État. Par ailleurs elle comptait, non sans cynisme, sur le respect d’un ordre moral par le petit peuple pour fournir aux entreprises une main-d’œuvre disciplinée et assurer l’ordre dans la rue. À ce titre elle avait de bonnes raisons de s’entendre avec la droite légitimiste qui promouvait un tel ordre. Et si cette dernière, comme la droite bonapartiste, trouvait la droite orléaniste attachée à des idéaux bien mesquins, elle avait besoin de son alliance pour accéder au pouvoir.

Avec l’avènement de la construction européenne et le développement d’un libre-échange à l’échelle de la planète, cette alliance est devenue problématique. Certes, les diverses droites sont toujours attachées à l’idée d’ordre, mais elles ont des conceptions de plus en plus radicalement différentes de quel type d’ordre. Pour la droite orléaniste il ne s’agit plus d’un ordre national, fondé sur un État fort, la souveraineté du peuple et un ordre moral. Elle compte sur un ordre méta-national fondé sur un droit qui encadre des rapports librement conclus entre les acteurs économiques et sur une justice qui veille au respect de ces accords. L’Europe est essentielle pour elle, dans sa capacité de négocier de puissance à puissance l’organisation de l’économie internationale. Pour cette droite orléaniste, les autres droites, qui non seulement ne sont pas attachées à l’édification d’un ordre supranational mais cherchent même à l’affaiblir au nom de la souveraineté du peuple dans le cadre d’États-nations, ne sont plus des partenaires naturels.

Si l’alliance des trois droites a encore paru solide au temps du général de Gaulle et même de Georges Pompidou, avec une alliance dominante entre les droites bonapartiste et légitimiste, la droite orléaniste s’est fortement affirmée au cours du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Des formes multiples d’association entre les diverses droites sont apparues avec Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy. Celui-ci a tenté une synthèse qui a suscité moult débat entre le «travailler plus pour gagner plus» orléaniste d’un côté et «l’identité française» légitimiste de l’autre.

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Et la haute figure du Général, sorte de statue du commandeur, rendait difficile à l’intérieur de la droite l’émergence d’un champion décomplexé de la seule droite orléaniste. Le succès de François Fillon lors de la primaire des Républicains en 2017 a encore montré les limites de l’emprise de cette droite sur le parti. Elle restait engluée dans une famille où elle se sentait mal.

Pour elle, la sortie de ce marasme est enfin venue en 2017, mais de l’extérieur de la droite. La gauche avait bougé elle aussi. Une nouvelle gauche était progressivement apparue, là encore non sans rapports avec l’émergence de l’Union européenne et la montée, alimentée par l’échec des régimes communistes, de la croyance dans les vertus d’une économie de marché. Michel Rocard, puis Lionel Jospin, ont hautement affirmé que le progrès social est étroitement dépendant du progrès économique, et que celui-ci exige un large respect des disciplines du marché. Le règne de François Mitterrand a été une grande époque de dérégulation financière.

Une esquisse d’alliance de cette gauche avec la droite orléaniste s’est même produite en 2008 avec la participation d’une partie des socialistes à la ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne, après le succès du non au référendum portant sur le projet de traité constitutionnel européen de 2005. Ce mouvement, favorable au libéralisme économique, s’est radicalisé sous François Hollande, avec la grande étape de la loi El Khomri, visant à soumettre plus étroitement le sort des travailleurs aux exigences de compétitivité des entreprises. Pendant ce temps, une nouvelle conception de ce que veut dire être à gauche a émergé, avec l’avènement d’une gauche diversitaire, attachée à la défense de toutes les «minorités», homosexuel, immigrés, etc. Le mariage pour tous a été la grande réalisation du quinquennat Hollande.

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Ces évolutions ont ouvert la voie à une recomposition politique radicale. La droite orléaniste et la gauche diversitaire ont en fait beaucoup en commun, mis à part les labels traditionnels de droite et de gauche, avec de solides raisons de faire cause commune. Elles sont marquées par le même ethos, c’est-à-dire la même attitude générale devant l’existence. Pour l’une et l’autre il est malvenu de trop prêter attention à ce qui différencie les humains, l’une parce que, croit-elle, la question n’est pas pertinente quand il s’agit d’acheter et de vendre, l’autre parce que cela ouvre la porte aux discriminations.

Certes les priorités des deux courants diffèrent, mais elles ne se heurtent pas. Ainsi, les questions concernant l’avortement et la fin de vie laissent froid la droite orléaniste alors qu’elles sont très sensibles pour la droite légitimiste. De plus, les deux courants ignorent l’attachement à une patrie chère aux droites légitimiste et bonapartiste. La droite orléaniste trouve cet attachement vieux jeu, à la limite du ridicule, et la gauche diversitaire y voit un obstacle à l’avènement d’une société pleinement inclusive. De même l’un et l’autre se rejoignent pour regarder la puissance de l’État comme une menace pour les libertés. Ils ont tout pour s’entendre.

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C’est dans ce contexte qu’est apparue, avec Emmanuel Macron, une nouvelle offre politique répondant enfin aux attentes de la droite orléaniste, tout en y ajoutant une touche de gauche diversitaire. Emmanuel Macron est un parfait représentant d’une vraie droite orléaniste. C’est la France qui gagne qui l’intéresse et qu’il veut soutenir. Il n’a pas craint, au début de son premier quinquennat, d’affirmer que les chômeurs n’ont qu’à traverser la rue pour trouver un emploi. Il taxe le patrimoine immobilier, cher à la droite légitimiste, et détaxe le patrimoine mobilier. Il affirme qu’il n’y a pas de culture française. Il déclare, à Alger, pendant la campagne présidentielle de 2017, que la colonisation française a été un «crime contre l’humanité».

Sans être à la pointe des combats que mène la gauche diversitaire, il n’y est pas hostile. Ainsi il déclare volontiers que la France est riche de sa diversité ethnique et n’a aucun problème avec l’islam. On peut supposer que c’est avec l’aval du chef de l’État que Richard Ferrand, Président de l’Assemblée, a déclaré que la grande cause du prochain quinquennat serait le droit de «mourir dans la dignité».Pendant que cette recomposition, parfaitement logique, s’est produite, l’ancienne alliance des trois familles de droite s’est trouvée à la peine. Cela est déjà apparu lors des élections européennes de 2019 quand François-Xavier Bellamy, clair représentant de la droite légitimiste a conduit la liste des Républicains. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, sortes de porte-drapeaux des droites respectivement bonapartiste et orléaniste, ont alors quitté le parti. La tentative de retrouvailles à l’occasion de l’élection présidentielle pouvait difficilement réussir.

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En rejetant François-Xavier Bellamy, Valérie Pécresse a tout fait pour s’aliéner, sans doute de façon durable, la droite légitimiste. Puis, dans sa campagne électorale, reprenant les thèmes d’Éric Ciotti, elle s’est aliénée sa famille d’origine, la droite orléaniste. On comprend que l’électorat sur lequel elle comptait se soit largement tourné d’un côté vers Éric Zemmour, qui s’est hautement affirmé comme un champion de la France éternelle, et de l’autre vers Emmanuel Macron.

Cette recomposition va-t-elle durer? Il est difficile de le prévoir. Elle a sûrement été facilitée par la personnalité d’Emmanuel Macron, le fait que sa vision du monde se trouve précisément au point de jonction entre celles de la droite orléaniste et de la gauche diversitaire. L’alliance de ces deux forces éclatera-t-elle avec son départ du pouvoir? Une grande figure peut-elle émerger, capable de fédérer, sur des bases renouvelées, l’alliance entre les trois droites? Cela sera sans doute possible si la droite orléaniste se rend compte, à l’expérience, que son association avec la gauche diversitaire conduit à un tel niveau de contestation sociale que l’ordre dans la rue est menacé malgré des dépenses sociales -et des prélèvements obligatoires pour les financer- qui demeurent parmi les plus élevés des pays industrialisés.

Une fois que Marine Le Pen aura quitté la scène, une nouvelle alliance, unissant ceux qu’elle a déçus aux droites légitimiste et bonapartiste, dans une sorte de camp des patriotes, se dessinera-t-elle? Une gauche renouvelée, rejetant celle qui, ralliant Emmanuel Macron, a trahi les vraies valeurs de la gauche aux yeux de ses détracteurs, va-t-elle émerger autour d’une gauche tribunitienne? Bien des avenirs paraissent possibles.

De manière plus immédiate, la question des élections législatives est devant nous. À l’occasion des élections régionales de 2021, le contraste entre l’échelle nationale et l’échelle régionale et locale a été spectaculaire. L’excellente performance du Parti socialiste, alors qu’il était déjà en débandade sur la scène nationale, a particulièrement frappé.

À droite des représentants de chacune des trois familles, orléaniste en Île-de-France, bonapartiste dans les Hauts-de-France, légitimiste en Auvergne-Rhône-Alpes, ont largement triomphé en rassemblant l’ensemble de la droite, chacun tirant parti de la sociologie des soutiens de celle-ci au sein de sa région. C’est que les logiques qui sont à l’œuvre ne sont pas les mêmes qu’à l’échelle nationale. Ceux qui votent pour un responsable local n’en attendent pas qu’il décide de l’avenir de la France et se soucient souvent plus de sa capacité de gestionnaire que de son idéologie. Quant aux députés, ils contribuent certes ensemble, mais chacun si peu, aux grandes orientations de la politique nationale, et il est beaucoup attendu d’eux qu’ils soient efficaces dans leur circonscription. Il n’est pas sûr que, dans ce rôle, leur tendance orléaniste, bonapartiste ou légitimiste compte beaucoup et que la majorité des députés du Parti républicain soient condamnés à perdre leur siège.

60 ans après René Rémond, la nouvelle typologie de la droite

Par Gilles Richard

L'historien Gilles Richard publie une Histoire des droites en France. A cette occasion, il fait le point pour FigaroVox sur la droite, ses divisions, et l'incertitude qui pèse sur son avenir.

FIGAROVOX.- Votre livre Histoire des droites en France évoque inévitablement l'œuvre de René Rémond et sa fameuse typologie de la droite française en trois familles héritées des conflits du XIXe siècle: la droite «orléaniste», la droite «bonapartiste» et la droite «légitimiste». Que signifient ces catégories? Quelles sont les différences et les points communs entre ces trois droites selon René Rémond?

Gilles RICHARD.-
René Rémond, fin connaisseur du XIXe siècle, a très bien vu les choses. Trois droites qui se différencient sans aucun doute possible des républicains qui, eux, campent à gauche. Ceux-ci défendent ce qui a émergé dans le processus révolutionnaire ouvert en 1788-1789: la revendication de «la souveraineté populaire». Le peuple comme souverain, tel est le principe premier des républicains quand leurs opposants, à droite, le rejettent unanimement au profit d'une conception de la souveraineté incarnée dans un homme. Mais ils divergent sur l'homme. Un Bourbon pour les «légitimistes», un Orléans pour les «orléanistes», un Bonaparte pour les bonapartistes. Avec, en arrière plan, trois conceptions différentes du régime et de la société: une société qui renouerait avec l'Ancien Régime, conduite par la noblesse et le clergé ; une société du même type que celle alors en plein essor au Royaume-Uni, sous la houlette d'une monarchie parlementaire censitaire ; une société enfin tenue fermement en main par un «chef» admettant le suffrage universel masculin à la seule condition d'en contrôler les résultats.

Cette classification a-t-elle toujours un sens aujourd'hui? Proposez-vous une autre typologie?

Cette typologie rémondienne n'a plus de sens aujourd'hui. Certes, il existe encore des monarchistes (depuis la mort du comte de Chambord, les Orléans sont les seuls prétendants). Chaque 21 janvier, des nostalgiques de la Contre-Révolution assistent aux messes commémorant l'exécution de Louis XVI, guillotiné le 21 janvier 1793. Il existe aussi des bonapartistes et un parti (marginal), le Comité central bonapartiste. Mais ce sont là les buttes témoins d'un passé révolu. Tout simplement parce que la société a profondément changé et qu'on ne peut comprendre la vie politique actuelle si on ne l'insère pas dans la société actuelle. Pas d'histoire politique crédible si elle reste «hors-sol».

D'où ma grille de lecture. Je compte 14 familles politiques, nées au fil du temps et des questions nouvelles se posant aux Français. Avant-dernière née, dans la Débâcle de 1940: les gaullistes. Dernière née: les écologistes, durant le moment 68. Des familles qui s'associent - plus ou moins durablement et solidement - en deux vastes ensembles, «droite(s)» et gauche(s)», en fonction de ce que je nomme une question politique centrale. Jusqu'aux années 1880, la question centrale fut celle du régime: République ou pas, telle était l'alternative qui différenciait gauches et droites. Puis la République s'est imposée et la ligne de clivage s'est redessinée, par la force des choses. Est alors apparue une nouvelle question centrale: la République devait-elle être «libérale» (Jules Ferry) ou «sociale» (Jean Jaurès)? Le grand trouble actuel vient du fait que depuis les années 1980, cette deuxième question centrale s'est effacée au profit de la question nationale, dans laquelle les gauches ne se reconnaissent pas.

Le Front national n'apparaît pas dans la typologie de René Rémond. S'agit-il d'un parti de droite ou d'extrême droite? Quelle est sa place dans l'histoire de la droite?

René Rémond avait bien conscience, à la fin de sa vie, que sa tripartition posait problème… Le FN est un parti issu de la famille politique nationaliste, née avec l'épisode boulangiste au moment où la «République des Jules» s'imposait. Pour des raisons que je détaille dans mon livre, cette famille nationaliste a longtemps eu beaucoup de mal à se doter d'un parti qui la représente efficacement. Et son soutien, massif et prolongé, à Vichy l'a profondément fragilisée. Mais elle n'a jamais disparu et le FN, fondé en 1972, a su lui redonner son lustre à partir de 1984. Droite ou extrême droite?

Je n'emploie jamais l'expression «extrême droite» parce que cela supposerait qu'il y ait UNE droite (et UNE gauche), avec seulement des nuances à l'intérieur de chacune - du bleu ciel au bleu (M)arine, du rose pâle au rouge vif. Or, pour moi, il y a DES familles politiques se classant à droite ou à gauche selon les époques. Les nationalistes sont sans aucun doute une des familles politiques qui se sont rangées à droite de la ligne de clivage apparue au tournant du XIXe et du XXe siècles. Mais ils ne sont pas plus «extrémistes» que les libéraux sont «modérés». Dit autrement, je ne vois que des nationalistes extrêmement nationalistes, des libéraux extrêmement libéraux, des agrariens extrêmement agrariens, etc.

Selon vous, l'année 1974 marque un tournant dans l'histoire de la droite. Pourquoi?

Sans aucun doute, l'année 1974 a marqué le point de départ de notre présent politique. Pour deux raisons: premièrement, s'est enfin imposée, parmi les familles de droite, la famille (néo)libérale qui, jusque-là, avait toujours dû partager le pouvoir avec d'autres - les radicaux jusqu'à 1940, les gaullistes après la Libération ; deuxièmement, en même temps - mais sans que cela ait au départ le moindre rapport avec l'élection de Valéry Giscard d'Estaing - l'économie française (comme ses voisines) est entrée de plain-pied dans la troisième révolution industrielle (automatisation, multinationalisation, délocalisations et financiarisation) et son corollaire, le chômage de masse qui, en une décennie, a porté un coup fatal au mouvement ouvrier tel qu'il s'était bâti depuis la fin du XIXe siècle et avait imposé la question sociale comme question centrale dans la vie politique.

Depuis cette époque, les deux principaux courants qui s'opposent sont les nationalistes et les néo-libéraux. Que révèle cet affrontement?

L'entrée dans «une nouvelle ère», selon les mots de «VGE» après son élection en mai 1974, a permis aux néolibéraux d'imposer leur projet politique, leur vision de la France dans le monde. Pour eux, les principes du capitalisme sont les plus sûrs fondements d'une vie harmonieuse en société. C'est là le cœur de leur doctrine. Et c'est à l'État d'en garantir la pérennité. Ils ont pu enfin agir à leur guise ou presque parce qu'au même moment, leur principal adversaire, les gauches issues du mouvement ouvrier, s'est évaporé. Depuis 1984, quand le PCF s'est retrouvé avec un score électoral d'avant 1936 et que le PS a renoncé officiellement à «changer la vie», le projet néolibéral s'est déployé sans obstacle majeur, à travers la déconstruction de la République sociale telle qu'elle s'était bâtie, par à-coups, entre 1936 et 1982, et parallèlement la construction de «l'Europe» comme grand marché unifié et structure politique supranationale. C'est dans ce double contexte (triomphe des néolibéraux, effondrement du mouvement ouvrier) que le FN a su - non sans difficultés - reconstruire un projet nationaliste adapté au présent et une force capable de le soutenir.

La victoire de François Fillon à la primaire de la droite est-elle le fruit d'une synthèse réussie entre ces deux tendances?

Oui, d'une certaine manière. Elle est aussi la reprise de la stratégie sarkozyste développée entre 2002 (quand il entre Place Beauvau) et 2012, consistant à défendre un projet de société néolibéral tout en tenant un discours «identitaire» pour récupérer une partie des électeurs frontistes, sans faire d'alliance électorale avec le FN. Une stratégie qui a semblé réussir en 2007, face à un adversaire frontiste dépassé, «le Vieux» comme on nomme Jean-Marie le Pen au FN, et faisant campagne sur des nouveaux thèmes difficilement audibles par ses électeurs (cf. le discours de Valmy sur «le creuset français»). Mais un succès sans lendemain, avec un renouveau du Front national dès 2011 quand Marine Le Pen a succédé à son père. François Fillon a fait le choix de s'inscrire dans la même ligne (projet néolibéral et défense de l'identité française) que Nicolas Sarkozy mais d'une façon plus cohérente que lui - en centrant sans détour son discours identitaire sur les valeurs du catholicisme traditionnel - et plus crédible - il s'est présenté comme le candidat anti-«blingbling», pour parler de façon familière. Dans le contexte de mobilisation des milieux catholiques autour de La Manif pour tous et face à un Alain Juppé refusant le discours identitaire sarkozyste, il l'emporta donc.

Au-delà des affaires, ces difficultés traduisent-elles la séparation de plus en plus nette entre ces deux courants. Peuvent-ils continuer à coexister au sein de LR?

J'ai montré dans mon livre, écrit avant les affaires, que la stratégie filloniste n'était pas forcément gagnante, malgré l'excellent score réalisé lors de la primaire. Même sans les affaires, le choix de faire cohabiter deux systèmes de valeurs opposés, deux visions du monde antinomiques n'est pas chose aisée. Et même, sans doute, chose impossible dans la durée, c'est-à-dire au-delà d'une campagne électorale. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy l'a en tout cas démontré. C'est tout le problème de LR aujourd'hui. Le parti, l'UMP au départ, a été construit en 2002 par Alain Juppé avec l'objectif de fondre à terme dans la grande famille néolibérale toutes les familles de droite (démocrates-chrétiens, agrariens de CPNT, gaullistes, etc.) à l'exception des nationalistes.

Nicolas Sarkozy, par sa stratégie, a complètement infléchi le projet initial en redonnant une place importante au nationalisme au sein même du parti. Mais on le voit, la cohabitation est difficile, voire impossible. Comment concilier «l'ouverture» au monde - «le multiculturalisme» disent ses thuriféraires - qu'implique le néolibéralisme et la défense d'une «l'identité nationale» renvoyant à une époque où la France était un pays partagé à égalité entre ruraux et citadins, majoritairement catholiques, maître d'un immense empire colonial?



La naissance de la droite républicaine


Plusieurs ouvrages montrent l'émergence, dès le début du XXe siècle, de partis républicains conservateurs qu'occulta l'essor des ligues comme l'Action française.

Beaucoup pensent que la droite et la République ne firent pas bon ménage jusqu'en 1945. On croit pouvoir résumer la droite d'avant-guerre aux ligues nationalistes, en particulier l'Action française, de matrice néo-royaliste. L'historiographie a surtout braqué ses projecteurs sur cette droite radicale, laissant allègrement dans l'ombre tout un pan de l'histoire politique française qui, depuis la fin du XIXe siècle, se situe à droite de l'échiquier politique mais nullement en rupture avec la République. Car, si ce régime est «né à gauche», les choses changent vite dès que la République se consolide. Après le fameux slogan de Thiers, en 1871, «la République sera conservatrice ou ne sera pas», la droite républicaine fait réellement son apparition à l'époque de Jules Méline, un proche de Ferry, qui entend constituer au milieu des années 1890 un grand parti «tory» à la française, réunissant sur un programme protectionniste le centre républicain (les «progressistes»), et les monarchistes modérés qui acceptent le «ralliement» au nouveau régime (le pape Léon XIII ayant incité, à partir de 1891, les catholiques à se «rallier» à la République, rappelant que, pour saint Augustin, la Cité de Dieu n'est pas de ce monde, brisant ainsi l'union du Trône et de l'Autel).

Si l'affaire Dreyfus empêcha Méline de créer son grand parti conservateur, son positionnement marque une rupture avec la vieille culture républicaine. Jusqu'alors, tout républicain considérait qu'il n'y avait «pas d'ennemi à gauche» et même les plus modérés préféraient s'associer aux radicaux, nostalgiques de 1793, plutôt que de faire alliance avec des monarchistes libéraux. Méline, lui, refuse de s'allier aux radicaux, tout en évitant le mot «droite», jugé honteux, et ce «sinistrisme» fut à l'origine d'une profonde confusion sémantique qui cache l'existence d'une droite républicaine. Comme le dira un peu plus tard, avec humour, Joseph Barthélemy, un «républicain de gauche» est un homme du centre que le malheur du temps oblige à siéger à droite! Même après la loi de 1901, qui permit la formation des partis modernes, la droite républicaine se garda bien de se qualifier de «droite». Ce sont les catholiques «ralliés» à la République qui ont constitué, dès 1901, la première formation de droite républicaine, l'Action libérale populaire (ALP). Tombée aujourd'hui dans l'oubli, l'ALP regroupait des dirigeants, comme l'ancien orléaniste Jacques Piou ou le catholique social contre-révolutionnaire Albert de Mun, «rallié» depuis Léon XIII à la République. Cette ALP deviendra «le premier parti politique de droite au sens strict» (J.-Y. Mollier), rêvant de constituer une force politique sur le modèle du Zentrum allemand. Puissante à ses débuts, elle avait des idées politiques audacieuses, comme l'élection du président de la République par un collège élargi (et non plus simplement par le Parlement), le recours au référendum et la mise en place d'un contrôle de constitutionnalité des lois, autant de projets qui scandalisaient alors les Républicains de gauche, attachés à la seule souveraineté du Parlement. Mais l'ALP tombera en disgrâce après la mort de Léon XIII, en 1903, et elle fut dépassée, dès 1914, sur sa gauche par la démocratie chrétienne naissante (le Sillon de Marc Sangnier), qui connut un bref triomphe en France sous la IVe République avec le MRP.

C'est au fond la droite laïque qui eut plus de succès avec la création, en 1901, de l'Alliance républicaine démocratique (ARD) par des proches des milieux d'affaires, notamment l'avocat Raymond Poincaré, défendant un programme conservateur sur le plan social, mais très attaché à la laïcité (l'ARD se veut «anticléricale»), puis, en 1903, avec la Fédération républicaine d'Eugène Motte, le tombeur de Jules Guesde. Cette Fédération constitue, selon Jean-Marie Mayeur, une «droite nouvelle, pleinement républicaine et qui n'a jamais eu à se poser la question du ralliement». Moins cléricaux que les membres de l'ALP, mais moins anticléricaux que ceux de l'ARD, les membres de la Fédération républicaine résument le conservatisme à la française, même si certains se radicaliseront dans les années 1930 ; ils sont très réservés sur les réformes sociales, partisans d'une certaine décentralisation et prudemment libéraux sur le plan économique, sans jamais se réclamer du darwinisme social des Anglo-Saxons, le futur néolibéralisme qui, on a fini par l'oublier avec la déferlante des années 1980, entretient avec la grande école libérale (Montesquieu-Tocqueville-Aron) des liens aussi ténus que la musique militaire avec la grande musique symphonique ; ces défenseurs d'une République libérale et laïque marqueront le paysage politique jusqu'en 1940. La Fédération comptera même certaines figures aujourd'hui injustement oubliées, comme le marquis Léonel de Moustier, le seul député de droite à s'être opposé, le 10 juillet 1940, aux pleins pouvoirs à Pétain, avant de mourir en camp de concentration.

Trois droites?

Après 1945, en dehors du gaullisme, seule cette droite républicaine se sauva, sous diverses appellations, du désastre de la collaboration qui balaya alors tous les mouvements nationalistes, en particulier l'Action française. Mais comment expliquer que la droite elle-même soit longtemps restée ignorante de son propre passé républicain? Indifférence des historiens, là où les gauches ont attiré beaucoup plus l'intérêt des chercheurs? Peut-être. Mais l'ouvrage de René Rémond sur Les Droites en France qui a popularisé dans le monde médiatique l'existence de trois droites (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) a beaucoup contribué à brouiller les pistes. Où placer la droite républicaine dans cette filiation ternaire que Stéphane Rials avait critiquée dès les années 1980, regrettant cette «hantise des origines» (Marc Bloch) qui plaquait au XXe siècle des réalités adaptées au début du XIXe siècle? Rémond ayant formé à Sciences Po des générations de journalistes politiques, la vulgate est restée tenace. C'est le principal mérite de plusieurs ouvrages qui paraissent, centrés sur l'histoire des droites, en particulier un choix original des grands textes de la droite, présenté par Grégoire Franconie, et une histoire plus classique, mais utile, des droites, de l'historien Gilles Richard, de rappeler l'aporie de la réflexion de René Rémond pour tout ce qui va au-delà de la fin du XIXe siècle. Il était temps.

«Les Grands Textes de la droite», choisis et présentés par Grégoire Franconie, Flammarion, coll. «Champs classiques», 409 p., 10 €.
«Histoire des droites en France 1815-2017», de Gilles Richard, Perrin, 624 p., 26 € (en libraire le 9 mars 2017).

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