La bibliothèque idéale d'un Libéral




En remontant aux sources, à l’encontre de l’« air du temps » qui présente le libéralisme d’abord comme une doctrine économique, Pierre Manent montre que le problème religieux est central dans sa constitution. Après les guerres de religion, et par réaction, s’est imposée la nécessité d’édifier un Etat neutre : une forme politique qui soit sans opinion. Un texte essentiel pour comprendre le libéralisme aujourd'hui.

Depuis le reflux des diverses idéologies socialistes, au début des années 1980, le libéralisme a suscité un regain d’intérêt et de curiosité. Mais il manquait l’ouvrage sur les fondements historiques et philosophiques de ce courant de pensée. Pierre Manent a comblé ce vide en remontant aux sources.
Prenant le contre-pied de ceux qui présentent le libéralisme d’abord comme une doctrine économique, il montre que ce qui est central dans sa constitution, c’est le problème religieux. Après les guerres de religion, et par réaction, s’est imposée la nécessité d’édifier un État neutre : une forme politique qui soit sans opinion. Voilà pourquoi le libéralisme est le berceau de la pensée politique moderne, pourquoi aussi il est la « basse continue » de notre vie intellectuelle et politique.


Les penseurs libéraux
Sous la direction de : Alain Laurent, Sous la direction de : Vincent Valentin
Les Belles Lettres

Le libéralisme est partout et nulle part. Son omniprésence dans le débat public est accompagnée d'un flou conceptuel, qui ne permet pas de saisir sa place et son influence dans nos sociétés.
Il demeure un objet mal identifié, dont les fondements théoriques et la diversité des thématiques sont méconnus.
Savoir ce qu’est le libéralisme, dans toutes ses dimensions, pas seulement économique mais aussi philosophique, politique, morale et culturelle, donner la parole aux penseurs qui l’ont édifié et prendre appui sur les textes, voilà l’objet de cet ouvrage, inédit par l’ampleur et la variété de son corpus.

Ce livre propose au lecteur:
– un choix de plus d’une centaine de textes, illustrant toutes les écoles et sensibilités libérales, de la Renaissance à nos jours. On y trouvera des écrits classiques (Smith, Kant, Bentham, Tocqueville, Spencer, Hayek) et d’autres plus originaux et inattendus (Jurieu, Courier, Cobden, Guyot, Oppenheimer, Croce…). Nombre d’entre eux étaient introuvables à ce jour.
– une généalogie inédite du mot « libéralisme ».
– un dictionnaire exhaustif des auteurs libéraux.
– des « chemins de traverse » qui documentent et élargissent la connaissance des notions et figures du libéralisme, au gré d’approches critiques et d’excursions intellectuelles hors des sentiers battus…

Anthologie des penseurs libéraux, un livre à paraître aux Belles Lettres

Par Fabrice Copeau (20.06.2012)

Qu’on s’en félicite ou le déplore, le libéralisme est unanimement considéré comme caractéristique politique, économique et culturelle fondamentale des sociétés occidentales contemporaines – ce qui lui vaut de s’y trouver plus que jamais au cœur du débat public en cette deuxième décennie du XXIe siècle, aussi bien tenu pour indépassable horizon éventuellement améliorable que voué aux gémonies.

En conséquence, savoir de quoi exactement on parle à son sujet et disposer d’un panorama retraçant, grâce aux textes des auteurs qui l’ont édifié, la genèse et les développements de la pensée libérale appréhendée dans toute la pluralité de ses interprétations apparaît relever de la plus élémentaire nécessité intellectuelle.

Or depuis 1986, en France, rien de substantiel dans cet ordre n’est venu prolonger et compléter le recueil séminal proposé par Pierre Manent (Les Libéraux, Hachette/Pluriel) alors qu’entre-temps quantité de travaux et d’exhumations bibliographiques ont abouti à considérablement enrichir le corpus des œuvres jalonnant l’histoire du libéralisme. C’est donc le souci de combler cette criante lacune éditoriale qui a présidé à la confection de la présente anthologie. Récusant la trop convenue et passablement peu pertinente dichotomie entre « libéralisme politique » et « libéralisme économique », elle intègre naturellement les penseurs libéraux de tous temps et tous pays, en veillant à faire enfin toute leur place légitime à nombre d’auteurs français jusqu’alors trop méconnus mais aussi aux auteurs allemands, italiens et espagnols. Sur le fond, la volonté de restituer la diversité des courants de pensée constitutifs de la grande famille libérale nous a conduits à élargir le corpus jusqu’à ses franges opposées et peu connues : les libertariens américains d’une part, et les libéraux « progressistes » (Oppenheimer, Gobetti…) de l’autre, sans toutefois y ranger les liberals d’outre-Atlantique dont tout le monde sait maintenant qu’à cause du sens totalement différent qu’y a le terme « libéral », ils s’apparentent à ce qu’on nomme social-démocratie en Europe. Sur ces choix et critères de sélections intellectuels et éditoriaux, toutes explications sont données dans l’introduction générale et la séquence intitulée Chemins de traverse.

Dans l’anthologie elle-même, une présentation purement chronologique nous a paru trop schématique, impropre à rendre compte de l’évolution des conceptualisations et des préoccupations des penseurs libéraux au fil du temps. Aussi bien se trouve-t-elle combinée à une articulation thématique qui a parfois pour conséquence de faire apparaître le nom de certains auteurs particulièrement polyvalents dans des sections différentes, ou de faire voisiner des textes d’inspiration similaire afin de souligner l’extrême et consensuelle importance accordée à un thème dans un «moment» historique et politique donné.

Toujours introduits par de brefs chapeaux les situant dans l’œuvre de l’auteur et son contexte, les textes retenus sont de nature variée. Aux côtés de ceux que leur notoriété et leur caractère fondateur ont rendus incontournables en figurent d’autres, bien moins répertoriés quoique provenant de penseurs célèbres ou signés d’auteurs malencontreusement retombés dans l’ombre mais qui ont en leur temps illustré un aspect singulier et fécond du libéralisme ou ont significativement contribué à l’élaboration polyphonique de ce dernier – Boisguilbert, Condillac, Humboldt, Ch. Comte, Dunoyer, Spooner, Röpke par exemple et parmi bien d’autres. Enfin, les rares auteurs importants qui, pour des raisons méthodologiques (impossibilité de circonscrire des passages suffisamment continus pour synthétiser leur propos ou en rappeler un point fort), n’ont pu figurer dans le corpus de textes proposé ne sont pas oubliés pour autant : l’essentiel de leur pensée et de leur œuvre est en effet évoqué dans le Dictionnaire des penseurs libéraux.

Anthologie des penseurs libéraux - Contrepoints

Une anthologie des penseurs libéraux aux Belles Lettres

Par Damien Theillier (01.09.2012)

Après Les libéraux, le recueil de Pierre Manent en 1986, voici Les penseurs libéraux, par Alain Laurent* et Vincent Valentin*, aux éditions des Belles Lettres. Un travail plus complet et approfondi. Car loin de se cantonner à la présentation des textes, les auteurs et leurs extraits sont remis en perspective dans plusieurs essais critiques. Outre le choix de plus d’une centaine de textes, une généalogie inédite du mot « libéralisme » est proposée par Alain Laurent, ainsi qu’un dictionnaire exhaustif des auteurs libéraux, d’une soixantaine de pages. Par ailleurs, des « chemins de traverse » documentent et élargissent la connaissance des notions et figures du libéralisme, au gré d’approches originales et d’excursions intellectuelles hors des sentiers battus… Enfin, l’avant-propos de Vincent Valentin est un livre à lui tout seul : 80 pages sur “L’idée libérale et ses interprètes”.

Le choix n’a pas été fait d’une présentation purement chronologique des textes. Ils sont classés par familles historiques, par courants de pensées, de la Renaissance à nos jours. On y trouvera aussi bien les libertariens américains que les libéraux progressistes (à l’exception des liberals anglo-saxons, qui s’apparentent davantage au socialisme). On y trouvera des écrits classiques (Smith, Kant, Bentham, Tocqueville, Spencer, Hayek) et d’autres plus originaux et inattendus (Jurieu, Courier, Cobden, Guyot, Oppenheimer, Croce…). Nombre d’entre eux étaient introuvables à ce jour : Boisguilbert, Condillac, Humboldt, Ch. Comte, Dunoyer, Spooner, Röpke par exemple et parmi bien d’autres. Les textes sont toujours introduits pas de brefs chapeaux, les situant dans l’œuvre de l’auteur et son contexte.

Enfin, les rares auteurs importants qui, pour des raisons méthodologiques, n’ont pu figurer dans le corpus de textes proposé ne sont pas oubliés pour autant : l’essentiel de leur pensée et de leur œuvre est en effet évoqué dans le Dictionnaire des penseurs libéraux.

Le libéralisme demeure un objet mal identifié, dont les fondements théoriques et la diversité des thématiques sont méconnus. C’est pourquoi l’objet de cet ouvrage, inédit par l’ampleur et la variété de son corpus est de mieux savoir ce qu’est le libéralisme, dans toutes ses dimensions, pas seulement économique mais aussi philosophique, politique, morale et culturelle, de donner la parole aux penseurs qui l’ont édifié et prendre appui sur les textes.

Une anthologie des penseurs libéraux aux Belles Lettres - Institut Coppet

Les penseurs libéraux

Par Fabrice Copeau (14.09.2012)

Depuis la sortie, en 1986, de l’ouvrage de référence de Pierre Manent, Les Libéraux (Gallimard), aucune somme n’a été véritablement consacrée à ce courant pourtant essentiel de la vie des idées contemporaines. Bien sûr, le libéralisme fait l’objet de divers débats. Il est, d’une certaine manière, au centre de la vie politique. Mais, lorsqu’il est mentionné, il est presque toujours dévoyé, dénigré, caricaturé et, au final, incompris. D’innombrables personnes de bonne foi et intelligentes, un peu trop pressées pour s’écarter du discours tenu quasi unanimement par les médias et les politiques, pensent que le libéralisme est grosso modo l’incarnation du mal et le degré zéro de la réflexion politique.

Pierre Manent avait, en son temps, eu le mérite de mettre à bas ces vieilles lunes. Il expliquait, en particulier, que le socialisme, l’étatisme, le dirigisme, ne sont que des ombres inversées du libéralisme. Que ces courants n’existent que par leur opposition au libéralisme. Il se faisait donc fort de déconstruire ces images d’Épinal en proposant à ses lecteurs une série de textes essentiels d’auteurs libéraux. Il y montrait à quel point le libéralisme a été la force motrice des sociétés industrielles, parfois du reste à son corps défendant. Il y pointait, enfin, le paradoxe suivant : les adversaires, certes, mais aussi les partisans du libéralisme en ont oublié ses fondements. Les textes essentiels ont été effacés des mémoires. Les grands libéraux sont tombés dans l’oubli. Partant de la Glorious Revolution qui secoua la monarchie britannique en 1688-89, puis de la Révolution française, Pierre Manent a ainsi montré que la séparation de l’Église et de l’État, la représentativité, le caractère sacré du droit de propriété, sont au cœur du monde nouveau que façonnent les libéraux. Et aussi de ses penchants les plus dangereux, tels que l’esprit révolutionnaire. Dans son Histoire intellectuelle du libéralisme (paru en 1987), il prolongera d’ailleurs ces différentes réflexions.

La vocation première de la somme que propose aux Belles Lettres Alain Laurent et Vincent Valentin est, déjà, de mettre à jour cette anthologie. Les auteurs proposent ainsi un corpus pluraliste d’auteurs d’ampleur inégalée, de tous temps et de tous pays – dans lequel les Français sont assez présents, poursuivant en cela les travaux de Murray Rothbard. Toujours introduits par de brefs chapeaux les situant dans l’œuvre de l’auteur et son contexte, les textes retenus sont de nature variée. Aux côtés de ceux que leur notoriété et leur caractère fondateur ont rendus incontournables en figurent d’autres, bien moins répertoriés quoique provenant de penseurs célèbres ou signés d’auteurs malencontreusement retombés dans l’ombre mais qui ont en leur temps illustré un aspect singulier et fécond du libéralisme ou ont significativement contribué à l’élaboration polyphonique de ce dernier

Mais, et c’est bien cela le principal, cet ouvrage apporte beaucoup plus qu’une simple compilation de textes d’intérêt varié. Il s’accompagne en effet d’une approche plus thématique, une sorte d’appareil complexe d’aide à la lecture. C’est en cela que l’ouvrage est véritablement inédit.

Il prend tout d’abord son envol grâce à une longue introduction puis une annexe dans laquelle les termes fondamentaux de libéral, de libéralisme, de néo-libéralisme, sont explicités et exposés, dans leur développement et dans leur complexité. Les problématiques globales de l’histoire de la pensée libérale sont présentées à la lumière de sa situation contemporaine.

De plus, un dictionnaire exhaustif des penseurs libéraux comptant 130 notices bio-bibliographiques, vient fort justement compléter la lecture du Dictionnaire du libéralisme, dirigé par Mathieu Laine et publié au printemps dernier.

Enfin, et surtout pour votre serviteur, une partie, intitulée « Chemins de traverse » vient apporter nombre de précisions indispensables pour qui veut comprendre ce qu’est le libéralisme. D’innombrables clarifications lexicales, d’examens de grands thèmes revisités de la pensée libérale, sont apportées par deux auteurs qui, manifestement, maîtrisent parfaitement leur sujet. Les 90 entrées des « Chemins de traverse » renseignent d’une manière rigoureusement documentée sur la lexicographie et revisitent les grandes thématiques libérales au gré d’approches transversales ou critiques et d’excursions intellectuelles insolites hors des sentiers battus…

Autant de points de repères et de références qui devraient permettre au lecteur de disposer d’un véritable outil intellectuel intégré pour s’orienter dans la découverte d’une longue tradition de pensée toujours vivante, traversée de tensions fécondes et donc bien plus complexe que ne le donnent à croire trop d’appréciations idéologiquement réductrices, volontiers antithétiques.

Les penseurs libéraux - Contrepoints

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Par Thierry Guinhut (12.11.2012)

Abondante anthologie ordonnée, « Les penseurs libéraux » est à la fois un vadémécum, un résumé fort réussi de l’histoire de la pensée, une constitution philosophique libérale portative, mais aussi une invitation à former une plus intégrale collection des nombreux ouvrages fondamentaux.

D’où vient-il que nous puissions être libres ? À moins qu’il s’agisse d’une erreur de perception et de jugement, si l’on tente de considérer tour à tour liberté biologique, géologique, morale, intellectuelle, économique et politique… Reste, à moins d’avoir peur de la liberté, et de son insécurité constitutive, qu’elle est notre meilleure chance de développement. C’est ainsi qu’au cours de notre histoire les philosophes politiques réunis sous l’égide des Penseurs libéraux ont pu venir à notre secours pour assoir non seulement notre entendement et notre réalité libres, mais aussi notre enrichissement et notre bien-être.

Ai-je la liberté d’avoir ce corps, ce patrimoine génétique issu de la loterie des êtres et d’une évolution darwinienne, ces forces et ces faiblesses, ces prédispositions à la santé ou aux maladies, d’avoir cette psychologie et ce tempérament, sans compter ce quotient intellectuel et affectif, quelque chose entre don des dieux et Némésis, entre cette grâce et ce libre-arbitre discutés par Saint-Augustin… Et d’être né sous cette condition matérielle, organique, parmi cette ère géologique, sur tel continent et pays, dans tel moment historique, plus ou moins favorisé de famine ou d’abondance, de génocide ou de liberté ? De plus, la psychanalyse a douté de l’autonomie de la raison, empêchée par le contenu parfois monstrueux de l’inconscient ; sans compter, de manière plus pertinente, le goût pour l’irrationnel, la tyrannie (qu’elle soit fasciste, théocratique ou communiste) et le mal de nombre de nos frères trop humains. Ce serait tomber dans un angélisme suicidaire que de nier ces nombreuses pierres d’achoppement sur le chemin d’une constitution du soi libre et d’une société des libertés.

Chez les Grecs, est libre celui qui n’est pas esclave, qui est citoyen, délivré de la tyrannie par le soin de la démocratie. Grâce à la Réforme protestante, un pas est franchi vers la liberté individuelle lorsqu’à chaque croyant est licite de lire le texte sacré de la Bible, au point que cette liberté de lecture et d’interprétation ne soit pas étrangère à l’éthique économique protestante constitutive de l’esprit du capitalisme [1]. De même, la séparation de l’Église et de l’État, dès le « Rendez à César ce qui est à César » de l’Évangile, caractéristique de la tradition gréco-romaine et du christianisme, en passant par le libre-arbitre de Saint Thomas d’Aquin, contribue à la liberté en tant qu’il s’agit de récuser non seulement la théocratie, mais aussi, implicitement, une idée théocratique de l’État, hélas infuse dans le concept de « volonté générale » présent dans le principe du socialisme, a fortiori dans celui du communisme, et tel qu’énoncé par Rousseau : « Il importe donc pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État et que chaque citoyen n’opine que d’après lui. [2] »

Cependant, lors de la révolution anglaise, en passant par Milton et sa « liberté d’imprimer sans autorisation ni censure » – dans laquelle il exige : « Par-dessus toutes autres libertés, donnez-moi celle de connaître, de m’exprimer, de discuter librement selon ma conscience [3] » -, puis par les Lumières, l’idée de liberté ira plus loin encore dans la séparation des inséparables. La séparation des pouvoirs, de Locke à Montesquieu, permettra de fragmenter et d’individualiser les décisions, qu’elles soient publiques ou personnelles. De plus en plus, l’émergence de la volonté individuelle fonde le rejet du souverain absolu, puis de l’État omnipotent. Le laissez-faire économique, anti-colbertiste puis anti-keynésien, devient également un laisser penser, un laisser vivre en paix. L’homme parvient alors à être le législateur de la société, au contraire d’une société législatrice de l’homme, y compris au moyen de sa subjectivité, au point que Shelley puisse aller jusqu’à écrire : « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde. [4] »

Depuis les sociétés holistes traditionnelles, jusqu’à l’individualisme contemporain, un progrès indéniable s’est fait jour, non seulement en matière d’autonomie de la personne humaine, mais aussi de reconnaissance de sa sécurité et de son bonheur, ce dernier terme étant inscrit dans la constitution des États-Unis. Lorsque la société civile permet que nous n’appartenions plus à un tyran ou à un Dieu, elle n’empêche pas pour autant la dimension sociale de l’individu, non au sens d’une captation obligée par le social mais au sens des interactions entre individus libres. La capacité à prendre des décisions personnelles et leur adéquation avec les événements et les faits sont les ressorts et les fins de la liberté. En toute logique, il y a cohérence sine qua non entre la liberté de conscience et des mœurs d’une part et la liberté économique, fondée sur la propriété et le capitalisme de concurrence et de contrat d’autre part.

À l’encontre des caricatures, cet individualisme n’est pas incompatible avec les sentiments moraux [5], l’empathie, l’amour, l’altruisme, étant entendu qu’individualisme s’oppose à collectivisme, quand altruisme s’oppose à égoïsme, quoique ce dernier soit, en sa capacité à contribuer à l’émergence de richesses privées et d’échanges profitant à la société entière, redoré par des auteurs comme Mandeville [6], Adam Smith [7] ou Ayn Rand [8]. L’agapè, la charité, qu’elle soit personnelle ou associative n’est pas persona non grata dans le cadre ouvert du libéralisme. La seule acceptation de l’individualisme d’autrui suffit à assurer une indispensable tolérance, une réciprocité, un équilibre enfin. Ce pourquoi le libéralisme moral, intellectuel et politique n’est pas dénué de règle assurant sa légitimité. En ce sens l’autonomie et l’indépendance de l’individu ne sont pleinement possibles que dans le cercle souple et polymorphe d’une société des libertés et de la croissance des possibilités, munis cependant de garde-fous : la liberté ne peut se passer d’un État assurant la sécurité des biens, des contrats et des personnes, au moyen de la justice, de la police et de la défense, qui sont ses fonctions régaliennes. De surcroît, jusqu’où doit-elle se munir d’un rempart répressif contre ce qui doit avoir la liberté de se dire, quoique en menaçant par sa prochaine tyrannie, idéologique puis factuelle, cette même liberté ? La question du voile intégral est à cet égard cruciale : liberté de conscience et de comportement, ou bien prosélytisme de l’oppression de l’individu et plus particulièrement de la femme…

Qu’est-ce qu’un libéral ? La réponse nous est donnée par Jean-François Revel : « un libéral est celui qui révère la démocratie politique, j’entends celle qui impose des limites à la toute-puissance de l’État sur le peuple, non celle qui la favorise. C’est en économie, un partisan de la libre entreprise et du marché, bref du capitalisme. C’est enfin un défenseur des droits de l’individu. Il croit à la supériorité des sociétés ouvertes et tolérantes » (p 744). En ce sens, Jean-François Revel est cohérent avec le Karl Popper de La Société ouverte et ses ennemis [9] qui voit, de Platon à Marx, en passant par Hegel, la menace philosophique de l’absolutisme d’État ossifier nos civilisations…

Ne faut-il pas rétablir l’évidente solution de continuité entre la liberté de conduire sa vie et celle d’entreprendre, par le biais de la propriété individuelle et du capitalisme ? N’en doutons pas, l’histoire et la géographie économiques parlent assez en faveur de cette thèse. En effet, plus les économies sont administrées par l’État, soumises à une suradministration, au matraquage fiscal qui se veut redistributeur et égalisateur, de l’État-providence pré-thatchérien au communisme soviétique, en passant par le socialisme français des trois dernières décennies, plus elles ont vu s’affirmer leur échec, s’appauvrir leur population, stagner et péricliter leur croissance. Ludwig von Mises, dès 1920, avant que l’Union soviétique ait montré de manière éclatante son impéritie, « démontra qu’il est impossible de construire un système économique viable sans concurrence libre et sans propriété sur le capital. » (p 633). Il répond également à ceux qui rejettent le darwinisme social du libéralisme en objectant que « par la division du travail et l’échange, le libéralisme pacifie la société, alors que le marxisme, à travers la lutte des classes, valorise l’idée de lutte pour la vie qui fait l’essentiel du darwinisme sociologique » (p 634). Sans compter que la redistribution confiscatoire du socialisme, décourageant les initiatives, parvient à généraliser la tyrannie, la médiocrité et la pauvreté.

Néanmoins, pour tout penseur rationnel, sans compter ses abondants détracteurs, sinon calomniateurs, le libéralisme n’est pas une panacée absolue aux maux de l’humanité, en particulier économiques. Reste ouverte en effet la question de l’égalité d’accès aux richesses. Que le développement soit possible et souhaitable pour ceux qui sont entreprenants ne suffit pas toujours à assurer l’essentiel à ceux qui ont de bien moindres qualités, aux démunis. Récompensant le travail, le mérite et la responsabilité, doit-il – et jusqu’où doit-il ? – pratiquer la redistribution en faveur des défavorisés, de façon à établir cette justice sociale qu’Hayek [10] sait illusoire, mensongère et tyrannique ?

N’y-a-t-il pas à cet égard une actualité de Tocqueville : « L’Ancien Régime professait cette opinion, que la sagesse seule est dans l’état, que les sujets sont des êtres infirmes et faibles qu’il faut toujours tenir par la main, de peur qu’ils ne tombent ou ne se blessent ; qu’il est bon de gêner, de contrarier, de comprimer sans cesse les libertés individuelles ; qu’il est nécessaire de réglementer l’industrie, d’assurer la bonté des produits, d’empêcher la libre concurrence. L’Ancien Régime pensait sur ce point, précisément comme les socialistes d’aujourd’hui ». (p 425). Ou encore : « la démocratie veut l’égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et la servitude ». (p 426). Pensons qu’il s’agissait là d’un « Discours contre le droit au travail » prononcé en 1848. Devant l’avalanche du « droit à » et de la dictature du besoin dénoncée par Ayn Rand [11], que sont devenus devoir, mérite, liberté, et responsabilité ?

Ce sont tous ces auteurs que l’on trouve dans ce fort volume : Les Penseurs libéraux. Voltaire et son éloge du commerce, Adam Smith et la main invisible du marché, depuis La Boétie et son Discours de la servitude volontaire, en passant par le Traité de tolérance universelle de Pierre Bayle, les Français font jeu égal avec les Anglo-saxons, de Milton et Locke, en passant par John Stuart Mill et La désobéissance civile de Thoreau, jusqu’à l’école de Chicago et Milton Friedman… Les grands du libéralisme classique sont ici à l’honneur : Kant bien sûr, Hayek et sa Route de la servitude, qui établissait la congruence du national-socialisme allemand et du communisme, Mario Vargas Llosa ironisant contre « l’exception culturelle », ou Pareto dénonçant « le péril socialiste »… Mais connaissez-vous, en des textes parfois jusque-là indisponibles, Ortega y Gasset, Jurieu, Laboulaye, ou Lysander Spooner qui affirme que « le vote ne fonde aucune légitimité » et qui s’insurge contre « l’État bandit » ?

L’ouvrage d’Alain Laurent et Vincent Valentin remplace alors, in nucleo, une bibliothèque entière, luttant par ailleurs à armes plus nombreuses avec un précédent de Pierre Manent : Les Libéraux [12]. Son abondante anthologie ordonnée est à la fois un vadémécum, un résumé fort réussi de l’histoire de la pensée, une constitution philosophique libérale portative, mais aussi une invitation à former une plus intégrale collection des nombreux ouvrages fondamentaux. Du « libéralisme renouvelé par l’acceptation partielle de la critique socialiste » (p 746) de Raymond Aron à l’anarchocapitalisme de Murray Rothbard dont « le laissez-faire intégral » ne peut s’accoutumer de l’État « ennemi naturel de la liberté » (p 802), tout le spectre libéral est couvert.

Plaidant non seulement la cause du libéralisme, mais encore celle de l’équité qui réclame que l’on rende à cet immense courant de pensée et de regard sur le réel toute sa dignité humaine et philosophique contre ses détracteurs, le plus souvent ignorants et aveugles, à moins de considérer qu’ils veulent garder les places acquises qui leurs permettent de vivre au dépens de tout le monde, ce livre ambitieux, certes pas d’un accès simplissime, n’est jamais démagogique. Pour ce faire, il se présente en trois parties : une vaste introduction, « L’idée libérale et ses interprètes » ; une plus vaste encore « Anthologie », thématique et chronologique, de « L’émergence du libéralisme contre l’absolutisme », jusqu’à l’actuel « courant libertarien » ; de nombreuses annexes enfin, de la complexe « généalogie d’un mot : libéralisme », en passant par un dictionnaire, jusqu’à une bibliographie. Livre savant, livre de chevet, aux argumentations beaucoup plus accessibles et claires que ce que le méfiant lecteur aurait pu craindre…

À l’heure française, trop française, où la séparation des pouvoirs, en particulier politique et économique, devient de plus en plus un vain mot, où la liberté d’entreprendre, voire de conscience et d’expression, est fragilisées, il manque à nous tous une fondamentale porte de liberté : elle s’ouvre alors en osant le courage d’affronter les idées roboratives et dynamiques contenues dans Les Penseurs libéraux. Ses 900 pages, généreuses, encyclopédiques, comblent une lacune d’importance devant la pléthore d’ouvrages d’inspiration marxiste plaidant l’interventionnisme et la régulation économique qui formatent sans discernement les esprits. Faut-il espérer qu’en la noble compagnie d’initiatives comme le Dictionnaire du libéralisme [13] et le collectif Libres! [14], cet opus magnus qu’est Les Penseurs libéraux soit le signe d’un juste infléchissement de la pensée contemporaine et à venir ? Car il n’y a pas de philosophie politique sans libéralisme.

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux (contrepoints.org)

Les penseurs libéraux

Une recension de Pierre-Henri Tavoillot (25.10.2012)

1. La tolérance et le droit

Le libéralisme, aujourd’hui tant honni, a pourtant émergé jadis comme principal adversaire de l’absolutisme. Face aux impasses des prétentions du droit divin, les premiers libéraux (Milton et Locke) s’attachent à déconnecter la politique de la religion. Puisque aucun accord n’est possible en cette matière, il faut tenter de fonder l’ordre politique sur d’autres bases : lesquelles ? Des bases juridiques, qui seraient déduites non des textes sacrés mais de la nature humaine elle-même. C’est ainsi que les idées de tolérance et de constitution sont nées et, par là même, les droits de l’homme.

2. Éloge de la société civile

Ce fut un bouleversement métaphysique : l’on pouvait regarder les communautés humaines non comme des chaos informes mais comme des ordres autoconstitués, voire harmonieux. La société, et les individus qui la composent, ont une existence en dehors de l’État. Tel est le grand message libéral qui ouvre ainsi l’âge d’une vaste critique de l’Etat : jusqu’où son action est-elle nécessaire ? Où commence son pouvoir de nuisance ? C’est là que les nuances ou les franches oppositions vont apparaître au sein du camp libéral. Pour certains, l’action de l’État de droit est acceptable tant qu’elle respecte le primat de liberté. Pour les autres, qui se rapprochent de l’anarchisme, l’action de l’État est toujours néfaste et doit être strictement limitée.

3. L’ordre et la liberté

Laurent et Valentin ont privilégié ici l’exploration de cette seconde voie. L’idée ne manque pas de force : la société des hommes est un tissu si complexe que l’ordre qu’elle produit est comme un écosystème dans lequel on ne peut intervenir qu’avec prudence sauf à produire nombre d’effets pervers. Ce choix explique l’exclusion de cette anthologie critique des « liberals » américains. Car il s’agit de penseurs qui, à l’instar de John Rawls, restent partisans du Welfare State (État providence). D’ailleurs, le terme « liberal » est, aux États-Unis, à peu près synonyme de social-démocrate chez nous. Ce qui n’est pas pour rien dans la confusion qui règne sur le libéralisme, chez ses partisans comme chez ses adversaires, ou plutôt qui y régnait… avant ce livre.

Livre : Les penseurs libéraux | Philosophie Magazine (philomag.com)


Ce recueil contient de brefs résumés de la vie et des idées de dix-huit penseurs libéraux classiques du siècle et demi dernier. Ensemble, ces courts essais biographiques racontent l’évolution de la pensée libérale classique à mesure que les avantages de la liberté se sont étendus, bien que de manière inégale et parfois interrompue, dans le monde entier. Et ils indiquent la voie à suivre vers un avenir où la richesse et le bien-être continueront de croître, et ce au profit de tous.

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