Faut-il privatiser la Justice ?


Les relations détestables entre les hommes politiques et les juges dans les affaires politico-financières polarisent le débat sur la justice et les juges d'instruction. L'origine de cette défiance à l'égard de la justice vient essentiellement de l'inadéquation entre le temps médiatique de la mise en examen et celle de la décision de relaxe ou de condamnation du juge qui arrive souvent, dans les affaires compliquées comme dans celles qui sont simples, des années après. Ce délai, de l'avis des hommes politiques eux-mêmes, pour ceux qui seront relaxés a créé des dommages importants dans leur carrière en altérant leur réputation. Ce qui crée un sentiment d'injustice de la part du justiciable à l'égard de ceux qui sont en charge de rendre « justice » : juges et magistrats. Ce qui est vrai des hommes politiques est vrai de n'importe quel justiciable. Les magistrats pour leur défense imputent ces délais aux manques de moyens et réclament une augmentation du budget de la justice pour pallier ces déficiences. Mais que vaut cet argument ? N'est-ce pas plutôt l'institution elle-même qu'il faut remettre en cause ?




Professeur émérite d'économie à l'Université de Paris II Panthéon-Assas est membre du Centre de Recherche en Economie et Droit (C.R.E.D.) de Paris II et Research Fellow à l'International Center for Economic Research (I.C.E.R.) Turin. Il est aussi membre de l'American Economic Association et de la prestigieuse Mont Pèlerin Society. Outre les publications scientifiques il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont le marché du mariage et de la famille (1988 Presse Universitaires de France, PUF), Economie du droit (1991 Editions Cujas), la morale face à l'économie (2005 Editions Organisation) et d'un manuel d'e-learning intitulé Microéconomie : théorie et applications (1996-2008 ; lemennicier.bwm-mediasoft.com)




Pourquoi l'État devrait-il avoir un rôle fondamental dans la création, la production et l'organisation des institutions en charge de faire respecter le droit ? Pour beaucoup de juristes et même d'économistes se poser une telle question est incongrue. La justice serait un attribut de la souveraineté de l'État par excellence.

Mais alors pourquoi tout le monde se plaint-il de la justice, de ses lenteurs, des mauvais jugements, de son absence d'indépendance, de ses biais idéologiques ? La réponse de l'économiste est simple. On s'en plaint parce que le monopole de la justice est similaire à celui de l'éducation nationale ou des postes. C'est là que le raisonnement économique entre en jeu. La justice ne se différencie pas fondamentalement des autres biens et services. Prétendre que la justice est un bien ou un service différent des autres tient plus de l'art de la rhétorique que de l'argumentation raisonnée. Les dysfonctionnements que l'on observe dans la justice ne diffèrent pas de ceux de l'éducation nationale.

Comme dans l'éducation nationale, où les étudiants viennent à l'université sans vocation particulière pour les études, des litiges, qui ne valent pas un procès, encombrent les tribunaux. Comme dans l'éducation nationale, la justice est au service de ceux qui produisent le droit, le législateur, et non pas au service de ceux qui demandent justice, les victimes qu’il s’agisse d'un crime de sang, d’un délit ou d’un dommage civil.

Comme pour l'éducation nationale les services fournis par la justice sont gratuits. Faute d'un système de prix, personne ne sait dans quel domaine judiciaire il faut investir ses efforts ou ses ressources. Le refus de faire payer les consommateurs des services de justice crée une demande excédentaire et des files d'attente. Les procès durent des mois. Cette attente crée de l'incertitude et est à la source d'une mauvaise qualité du droit.

Les magistrats, à l'abri de la compétition, au nom de leur indépendance, comme pour les professeurs de l'enseignement supérieur, peuvent poursuivre leurs intérêts et idéaux personnels sans à avoir à rendre des comptes. Ils imposent leur conception de la justice indépendamment des autres conceptions du droit que peuvent avoir les plaignants ou des magistrats étrangers ou encore des professeurs de droit.

On recrute les magistrats par concours, on les forme à l'abri de la compétition dans une école nationale : celle de la magistrature. Il suffit de contrôler l'enseignement de cette école pour former des générations de juges qui auront le pouvoir d'imposer une vision particulière de la justice tout au long de leur vie ! La protection des juges contre l'arbitraire d'un pouvoir politique ne protège pas le consommateur de justice contre l'arbitraire des juges.


Les juges eux-mêmes méconnaissent ou font semblant de méconnaître les inconvénients majeurs de la cooptation par des pairs qui est source constante de haine et de conflits dans la profession. Enfin, les auxiliaires de la justice ont maintenu, comme au temps des corporations, des privilèges et des parts de marché en cloisonnant les spécialités et le territoire. Il faut une bonne dose d'inconscience pour venir se plaindre du mauvais fonctionnement de la justice devant une telle structure institutionnelle.

Peut-on attribuer à cette nationalisation de la justice sa pauvreté, sa rigidité sa mauvaise qualité ainsi que le mauvais fonctionnement de la justice ? La réponse est positive. Le refus de privatiser la justice et de mettre en compétition les diverses sources du droit reste le meilleur moyen de maintenir une justice injuste et inefficace dans notre pays. C'est ce que nous voudrions démontrer dans cet essai.

Un tel débat sur la privatisation de la justice en rappelle un autre particulièrement vif chez les économistes : celui de la concurrence des monnaies. Faut-il produire la monnaie de manière hiérarchisée et centralisée avec une banque centrale indépendante et une constitution monétaire ou au contraire laisser la compétition s'instaurer entre les monnaies ? Banque libre et concurrence monétaire assurent-ils mieux la stabilité monétaire qu'un monopole de la banque centrale soumis au pouvoir politique ou au pouvoir de quelques individus inamovibles et indépendants du législateur (1)?

L'analogie est plus profonde qu'il n'y paraît à première vue. L'usage d'une certaine monnaie comme d'un certain droit est une coutume qui émerge spontanément de l'interaction individuelle sans qu'il soit dans les intentions des gens de la faire émerger. Comme le droit, la monnaie résout des problèmes liés aux transactions, elle facilite les échanges et contribue à l'expansion du marché. Comme le droit, plus il y a de gens à adopter le même moyen de paiement (ou les mêmes normes de droit), plus elle rend des services. Plus il y a de gens à s'en servir plus elle économise des coûts de transaction et plus elle s'impose d'elle-même.


La majorité des économistes ne prêtent pas une attention aussi sérieuse qu'ils le devraient à la possibilité d'une justice privée et d'une concurrence entre les sources de droit, non pas parce qu'ils méconnaissent les vertus de la compétition et de la privatisation, mais parce qu'on leur enseigne, sans réflexion critique, que le droit ne pourrait être produit sans l'usage de la contrainte publique, que le droit présente des caractéristiques propres tel qu'il est indispensable d'avoir une institution qui arbitre en dernier ressort les conflits pour faire respecter de façon ultime les décisions de justice. Dans un tel cas d'espèces, seul l'État serait en mesure de produire de manière efficace le droit. Pourquoi les hommes d'État refusent la concurrence des monnaies et leur privatisation ? Parce que le monopole de la monnaie est un moyen de prélever l'impôt d'inflation et le monopole de la justice un moyen pour les hommes politiques de se mettre "légitimement" hors la Loi ou au-dessus des Lois si nécessaire.

Paradoxalement le juriste et l'historien sont plus familiers avec les notions de justice privée ou de compétition entre les diverses sources du droit. L'histoire des institutions juridiques démontre, en effet, amplement l'existence et l'efficacité de cette privatisation et de cette compétition. Les meilleurs exemples historiques que l'on puisse proposer sont la loi des marchands du XII e siècle et le droit islandais (2) qui s'est développé pendant trois siècles sans État, le droit maritime international en matière de cabotage ou le droit religieux juif en matière de mariage et divorce contemporain. Pour démontrer quels bénéfices nous pourrions tirer d’une privatisation de la justice, nous allons organiser cet essai de la manière suivante.


Dans un premier temps nous allons rappeler les chiffres et faire un constat d'échec sous le titre les raisons fondamentales de la faillite du système judiciaire français : monopole, nationalisation, centralisation bureaucratique, gratuité du service.

La structure institutionnelle du système judiciaire français : monopole, nationalisation et bureaucratisation engendre des effets pervers bien connus : file d’attente, mauvaise qualité des services, gaspillage des deniers publics, hiérarchisation qui ossifie les doctrines juridiques, perte de crédibilité, justice parallèle, injustice des jugements, corruption des juges etc. A cela s’ajoute, dans le cadre d’un régime politique particulier, la démocratie, une production du droit et de la législation sous l’influence d’une variété de groupes de pression aux intérêts antagonistes qui rend les jugements, sur le fond, incohérents et déstructurés.

Devant les défaillances du système judiciaire la question de se tourner vers des modes alternatifs de résolution des conflits, arbitrage privé, médiation, etc., est à l’ordre du jour. Cette solution doit être mise en parallèle avec des solutions d'externalisation de la justice en autorité administrative indépendante, en service délégué ou en concession sans abandon du monopole. Cette attitude réformiste ne peut résoudre le problème fondamental posé par le monopole lui-même qui est issu, comme pour la monnaie, la police ou l’armée, d’une volonté politique de concentrer dans les mains d’une seule personne (ou d’un petit nombre de personnes) le pouvoir d’arbitrer de façon ultime les conflits entre les individus. Ces pouvoirs sont nécessaires et complémentaires pour « légitimer la souveraineté » de la faction politique qui exerce son pouvoir de taxation sur un territoire donné (3).

La solution révolutionnaire ou contre révolutionnaire consiste à abandonner le monopole de la justice et revenir à la justice privée et concurrentielle. Mais une telle solution est–elle viable dans une grande société ouverte où des individus, anonymes, poursuivent des objectifs multiples et différents souvent incompatibles entre eux pour reprendre l’argument de F. Hayek (1973)(4)?


La méthode que nous adopterons sera la suivante : nous proposerons une théorie pure du droit en absence d’État, c'est-à-dire une théorie pure du droit aux antipodes de celle de Hans Kelsen(1953)(5). Pour cela, nous développerons les concepts fondamentaux d’émergence spontanée des droits de propriété et de l'échange volontaire de ces droits comme de leur évolution par division, mutation et création. Les sources de conflits que l'on peut attendre de la définition ou de l’échange volontaire de ces droits donne naissance à une demande d'arbitrage pour les résoudre. Cette demande génère, en retour, une offre de procédures de résolution des conflits qui va engendrer un système de justice privé concurrentielle. Celle-ci donne naissance à un ordre juridique spontané et stable dont la caractéristique essentielle est qu’il ne souffre pas, par définition, des défauts du système public et monopolisé de la justice contemporaine. Ce qui ne veut pas dire que cette offre privée de procédures de résolution des conflits est sans défaut, la perfection n’est pas de ce monde. Comme le rappelle Bruno Léoni (1961)(6) :

« Substituer la législation aux règles de droit qui émergent spontanément de l’interaction individuelle n’est pas défendable à moins qu’il soit prouvé que ces dernières sont incertaines ou insuffisantes ou qu’elles engendrent des maux que la législation pourrait éviter tout en maintenant les avantages de celles-ci »

En revanche, un tel système de justice privée implique une transformation du droit ou des doctrines juridiques qui s’aligne sur les intérêts des victimes et ou de leurs ayant- droit. Il bouleverse notre conception du droit. Il bouleverse aussi notre conception de l’État puisqu'à l’abandon de la souveraineté monétaire s’ajoute la disparition d’un autre pouvoir régalien : celui de la justice.



(1) Question d’une brûlante actualité puisque le monopole d’émission de la monnaie et la manipulation des taux d’intérêt à la baisse par les autorités politiques américaines, pour faciliter l’accès à la propriété des ménages pauvres, a engendré une crise financière mondiale jugée particulièrement importante compte tenu du poids des activités financières dans les économies contemporaines. Depuis la suppression de l’étalon Or par les gouvernements occidentaux, pour ne pas respecter la discipline monétaire qu’il imposait à tous, nous vivons dans une société où on ne peut plus éteindre ses dettes. En effet, le papier monnaie était lui-même une dette ayant pour contrepartie réelle une monnaie marchandise appelée « Or ».
(2) David Friedman (1979) « Private Creation and Enforcement of Law : A Historical Case” The Journal of Legal Studies (march)
(3) Ceci est bien illustré par l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La perte de la souveraineté monétaire, c’est-à-dire du pouvoir de détruire la valeur nominale des dettes publiques par l’inflation et donc de spolier les prêteurs, empêche les gouvernants d’emprunter plus qu’ils ne peuvent taxer.
(4)Friedrich Hayek, (1973), Law, Legislation and Liberty, Vol 1,2 and 3, Routledge and Kegan Paul, London
(5)Hans Kelsen (1953) Théorie pure du Droit, Editions de la Baconnière, Neuchatel, collection « Etre et penser » Cahier de philosophie.
B(6)Bruno Léoni (1961), Freedom and the Law, Nash Publishing Los Angeles.

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