Réformons notre représentation parlementaire (1)
Le Sénat a connu son heure
de gloire cet été avec l’affaire Benalla. La persévérance et la détermination
du président Bas ont été saluées unanimement. Beaucoup de commentateurs de la
vie politique et institutionnelle ont vu là une justification du rôle du Sénat.
C’est une erreur. Le Sénat a pour fonction de voter la loi, de contrôler l’action
du gouvernement, de veiller à la dépense publique et d’assurer le respect de la
Constitution. En cela, le Sénat a fait le travail que n’a pas réalisé l’Assemblée
nationale. Pourquoi ? La naïveté pourrait nous amener à croire que le Sénat
a agi par vertu républicaine. J’ose être naïf à l’égard du président Bas. Mais
cette vertu aurait-elle été la même si le Sénat avait été aux mains de La
République en Marche. Permettez-moi d’en douter. L’Assemblée nationale, de son
côté, a jeté un voile pudique sur sa vertu au profit de la discipline
partisane. On peut avancer, sans trop se compromettre, affirmer que ce
comportement aurait été le même quelle que soit l’orientation politique de la
chambre concernée. Aussi, ce n’est pas le Sénat qui est garant de la vertu
républicaine mais bien les droits reconnus à l’ (ou aux) opposition(s) parlementaire(s).
Le maintien de la chambre haute ne peut se justifier pour ce simple motif.
Les
mécanismes du parlementarisme rationalisé mis en place en 1958, conjugués avec
l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962
et le quinquennat, ont considérablement diminué le rôle des parlementaires.
Parallèlement, le droit européen, de la compétence du gouvernement et la valeur
supérieure des actes communautaire par rapport à la loi, marginalise le
Parlement.
Que faire du Palais du Luxembourg…
Renforcée dans ses
pouvoirs par la Constitution de la Ve République, l'institution a
souvent été critiquée. De l'extrême droite à la gauche, nombreuses sont les
personnalités politiques qui ont réclamé une réforme de la Chambre haute, voire
sa disparition.
Une
"anomalie parmi les démocraties"
L'idée n'a rien de
nouveau. En 1998 déjà, Lionel Jospin, alors Premier ministre de cohabitation
confronté à un Sénat à droite, avait jugé que l'institution était une
"anomalie parmi les démocraties", précisant ensuite qu'il était
"absolument nécessaire de réformer le Sénat".
Le député socialiste
des Hauts-de-Seine Alexis Bachelay membre du courant Cohérence socialiste, ne
verrait pas d'un mauvais œil la suppression du Sénat, comme il le suggérait
déjà en janvier 2014 sur France Inter : "Je suis très déçu en tant que
député de constater qu'il n'y a pas de vrai débat ni d'enrichissement des
textes entre le Sénat et l'Assemblée. (...) On ne comprend pas à quoi sert la
chambre haute, notamment par rapport à son mode d'élection et de
représentation. Elle est censée représenter la France rurale du XXe siècle, et
la France a bien changé. D'autre part, le mode d'élection indirect, à savoir un
collège d'élus essentiellement, ne permet sur le plan démocratique de
représenter de manière satisfaisante ni la diversité politique ni la diversité
des territoires". À défaut de suppression, le collectif suggère au moins
de réformer la chambre haute, cette "assemblée de notables",
notamment en faisant élire ses membres au scrutin direct et proportionnel et
non par de grands électeurs comme c'est le cas actuellement.
Mais la gauche n'est
pas la seule à s'en prendre aux sénateurs.
Lors d'une interview en
janvier 2014, à la question : « Faut-il
supprimer le Sénat ? », la présidente du Front national,
Marine Le Pen, a répondu : « Oui.
Je pense que dans des temps extrêmement difficiles, où il y a une inflation
d'élus, je ne vois pas plus bien à quoi sert aujourd'hui le Sénat ».
« Il y a des pays qui ont opéré la suppression de leur deuxième chambre,
par exemple la Suède. Ces pays considéraient que cette double chambre n'était
pas un plus sur le plan démocratique, mais un moins », avait poursuivi la
présidente du Front national.
"Chambre d'enregistrement"
Une perspective qui
semble même séduire le centre. "Par une réforme constitutionnelle, on
diminue le nombre de députés à l'Assemblée nationale, on supprime le Sénat et
le Conseil économique, social et environnemental, pour créer une assemblée des
territoires, sur le modèle du Bundesrat allemand", proposait en janvier
dans les colonnes de L'Opinion
Jean-Christophe Fromantin.
Daniel Cohn-Bendit
lui-même, se plaçant dans la lignée du général de Gaulle (sans rire), prône une
réforme de la chambre haute. "Je suis gaulliste parce que le premier qui a
tapé sur le Sénat, quand même, c'est de Gaulle. Et en 1969, il a été viré parce
que les Français ont dit non, mais la proposition de réforme qu'il avait du
Sénat allait dans la bonne direction", a déclaré vendredi sur Europe 1
l'ancien eurodéputé écologiste. Il souhaite faire de la Haute Assemblée une
"chambre des régions" et la "chambre de l'Europe".
Certains vont même plus
loin, à l'image de la sénatrice Catherine Procaccia qui, sans doute exaspérée
par les critiques visant la chambre haute, a suggéré pour sa part de
"supprimer l'Assemblée nationale". "Le Palais-Bourbon n'est
qu'une chambre d'enregistrement des décisions du président de la République et
du Premier ministre", argue-t-elle sur Twitter, en réponse à ceux qui ne
voient dans le Sénat qu'une "chambre d'enregistrement" des textes
votés par les députés.
Les pistes de réforme
La sénatrice socialiste
Laurence Rossignol a proposé de supprimer les votes à bulletin secret, pour
obliger les parlementaires à rendre compte de leur vote devant les citoyens.
Elle a été suivie par le président PS du Sénat, Jean-Pierre Bel, qui proposera,
a-t-il affirmé, « de revenir sur cette pratique et le
retour à la règle de droit commun, qui est le vote à main levée ».
Outre la transparence,
le mode d'élection et le profil des sénateurs sont fréquemment remis en cause.
Le projet de VIe République, défendu en son temps par Arnaud
Montebourg, prévoyait par exemple « l'élection
au suffrage universel direct pour cinq ans au scrutin proportionnel dans un
cadre régional ».
Les pourfendeurs du
Sénat dénoncent en particulier son manque de représentativité, avec une
surreprésentation des petites communes. Cette critique est liée au mode de
scrutin, indirect, utilisé pour élire les 346 sénateurs.
Les défenseurs du bicaméralisme
Les défenseurs du
bicaméralisme (deux chambres) rétorquent par toute une série d’arguments.
« Le Sénat n'est pas une anomalie démocratique : de très nombreuses
démocraties ont opté pour le bicamérisme, avec des secondes chambres parfois
moins modernes que le Sénat », précise au Monde.fr Vanessa Barbé,
maître de conférences en droit public à l'université d'Orléans.
Les partisans du Sénat
font observer que la navette législative, par la qualité du travail de l’élite
sénatoriale, permet souvent d’améliorer les textes au va-et-vient avec
l’Assemblée Nationale. « Le bicamérisme implique un examen contradictoire
et plus approfondi des textes avec des yeux différents », souligne Vanessa
Barbé. Le Sénat joue le rôle de
« refroidissement » du processus législatif. Mais l’Assemblée
nationale n’est pas un cheval fou, le travail en commissions assure ce rôle
modérateur. De toute façon l’assemblée a le dernier mot en cas de désaccord.
D’ailleurs seul ¼ des amendements sénatoriaux sont suivis d’effet selon Corinne
Bouchoux, sénatrice écologiste du Maine-et-Loire (juin 2014).
Le Sénat ne peut être dissous par le président de la République et rend
ses membres plus sereins et donc plus « sages ». Retirons au Chef de
l’Etat cette faculté de dissoudre l’Assemblée nationale, pour la rendre « plus
sage ».
Le Sénat représente les collectivités territoriales. La
décentralisation a offert aux collectivités territoriales un pouvoir nettement
plus efficace. Avançons vers une décentralisation totale et abandonnons le jacobinisme
républicain et les collectivités se représenteront elles-mêmes.
Le Sénat joue un rôle modérateur lors du processus de réforme
constitutionnelle. Rendons le passage référendaire obligatoire, la sagesse
populaire compensera la sagesse sénatoriale.
Bref, la haute chambre nuit à l’efficacité
législative et est un marigot couteux de 327 millions € par an (charges de
fonctionnement et d’investissement hors coût d'entretien des Jardins du
Luxembourg et du Musée – source projet de loi de finance 2015).
…et du Palais d’Iéna ?
Le Conseil économique,
social et environnemental, troisième assemblée de la République, est tout aussi
(si ce n’est plus) controversé.
Lors
de la célébration du 70e anniversaire de l’inscription du CESE dans
la Constitution, François Hollande a pris la défense de « cet endroit où se rencontrent toutes les France qui font la
France ». Le président de la République a évoqué les critiques des « plus radicaux » qui, « au nom d’une simplification de nos
institutions veulent purement et simplement supprimer le CESE ». « Votre conseil, a-t-il assuré, peut-être une des solutions à ce malaise
civique dont les extrêmes peuvent s’emparer. »
Récurrent,
le débat resurgit à chaque élection nationale. 233 membres nommés pour 5 ans (à 3500€/mois), 72 personnalités
associées, 140 fonctionnaires (avec 54 jours de congés payés) se partagent un
budget de 40 millions € pour donner un avis sur certaines lois et sur certains
travaux de l’Assemblée nationale. Pour quels résultats ? Saisie moins de 5
fois par le gouvernement en 2013, le CESE produit 20 rapports ou avis par an
soit une moyenne de 2 millions € le rapport !
C’est
le château de la Belle au bois dormant où on recase les naufragés du suffrage
universel et que l’on consulte poliment sans l’écouter. Inaudible.
Remercions-les !