« Où passe notre pognon de dingue ? » ou de l’Etat-Providence aux Régions-Providentielles
Le président de la République trouve « qu’on dépense un pognon de dingue » et les gilets jaunes « se demandent où passe le pognon ». Le point de convergence s’appelle l’Etat-Providence.
En 1981 [il y a 37 ans],
Pierre Rosanvallon (La crise de l’État providence) mettait en avant, le
constat d’une triple crise française de l’Etat-Providence. Force est de
constater, que rien n’a vraiment changé. Pendant quarante ans, nos élus, nos
représentants, accrochés à leurs sièges n’ont pas voulu remettre en cause notre
système de protection sociale. Pendant quarante ans, nous, citoyens et électeurs,
avons été leurs complices en ne voulant pas remettre en cause nos acquis sociaux.
D’abord, on constate une crise financière. L’accroissement
du nombre de chômeurs ou plus exactement la part des actifs sans emploi (beaucoup
plus nombreux), l’augmentation des dépenses de retraites (sous le double effet
du babyboom et de l’allongement de l’espérance de vie) ainsi que la forte
croissance des dépenses liées à santé et à la dépendance (vieillissement de la
population) ont provoqué une forte hausse des dépenses sociales. La baisse du
nombre des actifs, liée à un taux de naissance insuffisant, aggrave la situation
par une pression fiscale sur les salariés accrue et un coût du travail plus
important pour les entreprises.
Ensuite, on assiste à une crise d’efficacité. Le coût du
travail des entreprises, alourdi par les charges qui pèsent sur elles pour
financer la protection sociale, dans un contexte de libéralisation des
échanges, les rend moins compétitives ou les incitent à se délocaliser. Dans
les deux cas, cela conduit à une augmentation du chômage. D’autre part, la
protection sociale n’a que peu d’effets sur les inégalités. Ayant plus
facilement recours aux dépenses de santé, les catégories plus aisées disposent
d’une espérance de vie plus longue que les catégories agricoles ou ouvrières.
Elles bénéficient dès lors d’une retraite plus longue et sont fortement consommatrices
des dépenses de santé et de dépendance.
Enfin, on traverse une crise de légitimité. La gratuité de certains services ou certaines
prestations pousse les bénéficiaires à la surconsommation d’une part. La faiblesse
des plus bas revenus par rapport aux minima sociaux n’encourage pas le chômeur
à chercher à trouver un emploi ou à n’exercer une activité que dans la limite
de la reconstitution de ses droits. D’autre part, la célèbre courbe de Laffer (« trop
d’impôts tue l’impôt ») démontre qu’au-delà d’un certain taux
d’imposition, les individus préfèrent diminuer leur travail plutôt que de payer
davantage d’impôts. Il en résulte une réduction de l’activité économique et une
augmentation de l’évasion fiscale. De plus, l’opacité des dépenses publiques
suscite des questions quant à l’utilisation des fruits de la solidarité nationale.
Solidarité nationale remise en cause par la volonté de chacun de récupérer ce
qu’il a donné. En d’autres termes, tout le monde considère qu’il paye trop et
ne reçoit pas assez et que son voisin reçoit trop par rapport à ce qu’il paye.
Pour réduire la dépense
publique, les citoyens, composante individuelle de l’entité « état »,
peuvent rechercher la
maîtrise financière du budget en consentant à la réduction du niveau des prestations
servies, soit en restreignant les critères d’éligibilité, soit en majorant le
reste à charge des assurés.
L’action de
l’Etat peut être plus efficiente en décentralisant
les compétences et en introduisant au sein des organismes de protection sociale
des méthodes de gestion et de management issues du secteur privé. Elle peut
être d’une grande
efficacité en ciblant les prestations en direction des
populations les plus démunies et en mettant en place des politiques
d’activation des aides sociales. Pour les autres, ils devront se tourner auprès
d’assureurs privés pour se protéger personnellement des risques de santé ; et par
le versement régulier de capital géré par des fonds de pension, pour assurer sa
propre retraite.
Le plus compliqué réside dans la
résolution de la crise de légitimité. Mais pour l’essentiel, cette crise est
recouverte par une autre : la crise
de représentativité de notre démocratie. Parce que les citoyens n’ont plus
confiance en leurs représentants (« les élites »), ils n’ont pas
confiance dans l’usage que ces représentants font de leur argent. Et comment
leur en vouloir ? Les différents scandales de ces dernières années dans
lesquels ont baigné certains de nos hommes politiques, la quasi-impunité
fiscale des GAFA, la présence manifeste de lobbies dans les hémicycles de la
République ont amené cette défiance.
Le rapprochement
des centres de décisions avec la population (en finir avec l’état jacobin) et des sources de recettes avec les lieux
de dépenses (« où passe notre pognon ») sont deux pistes à
sérieusement exploiter. En permettant aux citoyens d’avoir un accès direct avec
leurs représentants et, en facilitant de suivi des fonds perçus (de la recette
à la dépense) on peut recréer cette confiance. La circulation des recettes
fiscales doit fonctionner du contribuable à la commune et à la région qui,
comme dans un état fédéral, participe au budget national. Ce budget national
sert alors à assumer les fonctions régaliennes (sécurité, diplomatie, justice
pénale) et à assurer la solidarité entre les régions. Et non pas comme aujourd’hui
où tout remonte à l’Etat qui, par le fait du prince, redistribue les richesses.
A
cette politique de réelle décentralisation doit s’associer une politique nationale d’aménagement du
territoire, du logement et des transports et une politique de réforme de l’école.
Les politiques de la ville se sont contentées d’abreuver
les banlieues des grandes villes de la métropole (plus de 100 milliards en 40
ans) et le développement des villes moyennes de province,
les territoires ruraux et les régions outre-mer ont été complètement oubliés.
Plus proche, plus efficace, plus transparente, l'Etat-Providence pourrait se transformer en multiple Régions-Providentielles.