Alexis de Tocqueville
Le propre des auteurs classiques, dit-on parfois, c’est que tout le monde les connaît, que tout le monde les cite mais que… personne ne les lit.
Alexis Henri Charles de
Clérel, vicomte de Tocqueville est
considéré comme l'un des défenseurs historiques de la liberté et de la démocratie,
il fut anti-collectiviste et est l'une des références des libéraux. Il est
également un théoricien du colonialisme, en légitimant par exemple l'expansion
française d'Afrique du Nord. Il est élu dans le village normand dont il porte
le nom en 1849 et dont il parle dans Souvenirs.
Son œuvre fondée sur
ses voyages aux États-Unis est une base essentielle pour comprendre ce pays et
en particulier lors du XIXe siècle.
La Démocratie pour Tocqueville
Durant son séjour aux États-Unis, Tocqueville s'interroge sur
les fondements de la démocratie. Contrairement à Guizot, qui voit
l'histoire de France comme une longue émancipation des classes moyennes, il
pense que la tendance générale et inévitable des peuples est la démocratie.
Selon lui, celle-ci ne doit pas seulement être entendue dans son sens
étymologique et politique (pouvoir du peuple) mais aussi et surtout dans
un sens social : elle correspond à un processus historique permettant l'égalisation
des conditions qui se traduit par :
- l'instauration d'une égalité
de droit. Tous les citoyens sont soumis aux mêmes règles juridiques alors que sous l'Ancien
Régime, la noblesse et le clergé bénéficiaient d'une
législation spécifique (les nobles étaient par exemple affranchis du paiement
de l'impôt).
- une mobilité sociale potentielle alors que la société
d'Ordres de l'Ancien Régime impliquait une hérédité sociale quasi
totale. Par exemple, les chefs militaires étaient nécessairement issus de la
noblesse.
- une forte aspiration des individus à
l'égalité. Toutefois, l'égalisation des conditions n'implique pas pour autant
la disparition de fait des différentes formes d'inégalités de nature économique
ou sociale. Selon Tocqueville, le principe démocratique entraîne chez
les individus « une sorte d'égalité imaginaire en dépit de l'inégalité
réelle de leur condition ».
La tendance à l'égalisation des conditions qu'il considère comme
inéluctable présente à ses yeux un danger. Il constate que ce processus
s'accompagne d'une montée de l'individualisme (« repli sur soi »)
ce qui contribue d'une part à affaiblir la cohésion sociale et d'autre
part incite l'individu à se soumettre à la volonté du plus grand nombre.
À partir de ce constat, il se demande si ce progrès de l'égalité est
compatible avec l'autre principe fondamental de la démocratie :
l'exercice de la liberté, c'est-à-dire la capacité de résistance de
l'individu à l'égard du pouvoir politique.
Égalité et liberté semblent en fait s'opposer puisque l'individu tend de
plus en plus à déléguer son pouvoir souverain à une autorité despotique
et par conséquent à ne plus user de sa liberté politique : « l'individualisme
est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de
ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son
usage, il abandonne volontiers la grande société à elle même ».
Selon Tocqueville, une des solutions pour dépasser ce paradoxe, tout en
respectant ces deux principes fondateurs de la démocratie, réside dans
la restauration des corps institutionnels intermédiaires qui occupaient une
place centrale dans l'Ancien Régime (associations politiques et
civiles, corporations, etc.). Seules ces instances qui incitent à un
renforcement des liens sociaux, peuvent permettre à l'individu
isolé face au pouvoir d'État d'exprimer sa liberté et
ainsi de résister à ce que Tocqueville nomme « l'empire moral
des majorités ».
Révolution française : rupture ou continuité
institutionnelle ?
Dans son ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville
montre que la Révolution de 1789 ne constitue nullement une
rupture dans l'Histoire de France. Selon lui, l'Ancien Régime s'inscrit
déjà dans le processus d'égalisation des conditions qui s'explique par deux
évolutions complémentaires :
- d'une part, sur le plan
institutionnel, la France pré-révolutionnaire est marquée par la remise en
cause progressive du pouvoir de la noblesse par l'État (on
assiste par exemple à un accroissement du pouvoir des intendants aux dépens des
Seigneurs). Cependant, son étude sur les intendants ne se base que sur la
généralité de Tours, proche de Paris et fidèle au pouvoir royal. Cette idée de
centralisation avec l'intendance doit être nuancée. (cf. travaux d'Emmanuelli
notamment).
- d'autre part, sur le plan des
valeurs, Tocqueville rend compte de la montée de l'individualisme
sociologique qui place l'individu-citoyen et avec lui le concept d'égalité
au centre des préoccupations morales et politiques (Jean-Jacques Rousseau :
Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes).
Tocqueville soulève aussi le problème de la bourgeoisie qui est
devenue l'égale de la noblesse : aisée, cultivée et adulant les mêmes
auteurs, alors même que des institutions fondées sur une tradition obsolète la
maintiennent dans un statut inférieur. Tocqueville observe ainsi que l'Ancien
Régime au moment de sa chute est la société la plus démocratique d'Europe, dans
ce sens que c'est là que l'égalité des conditions y est le plus atteinte, mais
la moins libérée politiquement : la France est le pays où les bourgeois
sont le plus semblables aux nobles et les plus séparés par des barrières
politiques.
C'est la convergence de ces deux logiques qui rend de plus en plus
inacceptable l'inégalité des conditions : « le désir d'égalité
devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande ».
Il en conclut que le progrès de l'égalité et non l'inverse a précédé
la Révolution ; il en est une des causes et non une de ces
conséquences : « tout ce que la Révolution a fait, se fût fait, je
n'en doute pas, sans elle ; elle n'a été qu'un procédé violent et rapide à
l'aide duquel on a adapté l'état politique à l'état social, les faits aux
idées, les lois aux mœurs ».
Il pense par un raisonnement similaire que c'est la prospérité qui pave la
route des grandes révolutions, les misères ne générant que des émeutes.
L'État limité selon Tocqueville
Tout comme Benjamin Constant, Tocqueville se préoccupe du cadre
institutionnel capable de préserver la liberté tout en assurant l'égalité en
droit. Alors que Constant le voit dans une constitution qui limite le
pouvoir de l'État, Tocqueville le décrit comme quatre piliers :
- le fédéralisme au niveau
régional ou communal ;
- l'indépendance de la justice :
les juges (ou les jurys), garants de la liberté, doivent être au-dessus du
pouvoir ;
- les associations, corps
intermédiaires, propices à l'engagement individuel ;
- la religion, qui relève de la
sphère privée.
Le changement social selon Tocqueville
Pour Tocqueville, le changement social résulte de l'aspiration à l'égalité
des hommes.
Pour lui, si l'humanité doit choisir entre la liberté et l'égalité,
elle tranchera toujours en faveur de la seconde, même au prix d'une certaine coercition,
du moment que la puissance publique assure le minimum requis de niveau
de vie et de sécurité.
L'enjeu, toujours d'actualité, est l'adéquation entre cette double
revendication de liberté et d'égalité : « les nations de nos jours
ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas
égales ; mais il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude
ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères ».
Pour Tocqueville, la société démocratique caractérisée par l'égalité des
conditions est l'aboutissement du changement social.
L'effet Tocqueville
Tocqueville remarque que le fait de satisfaire à des besoins peut engendrer
de l'insatisfaction, car cela légitime des attentes encore plus élevées. Les
avantages acquis sont tenus pour allant de soi et cessent d’être une source de
satisfaction, tandis qu'apparaissent des aspirations impossibles à
satisfaire :
Le mal qu'on souffrait patiemment comme inévitable
semble insupportable dès qu'on conçoit l'idée de s'y soustraire. Tout ce qu'on
ôte alors des abus semble mieux découvrir ce qui en reste et en rend le
sentiment plus cuisant : le mal est devenu moindre, il est vrai, mais la
sensibilité est plus vive. (Tocqueville, L'ancien régime)
A cette "loi Tocqueville", portant sur le
paradoxe des irruptions révolutionnaires dans l'histoire, s'ajoute
"l'effet Tocqueville", qui sera théorisé plus tard en sociologie
avec la théorie de la frustration relative (theory of rising expectations).
Tocqueville philosophe politique
Puisqu’il faut bien, dit Tocqueville, « que
l’autorité se rencontre quelque part » (postulat de base de toute la
philosophie politique), alors l’intérêt bien entendu (utilitarisme audible dans
toute la pensée politique moderne) et les lumières ou « bon sens de
tous » (sens commun adopté par la plupart des philosophes) s’accordent
autour d’« idées communes » ou « principales », baptisées
« conviction commune » ou « raison générale » par François
Guizot. Cela constitue un corps social (organisation ou morphologie politique)
dont les membres acceptent des croyances reçues et partagées sans examen (chose
inévitable enseigne la sociologie de la connaissance). Marc Crapez, 2010.
Source : Wikilibéral.
Pourquoi selon Tocqueville, les Américains chérissent-ils l'égalité ?
Pourquoi selon Tocqueville la démocratie ne porte pas au pouvoir les gens les plus compétents ?
Pourquoi, selon Tocqueville, les démocraties gagnent-elles toujours les guerres ?
En quoi, selon Alexis de Tocqueville, les démocraties sont-elles menacées par le despotisme ?
De la démocratie en Amérique
" J'avoue que dans l'Amérique j'ai vu plus que l'Amérique ; j'y ai cherché une image de la démocratie elle-même, de ses penchants, de son caractère, de ses préjugés, de ses passions ". La gloire de Tocqueville n'est pas seulement celle d'un analyste politique exceptionnel ; c'est aussi, depuis la récente redécouverte de son oeuvre, celle d'un philosophe politique qui serait en même temps un classique de la sociologie, et qui pourrait aider à comprendre les problèmes qui se posent constamment dans les démocraties modernes. L'égalité des conditions, l'individualisme, le despotisme démocratique, les relations entre maîtres et serviteurs, l'esprit de liberté et l'esprit de religion, autant de notions qui dessinent aujourd'hui encore les contours d'une philosophie de la démocratie.