Adam Smith
L’échange base de la richesse des nations
C’est le message essentiel de celui qui est considéré (avec Turgot) comme
le père de la science économique.
Le succès de la Révolution Industrielle anglaise vient de ce que
l’organisation du travail en atelier et le machinisme ont permis de diviser le
travail. Désormais, chacun dépend des autres, puisque la production est
partagée en un grand nombre d’individus au lieu d’être complètement assumée par
un artisan isolé. Chacun des producteurs se spécialise dans une opération
particulière, c’est un facteur de productivité : plus de résultats pour
moins d’efforts.
Adam Smith verrait-il seulement la division du travail dans sa seule
dimension technique ? Passer à la production en communauté, c’est aussi
développer les compétences et le savoir, c’est accroître l’intensité et
l’espace des échanges. La société s’enrichit par l’ouverture, par la diversité
des connaissances. La croissance est le fruit d’une société ouverte (Karl
Popper) au sein de laquelle se reconstitue un savoir éclaté (extended order
de Friedrich Hayek).
Le marché réglé par une main invisible
La généralisation et l’élargissement de l’échange ne débouchent-ils pas sur
le désordre ? Comment coordonner l’activité et les décisions de centaines
de producteurs et consommateurs dont chacun a ses moyens et ses
préférences ? C’est le marché qui joue ce rôle, grâce au jeu de l’offre et
de la demande et aux signaux que sont les prix et les profits relatifs. Toute
pénurie engendre une hausse des prix, qui attire les producteurs à la recherche
de leur profit. Tout excès diminue les prix, et fait fuir les producteurs.
Symétriquement les consommateurs délaissent les produits trop cher – ce qui
détend les prix, et se tournent vers des produits bon marché – ce qui les
pousse à la hausse. Ce jeu de rééquilibre est sans cesse renouvelé : voilà
la régulation du marché ; il n’y a personne qui tire les ficelles, c’est
tout le monde à la fois qui agit sur le marché.
Trois théories de la valeur travail : deux de trop !
Adam Smith a fait un cadeau empoisonné à la science économique avec sa
théorie de la valeur travail. Qu’est-ce qui fait qu’un produit ait plus de
valeur qu’un autre aux yeux des producteurs et des consommateurs ? La
première réponse, la plus souvent évoquée (notamment par Ricardo, puis
Marx) : c’est le nombre d’heures de travail qui ont été nécessaires à sa
production. La valeur « travail incorporé (embodied) » est ici
objective, elle ne se discute pas et s’impose à tous. La deuxième réponse
introduit la possibilité d’un calcul subjectif : c’est le travail épargné
(saved). Je suis prêt à payer un produit parce qu’il me semble que je
n’ai aucun intérêt à le faire moi-même. L’appréciation est subjective :
suis-je en mesure de réaliser moi-même à moindre coût de travail ce que
quelqu’un d’autre me propose ? La troisième réponse, celle du travail échangé
(exchanged), implique un double calcul subjectif : combien d’heures
de mon propre travail devrai-je donner pour me procurer le travail de
l’autre ? Il y a comparaison personnelle entre ce que je donne et ce que
je reçois. Les deux échangistes font le même calcul jusqu’à s’accorder sur un
prix. Il est certain que seule cette dernière acception est cohérente avec la
théorie de l’échange et du marché.
Les sentiments moraux font la richesse des nations
Cette troisième version est aussi en conformité avec la Théorie des
Sentiments Moraux exposée par Adam Smith dix-sept ans avant la Richesse des
Nations, où il expliquait la philosophie des relations entre les êtres humains.
Pour Adam Smith, les hommes sont naturellement portés à la rencontre des
autres, ces relations s’organisent sur la base de l’empathie, c'est-à-dire de
l’effort fait pour se mettre à la place des autres. La vie sociale est faite
d’interdépendance, chacun comprenant qu’il ne peut satisfaire ses besoins qu’en
répondant aux besoins des autres. Seul Frédéric Bastiat verra plus tard ce
principe de service mutuel qui domine la vie sociale, et notamment la vie
économique et l’échange. Servir les autres est le seul moyen de parvenir à ses
propres fins. Ainsi s’explique la fameuse sentence d’Adam Smith suivant laquelle
on ne doit pas attendre la fourniture de la viande ou du pain de la générosité
du boucher ou du boulanger. C’est bien l’intérêt personnel qui guide nos
décisions, mais ce même intérêt nous pousse à entrer dans le jeu social et à
rencontrer les aspirations des autres. Echange de produits et échange de
sentiments appartiennent tous deux à l’univers d’Adam Smith, un univers de
mutuelle compréhension et de complémentarité. C’est sans doute une erreur
d’avoir opposé « deux Adam Smith » : il n’y en a qu’un,
l’économiste et le moraliste se confondent et se complètent.
Pourquoi, selon Smith, la division du travail mène-t-elle à l'opulence générale ?
Pourquoi Adam Smith aurait-il désapprouvé certains princes saoudiens ?