Wilhelm von Humboldt
En janvier 1789,
Wilhelm von Humboldt entre au service de l'État prussien en tant que conseiller
référendaire à la Cour d'appel de Berlin, poste qu'il quitte cependant au bout
d'un an. Ce départ n'a rien à voir avec son prochain mariage à Erfurt avec
Caroline von Dacheröden, fille du président de la chambre prussienne ; il
obéit à une raison beaucoup plus profonde, à savoir le scepticisme de von
Humboldt à l'égard non seulement de l'absolutisme, mais du pouvoir de l'État en
général. Depuis 1790, il travaille à son Essai sur les limites de l'action
de l'État qui, bien que terminé en 1792, ne paraîtra intégralement que
beaucoup plus tard, en 1851, longtemps après sa mort. Toutefois, la partie
consacrée à l'éducation avait déjà été publiée dans le cahier du mois de
décembre 1792 du Berlinische Monatschrift sous le titre Über
öffentliche Staatserziehung (De l'éducation publique). Humboldt participe
ainsi aux débats sur la réforme de l'éducation nationale qui, après la Révolution
française, est également mise en œuvre en Allemagne.
Dans cet
ouvrage, Humboldt fixe à l'État des limites étroites : il doit protéger le
citoyen à l'intérieur et le défendre contre les attaques de l'extérieur.
Humboldt se prononce pour la plus grande liberté possible de l'homme dans des
conditions telles que « chaque individu, selon ses besoins et ses
inclinations, limité seulement par sa propre force » puisse se développer
en fonction de sa spécificité (GS, I, p. 111). Il craint que l'influence de
l'État dans l'éducation ne « favorise toujours une certaine forme »,
ce qui est particulièrement nuisible « lorsqu'il s'agit de l'être moral...
Cette influence cesse tout à fait d'être salutaire, lorsque l'homme est
sacrifié au citoyen » (GS, I, p. 143). « En somme, l'éducation ne
doit se soucier que de former des hommes, et non tel ou tel type de
citoyen » (GS, I, p. 145). Humboldt assigne à l'État une responsabilité inverse :
il faut avant tout veiller à donner « l'éducation la plus libre, qui se
préoccupe le moins possible de préparer à la citoyenneté. L'homme qui a reçu ce
type d'éducation devrait ensuite s'intégrer à l'État et mettre en quelque sorte
la constitution à l'épreuve par lui-même » (GS, I, p. 144). Selon
Humboldt, l'homme n'est pas objet de l'État ; il doit en devenir le sujet
et contribuer à façonner les rapports sociaux.
Humboldt
reprend à son compte les principes éducatifs du Comte Mirabeau, lorsqu'il
demande que l'éducation publique « reste totalement en dehors des ...
limites dans lesquelles le rôle de l'État doit rester enfermé » (GS, I, p.
146). Il se réfère plusieurs fois au Discours sur l'éducation nationale,
qu'il cite dans une note de bas de page : « L'éducation sera bonne si
l'on ne s'en mêle pas; elle sera d'autant meilleure que l'on laissera libre jeu
au zèle du maître et à l'émulation de l'élève... » (GS, I, p. 146). Dans
une autre page de cet ouvrage sur la théorie de l'État, Humboldt évoque les
devoirs des parents, dont la responsabilité est « d'éduquer les enfants
... jusqu'à leur pleine maturité » (GS, I, p. 225); il va jusqu'à déclarer
que l'État « doit veiller à défendre les droits des enfants contre leurs
parents, afin que le pouvoir paternel ne dépasse pas ses limites » (GS, I,
p. 226). Cette insistance sur les droits des enfants révèle l'influence de Rousseau,
tout comme l'objectif qu'il assigne expressément à une formation universelle
harmonieuse. « Le vrai but de l'homme » ne peut être que «de se
constituer en un tout par le développement maximum et le plus équilibré
possible de ses capacités ». Pour y parvenir, l'homme a besoin de liberté,
mais aussi de se trouver dans des situations diverses car « aussi libre et
indépendant soit-il, l'homme se développe moins bien dans l'uniformité ».
Humboldt est
resté fidèle sa vie durant à cette conception de la finalité de
l'éducation ; en revanche, ses idées concernant l'influence de l'État sur
l'éducation ont radicalement changé pendant les années passées à la tête de
l'Éducation prussienne.
Après avoir
quitté le service de l'État, Wilhelm von Humboldt passe le plus clair de son
temps sur les terres de sa belle-famille en Thüringe, ainsi qu'à Erfurt ou
Iéna. Les deux frères nouent des contacts étroits avec le cercle des poètes de
Weimar, Schiller surtout pour Wilhelm. Cette amitié trouve son expression
littéraire dans une correspondance nourrie.
Wilhelm von
Humboldt avait fait de « la recherche des lois du développement des forces
humaines sur la terre » le sens de sa quête scientifique. S'interrogeant
constamment sur le but de la vie, il posait la question de savoir quel type
d'éducation permettait d'atteindre cet objectif. Dans son étude sur l'Antiquité
classique, il parle de la « nécessité absolue de la connaissance »,
même celle de l'Antiquité classique parce qu'elle « est éminemment
nécessaire pour intégrer l'effort individuel en un tout, et dans la poursuite
unique du plus noble des objectifs, la formation optimale et la plus équilibrée
possible de l'être humain » (GS, I, p. 261).
Son essai
exercera une grande influence sur de nombreux libéraux au XIXe siècle, en
particulier John Stuart Mill et Édouard Laboulaye (auteur de L'État et ses
limites, publié en 1863).
Source: Wikilibéral.
Pourquoi l’action de l’Etat entrave le développement de l’individualité de l’homme ?
Rédigé par Wilhelm von Humboldt en 1791/92, ce texte ne fut publié, à titre posthume, qu’en 1850.
Immédiatement alors salué comme pièce maîtresse de la philosophie libérale, l’Essai développe en effet une implacable argumentation contre toute extension de l’intervention de l’État au-delà de la garantie de la sûreté à tous – même et surtout si cette intervention est motivée par le soin du « bien positif » des citoyens, que Humboldt juge liberticide.
L’exceptionnelle richesse de l’Essai provient assurément de cette affirmation d’une dimension existentielle et spirituelle de la liberté, elle-même facteur du perfectionnement harmonieux de l’humanité…