Laurent Sailly : Le débat sur la majorité pénale n’est pas un débat mineur…
L’"acte II" du gouvernement Philippe commence mal pour la Justice. La proposition de Mme Belloubet, ministre de la justice, de rendre irresponsable le mineur de 13 ans est incompréhensible non seulement pour une grande partie de nos concitoyens, mais aussi pour nombre de spécialistes de l’enfance.
Petit rappel des règles en vigueur
L'âge de la responsabilité pénale est l’âge où le mineur peut être considéré responsable de ses actes et donc passible de sanctions pénales.
En France, il n’y a pas d’âge de responsabilité pénale, mais il est fait référence à la notion de discernement. L’article 122-8 du Code pénal, précise que « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation dont ils peuvent faire l'objet.
Cette loi détermine également les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l'encontre des mineurs de dix à dix-huit ans ainsi que les peines auxquelles peuvent être condamnés les mineurs de treize à dix-huit ans, en tenant compte de l'atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge. »
Ainsi les réponses pénales qui peuvent être apportées, varient en fonction de l’âge du mineur au moment de la commission des faits :
Avant 10 ans : uniquement des mesures éducatives;
Entre 10 ans révolus et 13 ans : des mesures éducatives ou des sanctions éducatives;
C’est bien au nom de la responsabilité pénale que des mineurs peuvent être condamnés, dès l’âge de 13 ans, à des peines d’emprisonnement. L’ordonnance du 2 février 1945 établit une échelle de réponses pénales en fonction de l’âge des mineurs :
- Les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent pas se voir infliger de peines mais seulement des mesures et des sanctions éducatives ;
- Entre 13 et 16 ans, les tribunaux peuvent prononcer une peine d’emprisonnement, égale à la moitié de celle encourue par les majeurs. En cas de réclusion criminelle à perpétuité, la peine ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion criminelle pour un mineur ;
- Dès 16 ans, le tribunal peut décider de juger les mineurs délinquants comme des majeurs. Cette décision effectuée au cas par cas doit être motivée par le juge.
La notion de majorité pénale recouvre
deux aspects :
·
L’âge à compter duquel un délinquant ne comparaît plus devant une juridiction
spécialisée pour les mineurs.
·
L’âge à compter duquel il ne bénéficie plus d’une présomption, plus ou moins
irréfragable, d’atténuation de responsabilité qui entraîne une échelle de
peines réduite.
En France,
la majorité pénale est fixée à 18 ans et les mineurs bénéficient par principe
de l’excuse de minorité. Cette règle établie par l’article 20-2 de
l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante,
dispose que la peine d’emprisonnement ou d’amende encourue par un mineur ne
peut être supérieure à la moitié de la peine encourue par les majeurs. Elle ne
peut être écartée que pour les mineurs de plus de 16 ans, à titre exceptionnel
et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur
ainsi que de sa situation.
Autrement
dit, la majorité pénale implique forcément la responsabilité pénale, mais
l’inverse n’est pas vrai pour les mineurs.
Abaisser la
majorité pénale à 16 ans entre en contradiction avec la convention
internationale relative aux droits de l’enfant, signée par la France. Le texte précise qu’« un enfant
s’entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans » et aborde
la justice des mineurs comme un arsenal législatif bien spécifique.
« Nous
avons contracté un engagement international clair et ferme qui consiste à ne
pas traiter les moins de 18 ans comme des adultes », explique sur son blog Jean-Pierre Rosenczveig,
président du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le magistrat
avance aussi un argument du Conseil constitutionnel, qui fixait en 2002 la
majorité pénale à 18 ans comme un principe à valeur constitutionnelle, ce
qui constituerait un nouvel obstacle juridique à l’implantation d’une telle
mesure.
En droit
comparé, nous observons la particulière sévérité de notre droit pénal par
rapport à celui de nos voisins.
Nous l’avons
vu, le droit français à recours à la notion de discernement du mineur au moment
de la commission des faits pour déterminer si l’auteur est responsable
pénalement. C’est une lourde charge (trop lourde) qui pèse sur les épaules du
magistrat. La plupart des démocraties a défini un âge en dessous duquel le
mineur est irresponsable pénalement : 8 ans en Ecosse et en Grèce ; 10 ans
en Angleterre et au Pays de Galles ; 12 ans en Belgique, aux Pays-Bas et
au Portugal ; 14 ans en Allemagne, en Espagne, en Italie et en
Autriche ; 15 ans en Suède et en Suisse ; 16 ans au Luxembourg.
Il est temps
de lutter efficacement contre la délinquance des mineurs, pour leur bien et
pour les libertés individuelles
Des mineurs
de 13 ans utilisés comme guetteurs dans les banlieues par les trafiquants de
drogues, des casseurs et des auteurs de moins de 16 ans capables du pire, un
accès à la pornographie dès 11-12 ans sur internet, les enfants des années 2010
n’ont plus rien à voir avec ceux de l’ordonnance de 1945.
Il faut en
finir avec cette naïveté partisane qui refuse de voir que notre monde est
sombre. L’obscurantisme intellectuel crée l’obscurité sociale. On occulte ce
qui crève les yeux et l'esprit, nier ce que le quotidien fait subir, plaquer
sur une réalité éprouvante des concepts inadaptés, se donner bonne conscience en
traitant ces « enfants et adolescents » comme si rien ne les distinguait de
tous les autres. Aujourd’hui, la théorie de l’excuse systématique a assouvi le
dogme de l'insécurité tranquillisée. Il faut recréer le lien entre culpabilité
et sanction, liberté et responsabilité.
Les
psychologues de l'enfance doivent être remis à leur place. Ces
« spécialistes » ont validé une théorie qui, aujourd’hui, est battu
en brèche par l'expérience et par le bon sens. Ce que la transgression commise
par un adolescent exige doit être encadrée par l’adulte qui explique et
sanctionne. Les tribunaux correctionnels pour les mineurs récidivistes de 16 à
18 ans, créés en 2011, étaient une excellente initiative de Nicolas Sarkozy et
le fait que les magistrats ne l'aient pas approuvée ne la rendait pas pour
autant moins nécessaire. Une circulaire de 2013 a mis fin à cette pratique.
L’ordonnance
de 1945 doit être réformée et transformée en « Code de la justice pénale des
enfants et des adolescents » amplifierait son caractère répressif.
PROPOSITION
LEGISLATIVE
Loin
d’adoucir notre législation, la définition d’un âge à partir duquel on devient
responsable pénalement aurait un mérite éducatif certain. Beaucoup de
délinquants (et de nos concitoyens) pensent que l’on devient pénalement
responsable à 13 ans alors qu’en fait, 13 ans marque l’âge auquel des peines
d’emprisonnement peuvent être prononcées.
Il me semble
que fixer l’âge de la responsabilité pénale à 10 ans, âge auquel des sanctions
éducatives peuvent être prise, à ma préférence.
Pour les
raisons détaillées plus haut, la majorité pénale doit rester à 18 ans.
Cependant, l’excuse de minorité doit être supprimée pour les mineurs de 13 à 18
ans et doit pouvoir être écartée pour les mineurs de plus de 10 ans, à titre
exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité
du mineur ainsi que de sa situation.