Laurent Sailly : « Non, les terroristes islamiques ne sont pas fous ! »
Il y a quatre ans, la violence terroriste « ouvrait »
l’année 2015. Cette violence devait nous faire sombrer dans l’horreur du
deuxième semestre de cette même année. Or, les gouvernements qui se sont succédé
depuis ne paraissent pas avoir pris la mesure du risque terroriste en France.
Pour preuve, à chaque attentat ou agression par un criminel se réclamant agir
pour Allah, la question de sa « folie » est systématiquement remise
dans la débat. Je vous propose en suivant de détailler les conditions légales
de l’irresponsabilité pénale en cas de troubles mentaux d’abord, de définir le
profil psychiatrique d’un terroriste (islamique) ensuite, et enfin d’identifier
les causes intellectuelles de la tendance à tout excuser.
I.
L’irresponsabilité
pénale en cas de troubles mentaux
L’article 122-1 du Code pénal distingue entre « abolition »
du discernement ou du contrôle des actes en raison d'un « trouble psychique ou neuropsychique »,
et l' « altération ».
Seule l'abolition du discernement (la « démence »
mentionnée par l’ancien Code pénal de 1810) entraîne l'irresponsabilité pénale
de l'auteur présumé d'un crime ou d'un délit. L'altération n'empêche ni un
procès ni une condamnation, mais la justice doit en tenir compte pour
déterminer la peine.
Avant la réforme de 2008, l'irresponsabilité
pénale pouvait être établie par une "ordonnance
de non-lieu » du juge d'instruction, ou constatée lors d'un
procès, débouchant alors sur un « acquittement »
ou une « relaxe »
: autant de termes mal vécus par les parties civiles (victimes et/ou familles). Aussi,
désormais, si le juge d'instruction estime être face à une personne privée de
discernement au moment des faits, il informe les parties et le procureur,
lesquels peuvent demander un débat public devant la chambre de l'instruction. Une
audience contradictoire est alors organisée. SI la chambre de l'instruction
estime que les conditions sont réunies, elle rend un « arrêt de déclaration d'irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental ».
Lorsque l'abolition du discernement est
constatée lors d'un procès, la cour d'assises rend un « arrêt » (un « jugement » pour un tribunal
correctionnel) de « déclaration
d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». La
juridiction qui établit l'irresponsabilité pénale peut ordonner que la personne
concernée, si elle est jugée dangereuse, soit admise dans un hôpital
psychiatrique pour une durée indéterminée. Il ne s'agit alors pas d'une
peine mais d'une mesure de sûreté, basée sur une évaluation médicale. Cette
privation de liberté est contrôlée par le Juge des libertés et de la détention.
L'irresponsabilité pénale n'entraîne pas une
irresponsabilité civile : la justice peut demander à la personne concernée
d'indemniser les victimes ou leurs familles, si celles-ci le réclament.
II.
Les
terroristes sont-ils nécessairement irresponsables au sens de l’article 122-1
du Code Pénal ?
La réponse est sans appel : non, un
terroriste n’est pas nécessairement fou, il ne l’est même que rarement.
Pour Michel Bénézech, psychiatre et
criminologue bordelais, interrogé par Sud-Ouest, un an après les attentats de
janvier 2015 : « Il n’y a pas de perturbation
psychiatrique majeure chez la plupart des auteurs d’actes terroristes. Dans
l’ensemble, ils apparaissent aussi « normaux » que n’importe qui
d’autre, à l’exception sans doute d’un engagement spirituel puissant que l’on rencontre
aussi dans des états affectifs divers tels que l’état amoureux, l’enthousiasme
militant, le dévouement sans limites à une cause, le goût de l’aventure
extrême, la ferveur religieuse intense. »
« Les malades mentaux qui commettent des
actes terroristes ou criminels uniquement par délire sont très rares, confirme le psychiatre et expert judiciaire
Daniel Zagury dans un article de La Croix en aout 2017.
On
observe en revanche, dans les dernières tentatives d’attaques individuelles
avec des radicalisations très rapides, une sensibilité particulière des
personnes fragiles, instables, avec des antécédents, au message de Daech.
L’organisation leur offre de transformer un drame privé en un acte héroïque
public. »
Pour le neuropsychiatre
Boris Cyrulnik « il est rare » de diagnostiquer, chez les terroristes, des
pathologies psychiatriques au sens strict du terme, comme par exemple la
schizophrénie. En revanche, ils
souffrent très souvent de « troubles psychopathologiques ». « On pense
qu’il faut être fou pour tuer ! Mais en réalité, il faut être mégalomaniaque et
paranoïaque. Or ce sont des troubles
de la personnalité plutôt que des maladies mentales », note son confrère Roland
Coutanceau, président de la Ligue française pour la santé mentale (site santecool.net reprenant un
extrait d’un dossier paru dans le journal La Croix).
Le psychiatre Yann Andrétuan, Médecin chef du service de psychologie de
la Marine, « ne croi(t) pas que le terrorisme soit une folie au sens
psychopathologique du terme » déclare-t-il en novembre 2017 dans une tribune au
Figaro. Celui-ci va même beaucoup plus loin et considère que la
psychiatrisation du terrorisme permet d'évacuer sa dimension politique. Cette
dernière remarque introduit parfaitement les propos de notre dernière partie.
III.
Terrorisme et culture de
l’excuse
Depuis plus de quarante ans, de grandes figures
intellectuelles françaises ont contribué au développement de ce que l'on
appelle la « culture de l'excuse ». Cette idéologie considère les
auteurs de crimes ou de délits (notamment s’ils sont originaires d'Afrique du Nord)
davantage comme des victimes que comme des acteurs de leur histoire.
Cette vision de la société a engendré une perte du
sens commun (si importante pour Hannah Arendt). Depuis le début du processus de
décolonisation et, surtout de la fin de la seconde guerre mondiale, l’Occident
se sent coupable. L’Europe, du fait de son histoire, n’aurait plus de leçon de
morale à donner au reste du monde (argumentaire développé par Tarik Ramadan).
Cette tendance à nous
apitoyer sur le malheur du criminel vient de notre culture chrétienne,
particulièrement du fameux : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce
qu’ils font ». Or lorsque le Christ est censé prononcer cette phrase, c’est
lui qui est sacrifié et pas un autre. Le Chrétien doit pardonner à qui lui a
fait du mal. Si on pardonne « à la place de », le système se pervertit.
N’oublions pas, que dans un temps où l’Eglise était attaquée, la légitime
défense était reconnue par saint Thomas d’Aquin et saint Augustin.
Ainsi, il n’y a aucune
raison de faire bénéficier l’auteur d’une infraction terroriste de l’article
122-1 du Code Pénal. Si nous voulons sauver notre système démocratique et retrouver
une société apaisée, la justice française doit se débarrasser de la théorie de
l’excuse.