William F. Buckley Jr, l'irremplaçable...
Le 27
février 2008, mourait William F. Buckley Jr alors âgé de 82 ans. Essayiste et
journaliste conservateur américain, il est le fondateur en 1955 de la National
Review et le présentateur emblématique de l’émission télévisée Firing Line de
1966 à 1999.
Buckley,
en ayant su rapprocher le conservatisme politique traditionnel du libertarisme,
peut être considéré comme le père du conservatisme américain moderne. Ce
conservatisme moderne ses meilleurs agents en Barry Goldwater ou le président
Reagan. Buckley est un fervent défenseur de la baisse des taxes compensée par
une réduction des dépenses de guerres. Auteur d’une cinquantaine de livres,
essais ou romans, il se fait connaitre du grand public avec un ouvrage paru en
1951 : God and Man at Yale.
Dix ans
après sa disparition, Matthew Continetti, alors rédacteur chef du Washington
Free Beacon, publiait un article intitulé « L’irremplaçable William F.
Buckley, Jr ». L’auteur s’interroge sur ce qui reste de l’influence de
Buckley et de la National Review. Je vous propose de retrouver ci-dessous la
traduction en français que j’ai commise, d’extraits tirés de la version publiée
dans la National Review.
Vous
voudrez bien être tolérant avec cette version car, si mon anglais n’est pas
riche, mon américain est très pauvre !
Matthew
Continetti raconte comment, alors qu’il demandait une bourse de journalisme à
la Fondation Phillips, il s’était souvenu d’un article de George F. Will dans
le Washington Post intitulé : « Conservatism is soiled by scowling primitives ».
Dans cet édito, Will déclare que « l’Amérique a besoin d’un rappel de ce qu’est
le conservatisme ». Il reproche « à nul autre que [Whittaker] Chambers
(…) d’avoir injecté dans le conservatisme « un populisme aigre,
pleurnichard (…) » » et en appel à un nouveau Buckley.
« « Aujourd’hui,
le conservatisme est souillé par des primitifs renfrognés dont les gestes irritables
manquent d'ingrédients mentaux », dit Will. « L'esprit conservateur, dans
certains cas très visibles, est devenu malade », écrit Michael Gerson. Buckley
est tenu comme (…) l'idéal à poursuivre. (…) Le fondateur des Affaires
américaines a « noté avec ironie » à Politico qu'il a (…) le même âge que
Buckley quand il a fondé National Review. « Deux époques dans le
journalisme conservateur dans ce pays : l'ère Buckley et l'ère Ailes," et Ross
Douthat de tweeter : « Que le prochain soit plus comme le premier. » »
« Mais
la nostalgie, poursuit Continetti, y compris pour les intellectuels
conservateurs, comporte des dangers. Il y a le risque de simplifier le passé
pour condamner le présent, le risque de prétendre que nos problèmes ne sont pas
différents de ceux d'une époque révolue. Qui ne préférerait pas un
conservatisme d'esprit, d'érudition, d'éloquence et de panache ? Néanmoins, il
n'y aura pas un autre William F. Buckley Jr. Son conservatisme, et son Amérique, n'existe
plus. »
« «
Peut-être que le fait le plus important pour s'assimiler au conservatisme
américain moderne, écrit George H. Nash dans Reappraising the Right (2009),
c'est qu'il n'est pas, et n'a jamais été, univoque. Il s'agit d'une coalition
avec de nombreux points d'origine et des tendances diverses, pas toujours
facile à concilier : un fleuve de pensée et d'activisme alimenté par de
nombreux affluents. » Buckley est plus responsable que quiconque de
l'assemblage de cette coalition, de la détermination de qui en ferait partie et
de qui ne le ferait pas. Il laissa les libéraux classiques, les
traditionalistes et les anticommunistes entrer dans les pages de la National
Review, mais écarta les antisémites, la John Birch Society, les objectivistes
et les adeptes de l'anarcho-libertaire Murray Rothbard. Il était un gardien
éditorial, l'exécuteur des normes politiques ainsi qu’intellectuelle et
grammaticale. Il n'était pas parfait, et il en est venu à regretter son
opposition à la Seconde Guerre mondiale et aux droits civils. Mais il était un
publiciste ingénieux, utilisant son édito (…) et son exposition télévisée pour
modeler pour les jeunes, un conservatisme de (…) libre-marché, catholique, et
engagé dans la lutte contre l'Union soviétique. »
« Buckley
pouvait être œcuménique tant que la coalition qu'il représentait était petite.
Au fil du temps, à mesure que de nouveaux groupes se joignirent à son
mouvement, et que les groupes antérieurs se séparent ou disparaissent
complètement, il est devenu impossible pour un homme de réunir toutes les
factions. D'abord les néoconservateurs sont arrivés, puis la Nouvelle Droite,
puis les théoconservateurs, puis les paléos. Les Leocons, ou disciples de Leo
Strauss, ont fait irruption dans Claremonsters d'une part et East Coasters de
l'autre. Les traditionalistes sont morts, et les anticommunistes sont tombés
avec le mur de Berlin. (…) « De loin, la source de conflits la plus persistante
à droite, dit Nash, a été le statut dans ses rangs de néoconservateurs. » Au
cours de la dernière décennie seulement [NDLR : début des années 2000], il
y a eu des conservateurs croquants [?], des républicains du Sam's Club, des
conservateurs constitutionnels et des populistes d'États-nations. (…) Même
William F. Buckley Jr. ne pourrait pas incarner les idées et les objectifs de
ces sectes qui s'affrontent. Il ne l’aurait pas voulu non plus. »
(…)
« Il
est important de se rappeler que, lorsque National Review a été fondée, Buckley
était le chef d'un mouvement marginal. Il a rendu le conservatisme respectable (…).
Son importance tient non seulement à son énergie, sa diligence et son charisme,
mais aussi à sa nouveauté, à son impudence. Pendant de nombreuses années, les
gens voulaient entendre ce qu'il avait à dire parce que personne d'autre ne le
disait. Dans le monde de « I Like Ike », de la Nouvelle Frontière et
de la Grande Société, aucun membre de l'élite new-yorkaise n'avait eu son point
de vue original sur le rôle du gouvernement, la liberté académique, la place de
la religion dans la vie publique et la confrontation avec les Soviétiques. Son
courage a changé le paysage intellectuel et politique. »
L’auteur
de l’article s’interroge alors : un nouveau Buckley trouverait-il un paysage
tellement changé, qu’il le trouverait méconnaissable ? « Le
communisme mondial a disparu. Le parti républicain, dominant à tous les niveaux
de gouvernement, est plus conservateur que jamais. » A l’époque rappelle-t-il,
il n’y avait aux Etats-Unis que trois réseaux télévisés. Aujourd’hui, le câble,
la radio et les périodiques ont ouvert un « univers médiatique
conservateur » (…) « L'industrie de la presse a implosé, et a été
remplacée par un nombre incalculable de sites Web colportant toutes les opinions
politiques imaginables, ainsi que les médias sociaux qui permettent aux
individus de s'exprimer directement. » (…) « parce que la technologie
a (…) fait de chaque smartphone un média, et a éliminé le rôle de l'éditeur, la
fonction de contrôle de Buckley et de National Review est obsolète. L'année
dernière [2016, NDLR], les héritiers de Buckley l'ont imité en déclarant Donald
Trump hors des limites du mouvement conservateur. Mais Trump n'a pas besoin de
National Review. Il a Twitter. »
« En
vieillissant, Buckley semblait être désappointé et ennuyé par la politique. Il s’est
mis à écrire de la fiction et à se délecter d'honneurs. (…) Il a pris sa
retraite en tant que rédacteur en chef de NR en 1990, Firing Line a quitté l’antenne
en 1999. Officiellement, il a quitté le monde médiatique en 2000 et vendu ses actions
de la National Review en 2004. Sa dernière chronique engagée est publiée en
février 2008, quelques semaines avant sa mort. À cette date, il s'était quelque
peu éloigné de son parti politique, de la tendance politique qu'il avait
contribué à former. Il s'oppose à l’envoi de troupes en Irak et critique George
W. Bush pour son irresponsabilité fiscale et diplomatique. (…) il déclare en
2007 que le mouvement conservateur « a atteint un sommet en 1980 ». Décourageants
pour un conservateur né l'année suivante [NDLR : Matthew Continetti est né
le 24 juin 1981].
« Buckley
a prouvé que le conservatisme intellectuel pouvait être populaire. C’était une
célébrité, sa plume éditoriale a couru dans des centaines de journaux, ses
livres ont été best-sellers, la diffusion de National Review est passé à six
chiffres, sa présence sur les campus était réclamée. Il a atteint le sommet de
sa renommée à un moment où la culture middlebrow existait encore, et où le
discours public était plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui. À mesure que les
médias devenaient de plus en plus déréglementés et décentralisés, ils
devenaient aussi plus démotiques, plus vulgaires. »
« La
possibilité d'un conservatisme intellectuel existe toujours, même si les
conditions sociales et politiques qui permettraient à un tel conservatisme
d'atteindre un public populaire ne le sont pas. Ce conservatisme intellectuel
pourrait utiliser l'impulsion de Buckley, sa croyance en l'importance des
idées, sa dextérité verbale, son esprit vif et son talent pour le ridicule,
ainsi que son dégoût de l'équivalence morale, des « inadaptés à la politique »
et des « populistes du bien-être » (…) »
« Ce
conservatisme intellectuel pourrait aussi se rappeler son engagement de longue
date pour ce qu'un lecteur de longue date à la National Review a appelé « le
maximum de liberté individuelle conforme à la loi et à l'ordre ». Plusieurs
années plus tard, dans un discours célébrant le 30ème anniversaire
de NR, ce même lecteur déclare : « NR a enseigné à plusieurs générations de
conservateurs que c'est cette reconnaissance d'un ordre supérieur qui permet à
l'individu de se dresser contre le pouvoir massé des modernes. (…) comme
Buckley l'a dit dans un discours de 1997 : « Le bon défi des conservateurs est
d'apprivoiser l'État, et la question que nous posons le plus à juste titre est quel
est le bon tempo pour une telle entreprise ? » Notez que Buckley n'a pas
utilisé les mots abolir ou réduire. Il a utilisé le mot apprivoisé. (…) »
« Il
convient de poser une fois de plus la question de Buckley, à la lumière des
problèmes auxquels l'Amérique est confrontée aujourd'hui. Frontières
incontrôlées, des millions de personnes hors de la main-d'œuvre, des gangs
transnationaux et des groupes terroristes, l'islam politique, la toxicomanie
endémique, la suppression de la liberté d'expression et de la liberté
religieuse, l'effondrement de l'éducation libérale, et les juges et les
bureaucrates opérant au-delà de leur autorité constitutionnelle — comment
aborder ces questions tout en préservant la dignité et la liberté individuelle des
Américains ? Il n'y a pas de William F. Buckley Jr. pour nous aider, mais nous
avons sa façon de faire. « Chaque âge trouve son propre langage pour un sens
éternel », a écrit Whittaker Chambers. Maintenant, c'est notre tour. »