Jean-Philippe Vincent, "penser le conservatisme"
Essayiste et théoricien du
conservatisme, Jean-Philippe Vincent est diplômé de l’Institut d’études
politiques de Paris et ancien élève de l’École Nationale d’Administration
(ENA).
Administrateur
civil hors classe, il a rejoint la direction de la prévision du Ministère de
l’Économie et des Finances en 1989. Economiste au Fonds Monétaire International
(département des finances publiques) dont il est toujours expert agréé de 1993
à 1996, il a été ensuite chef de bureau à la Direction de la Prévision de 1996
à 1999. Senior Research Manager et Chief Economist chez McKinsey France de
2000 à 2003, il revient, en 2004, au Ministère des Finances où il a été successivement
conseiller auprès du Directeur de la Prévision, puis chargé de mission auprès
du chef du Service des Politiques Publiques.
Depuis 1989 il
enseigne l’économie à l’Institut d’Études Politiques de Paris, comme maître de
conférences et directeur d’études. Il est l’auteur de plusieurs livres
d’économie aux Presses Universitaires de France et aux presses de la Fondation
des Sciences Politiques. Il est également collaborateur de la revue
Commentaire.
Jean-Philippe
Vincent retrace dans "Qu’est-ce que le conservatisme ?" (2016)
l’histoire intellectuelle de la pensée conservatrice, de la Rome républicaine
jusqu’à nos jours.
Le conservatisme n'a pas la
vie facile. Il est confondu avec tout ce qu'il n’est pas : immobilisme,
réaction, traditionalisme, voire contre-révolution. Sans compter l’influence
trompeuse qu’a pu exercer le néo-conservatisme américain. Alors, en quoi
consiste le conservatisme et garde-t-il une actualité ? Pour y répondre,
l’auteur esquisse une histoire intellectuelle de la pensée conservatrice, de
Cicéron à nos jours.
Pour Jean-Philippe Vincent,
le conservateur, s’il se méfie du pouvoir, sait par expérience que l’autorité est
la condition de la vie en société, dans laquelle peut alors s’exercer la
liberté. La première partie de l’ouvrage définie les lignes de force qui
structurent la pensée conservatrice et lui donnent son authenticité et sa
permanence :
Autorité
et pouvoir : les concepts premiers dans
le système conservateur insiste l’auteur. L’autorité est d’abord morale avant d’être
institutionnel. L’autorité c’est le pouvoir perçu comme légitime ;
Liberté
et égalité : le conservatisme refuse l’uniformité
de l’égalitarisme et attache une importance particulière à la liberté. L’auteur
dénonce l’égalitarisme et la « justice sociale » ; « L’envie
vise à rabaisser l’autre à son niveau. Si je ne peux pas être comme toi (ou
mieux), je désire que tu sois comme moi (ou pire). »;
Individu
et bien commun : « L’envie démocratique
[tendance au droit de se distinguer, conséquence de l’égalitarisme] s’oppose
(…) perpétuellement à la vision conservatrice du bien commun, non seulement
parce qu’il est impossible de définir un bien commun à une société d’envieux,
mais aussi parce que le bien commun des hiérarchies et rien n’est plus antipathique
à la passion envieuse. »;
Histoire
et tradition : du fait même que l’Histoire
est une suite d’expérience concrète, celle-ci joue un rôle essentiel dans le
conservatisme;
Préjugé
et raison : au culte abstrait de la
Raison, le conservatisme est attaché aux « préjugés » (c’est-à-dire
sens commun);
Religion
et morale : le conservatisme juge le
rôle de l’Eglise important comme structure d’opposition à l’arbitraire du pouvoir.
Des affinités avec le judaïsme existent également. Pour l’auteur, le doctrine
sociale de l’Eglise est « parfaitement compatible avec la pensée conservatrice ».
Les conservateurs considèrent que, les enjeux sociaux de redistribution « ne
sont pas de la compétence de l’Etat, mais qu’ils doivent être le plus possible décentralisés
au niveau des communautés naturelles. »;
Propriété
et vie en société : la propriété
privée est une notion importante dans le conservatisme.
Autant de valeurs aujourd’hui
bousculées et mises à mal par la pensée progressiste qui fait table rase du
passé.
Le conservatisme est la
doctrine politique de l’autorité et l’idéologie du courant anti-idéologique. Jean-Philippe
Vincent s’intéresse au « style conservateur » dans une seconde
partie. Dans une démonstration très convaincante, l’auteur fait remonter le
conservatisme à Cicéron à la fin de la République romaine (1er
siècle avant J.-C.). Son apologie du régime mixte qui associe des éléments
monarchiques, aristocratiques et démocratiques font, de l’orateur romain, le
premier conservateur, en ayant chercher l’équilibre entre les différentes
composantes politiques.
Le chapitre suivant atteste la
« permanence du conservatisme comme doctrine et comme style (…) au XXème
siècle et au début du XXIème siècle par les écrits de nombreux auteurs (…). »
(Strauss, Oakeshott, Kolnai, MacIntyre). Mais le conservatisme ne se résume pas
à une doctrine. Il suffit de lire Jane Austen, Chateaubriand (créateur du terme
en 1818 avec un journal appelé Le Conservateur), Balzac ou Evelyn Waugh pour
comprendre que le conservatisme est aussi un style de pensée, une façon
d’appréhender la vie dans toutes ces dimensions : littérature, religion et vie
morale, histoire, économie, vie en société.
Dans un quatrième chapitre, l’auteur
expose l’originalité de l’économie politique du conservatisme, tout en ayant
précisé que le « conservatisme ne constitue pas une doctrine économique. »
Le capitalisme n’est pas incompatible avec le conservatisme, mais « il
ne peut guère y avoir de capitalisme durable sans une éthique conservatrice. »
Cette étique est fournie par des valeurs (la confiance) ainsi que « sur
une défense du rôle des institutions, vues comme préconditions essentielles (…)
du bon fonctionnement de l’économie de marché. »
Doctrine et style, le
conservatisme a-t-il un avenir ? Peut-il encore exercer une influence décisive
sur la vie politique ? L’auteur estime que oui dans un dernier chapitre. Il
dépendra crucialement de la capacité à faire vivre une nouvelle alliance du
libéralisme et du conservatisme. Le conservatisme est, d’une certaine façon, le
complément naturel du libéralisme. Ce dernier n’est pas, comme le
conservatisme, qu’une école économique, c’est une doctrine politique. Et ce
conservatisme libéral pourrait constituer une idée neuve en Europe et en France.
Le livre de Jean-Philippe Vincent est un pur joyaux
d’érudition. Il reste cependant accessible au plus grand nombre avec un style
littéraire accrocheur. Indispensable pour ceux qui veulent comprendre l’histoire
des idées et l’évolution de la pensée politique contemporaine.