Sir Roger Scruton



Les Français connaissent peu Roger Scruton qui, pourtant, est une des hautes figures de la vie intellectuelle outre-Manche. Le philosophe britannique est un penseur majeur du conservatisme, en plein renouveau intellectuel, au Royaume-Uni comme en France. Il a été de toutes les batailles idéologiques de son époque. Ses livres, traduits en français sont riches, nourrissants, stimulant comme les plus captivantes des conversations. Découvrez la finesse et la profondeur d'une pensée et n’ayez plus peur d’être Conservateur !



Sir Roger Scruton est un philosophe anglais, né le 27 février 1944 à Buslingthorpe. Il est le fils de John « Jack » Scruton et de Beryl Claris (née Haynes). Avec ses deux sœurs, Roger grandit à Marlow et à High Wycombe (Buckinghamshire).



Entre 1954 et 1961, Roger fréquente la Royal Grammar School de High Wycombe. Il y gagne une bourse de mérite pour poursuivre ses études à l’Université de Cambridge en sciences naturelles. Il se plonge alors dans la musique, l’art, la littérature. Franz Kafka, Rainer Maria Rilke et T. S. Eliot entre autres l’influencent dès son adolescence. Il décide alors de devenir écrivain. Il entre à l’université en 1962. Il y étudie les sciences morales (la philosophie) au Jesus College (Cambridge). Son modèle est alors Jean-Paul Sartre. De Sartre, il apprend que la vie intellectuelle ne doit pas être confinée à l’université, mais que ses manifestations les plus importantes résident dans l’art, la littérature et la musique où la société acquiert une conscience d’elle-même. Roger, dont les études de philosophie à Cambridge sont marquées par une distance vis-à-vis de la politique, cesse de suivre Sartre lorsque celui-ci affirme que la finalité de la vie intellectuelle est l’engagement politique. Il reçoit son Bachelor of Arts en 1965 et son Master of Arts en 1967.



En 1969, il entre comme chercheur (Research Fellow) à Peterhouse qu’il quitte en 1971 pour entrer au Birkbeck College à Londres où il enseigne la philosophie de l’esthétique jusqu’en 1992, d’abord en qualité de Lecturer (maître de conférences), puis de Reader, puis de professeur.



Il épouse Danielle Laffitte en 1973 ; le couple divorce en 1979.



Roger Scruton admirait la façon dont la philosophie était enseignée à Cambridge, à savoir comme prélude aux sciences dures, dans la tradition de la philosophie analytique. Il souhaitait néanmoins réconcilier cette façon d’envisager la philosophie avec un mode de vie artistique. C’est afin de poursuivre cette quête que Scruton part un an en France où il enseigne au Collège universitaire de Pau. Il passe ensuite quelques mois en Italie où il écrit un premier roman qui ne sera jamais publié. Il revient ensuite en Angleterre et prépare un Doctorat qu'il obtient en 1972 de l’université de Cambridge pour une thèse sur l’esthétique sur laquelle s’appuie son premier livre, Art and Imagination publié en 1974. Il y démontre que « ce qui distingue l’intérêt esthétique d’autres intérêts est qu’il renvoie à l’appréciation d’une chose pour elle-même ». Puis, Scruton publie plusieurs livres sur l’esthétique, notamment The Aesthetics of Architecture (1979), The Aesthetic Understanding (1983, avec une nouvelle édition en 1997), The Aesthetics of Music (1997), et Beauty (2010).



En 1974, il devient également un des quatre membres du comité de direction du Conservative Philosophy Group fondé cette année-là par le député conservateur Hugh Fraser pour développer les bases intellectuelles du conservatisme. Il étudie le droit aux Inns of Court entre 1974 et 1976 et est admis au barreau en 1978. Il n’exercera cependant jamais.



Dans The Meaning of Conservatism (1980), il appelle les conservateurs à se préoccuper non seulement de l’économie mais aussi et avant tout de questions morales. Scruton est alors diabolisé par ses collègues de Birkbeck pour ses positions politiques.



Il publie alors The Politics of Culture and Other Essays (1981), puis une histoire et un dictionnaire de philosophie en 1982, des ouvrages didactiques sur Kant et Spinoza (1983 et 1987), Thinkers of the New Left en 1985 qui est un recueil d’essais critiques concernant 14 intellectuels éminents, et Sexual Desire : a Moral Philosophy of the Erotic (en 1986).



L’influence du concept de Lebenswelt d’Edmund Husserl prend alors toute son importance dans le parcours de Scruton qui assiste dans les années 1980 à sa destruction dans l’Europe de l’Est sous contrôle soviétique. Il prend alors connaissance des tentatives de certains intellectuels dissidents (parmi lesquels le disciple de Husserl Jan Patočka) de restaurer ce Lebenswelt. Il devient vite persuadé que c’est le devoir des philosophes de sauver les idées à travers lesquelles l’homme perçoit le monde et s’y adapte. Son expérience à Paris en mai 1968 l’avait convaincu que la politique révolutionnaire mène inévitablement au nihilisme et à un monde fragmenté par le doute et le ressentiment.



Roger Scruton a été profondément marqué par la première phrase des Mémoires de guerre du Général de Gaulle : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France ». Cette idée et le Lebenswelt d’Husserl ont façonné le home que Scruton érige en concept. Il partage l’idée de la France que se faisait le général de Gaulle, et défend à son tour une certaine idée de l’Angleterre. Loin d’une définition particulariste de son identité, Roger Scruton se définit respectivement comme « intellectuel français, Anglais de naissance, romantique allemand, Virginien fidèle, patriote tchèque, et, comme Sylvia Plath, peut-être un peu juif aussi (voir le chapitre « How I discovered my name » dans Gentle Regrets) ».



Entre 1979 et 1989, Scruton soutient activement les dissidents du bloc de l’Est et notamment de Tchécoslovaquie alors sous contrôle du parti communiste. Il contribue à créer des liens entre des universitaires dissidents tchèques et leurs homologues d’Europe de l’Ouest. Dans le cadre de la Jan Hus Educational Foundation, lui et d’autres universitaires se rendent à Prague et Brno pour soutenir un réseau universitaire clandestin créé par le dissident tchèque Julius Tomin ; ils aident à faire entrer des livres sous le manteau et à organiser des conférences. Ils parviennent à offrir à des étudiants de suivre à distance un diplôme de Cambridge en théologie (la faculté de théologie ayant été choisie parce que c’était la seule à répondre à la demande d’aide). Selon Scruton, les programmes d’étude étaient structurés, des traductions de livres circulaient sous forme de samizdat, et les étudiants passaient leurs examens dans des caves sur des copies infiltrées dans des valises diplomatiques. Roger Scruton est arrêté et détenu en 1985 à Brno avant d’être expulsé du pays et mis à l’Index des Personnes Indésirables de Tchécoslovaquie. Pour son travail de soutien aux dissidents, Scruton reçoit de la ville de Plzeň en 1993 le Prix du Premier Juin, et en 1998, le Président Václav Havel lui remet la Médaille du Mérite (Première Classe). Peter Hitchens écrit en 2009 son admiration pour Roger Scruton et d’autres qui ont œuvré dans la lutte contre le communisme. En 1994, Roger Kimball avait écrit qu'« à la fin des années 1980, Scruton avait travaillé de manière courageuse et efficace pour aider les mouvements sur place à mettre fin à la tyrannie communiste en Pologne et en Tchécoslovaquie ». Scruton est très critique envers certains commentateurs et certaines personnalités du monde occidental – et en particulier Eric Hobsbawm – qui « ont fait le choix d’innocenter les anciens régimes communistes de leurs crimes et atrocités ».



En 1982, Roger Scruton devient membre fondateur de la Salisbury Review, revue défendant le conservatisme traditionnel par opposition au Thatchérisme (il dirige la revue pendant 18 ans jusqu’en 2001 et siège toujours au comité de rédaction). Cette revue est créée par un groupe de Parti Tory connu sous le nom de Salisbury Group, avec le soutien de la Peterhouse Right, cercle de conservateurs associés au Peterhouse College de l’Université de Cambridge qui compte parmi ses membres Maurice Cowling, David Watkin et le mathématicien Adrian Mathias. En 2002, il écrit que cette activité éditoriale a mis un terme à sa carrière universitaire au Royaume-Uni. La revue essayait en effet de fournir une base intellectuelle au conservatisme, et était très critique vis-à-vis de certaines des préoccupations majeures de l’époque, à savoir le mouvement pour la paix, la Campagne pour le Désarmement Nucléaire, l’égalitarisme, le féminisme, l’aide aux pays du tiers monde, le multiculturalisme et le modernisme. « Enfin, il était possible d’être conservateur et aussi d’être à gauche de quelque chose », écrit Scruton, et « cela valait la peine de sacrifier ses chances de devenir membre de la British Academy, vice-chancelier ou professeur émérite pour pouvoir dire la vérité ». Il est néanmoins nommé membre de la British Academy en 2008.



En 1990, Roger Scruton part travailler pendant un an pour la Jan Hus Educational Foundation en Tchécoslovaquie, puis enseigne la philosophie à mi-temps de 1992 à 1995 à l’Université de Boston, tout en continuant d’habiter au Royaume-Uni. Il revient définitivement, s’installe à la campagne et se découvre une passion pour la chasse à courre. C’est dans ce cadre qu’il rencontre Sophie Jeffreys, historienne de l’architecture, qu’il épouse en 1996. Ils ont deux enfants, et vivent actuellement dans une ferme du Wiltshire (ouest de l’Angleterre). Entre 2001 et 2009, Scruton tient une rubrique sur le vin au journal New Statesman, écrit des articles pour la revue World of fine wine et contribue à l’ouvrage Questions of Taste : The Philosophy of Wine (2007) par un chapitre intitulé « The Philosophy of Wine ». Son ouvrage I Drink Therefore I am: A Philosopher’s Guide to Wine (2009) reprend certains articles publiés dans The New Stateman.



Roger Scruton a occupé plusieurs postes universitaires dans les années 2000 : entre 2005 et 2009, il est chercheur à l'Institute for the Psychological Sciences à Arlington en Virginie aux États-Unis. Depuis 2009, il est professeur invité à l’American Enterprise Institute de Washington D. C. où il effectue des travaux de recherche sur l’impact culturel de la neuroscience. En janvier 2010, il est sollicité comme professeur invité (non-rémunéré) à l’Université d'Oxford afin d’enseigner l’esthétique à des étudiants de 3e cycle. En 2011, il accepte aussi un poste à quart-temps de professeur invité en philosophie morale à l’Université de St Andrews en Écosse. Il est également chercheur (non-rémunéré) à l’Université de Buckingham. En 2010, c’est lui qui prononce à St Andrews la série de conférences Gifford Lectures sur le sujet suivant : « The Face of God » (« Le Visage de Dieu »). En 2000, Anthony Grayling, philosophe et professeur à Birkbeck, décrit Scruton comme « un merveilleux professeur de philosophie. Ses ouvrages didactiques écrits pour les étudiants et le grand public sont clairs, honnêtes et précis. C’est en partie grâce à la présence de Roger Scruton que le département de philosophie de Birkbeck est un des meilleurs du pays ».



En juillet 2008, un colloque international de deux jours se tient sur l’esthétique de Scruton à l’Université de Durham. L’objet de ce colloque qui attire des participants du monde entier est d’analyser et d’évaluer l’impact de Scruton dans le domaine de l’esthétique. À la suite de cet événement, en juin 2012 est publié un recueil d’études sur la portée de l’esthétique de Scruton. Dans le cadre d’un débat organisé en mars 2009 par Intelligence Squared à la Royal Geographical Society de Londres, Scruton (avec l’historien David Starkey) soumet la proposition suivante à discussion : « La Grande-Bretagne est devenue indifférente à la beauté » en tenant côte à côte une représentation de la Naissance de Vénus de Botticelli et une photo du mannequin anglais Kate Moss pour montrer que la perception de la beauté en Grande-Bretagne est retombée « au niveau de nos appétits et de nos instincts les plus primaires ».



Quelques mois plus tard, en novembre 2009, Scruton écrit et présente pour la chaîne de télévision britannique BBC Two un documentaire intitulé Why Beauty Matters (« Pourquoi la beauté compte ») où il défend que la beauté devrait recouvrer la place qu’elle a toujours eue dans l’art, l’architecture et la musique. Dans un article paru dans The American Spectator juste après la diffusion de ce documentaire, Scruton dit avoir reçu dès le lendemain une avalanche de courriels qui, à une seule exception près, le remerciaient.



Le documentaire Why Beauty Matters se termine sur le mot home (la maison, le foyer, l’environnement immédiat) qui introduit non seulement l’esthétique mais aussi plus largement la culture dans l’aménagement de son habitat naturel. Dans ses ouvrages sur la culture (The Politics of Culture and Other Essays, 1981 ; An Intelligent Person's Guide to Modern Culture, 1998, nouvelle éd. 2000 ; Culture Counts : Faith and Feeling in a World Besieged, 2007), Scruton défend et actualise une tradition anglaise. À la suite de Matthew Arnold, cette pensée associe une conception classique de la culture comme éducation à la beauté à une conception romantique de la culture comme esprit d’un peuple. Scruton emprunte également à l’anthropologie pour mettre en évidence le rôle de la religion, entendue comme sens du sacré et comme religiosité, dans la formation et la transmission d’une culture, et le rôle de la culture et de la religion dans la préservation du vivre-ensemble, en réaction à la définition abstraite de la religion et universaliste de la culture apportée par les philosophes des Lumières. Les Notes Towards the Definition of Culture mais surtout les Four Quartets de T. S. Eliot influencent de manière décisive la pensée de Roger Scruton sur la culture.



S'il appartient à une tradition anglaise de pensée de la culture, Roger Scruton n'en cherche pas moins à l'actualiser, la rendre intelligible pour ses contemporains. Tous ses travaux semblent converger vers une direction : la formulation d’une réaction au monde moderne qui tente d’en établir le sens (making sense). Comme Sartre, Scruton montre que le sens se révèle dans les apparences, et explore les invitations à être, agir, sentir qui nous sont envoyées par les apparences du monde. Sa philosophie s’emploie à montrer comment le sens réside dans la science, comment il apparaît dans l’art, la culture, la philosophie. Il y a des modes d’apparence qui échappent néanmoins aux esprits éduqués, tels que la musique.



La musique a occupé une place centrale dans la pensée de Scruton qui a consacré deux ouvrages philosophiques sur la question (The Aesthetics of Music en 1997 et Understanding Music en 2009) et composé des pièces pour piano, des chansons et des opéras. Il a en effet écrit trois livrets d’opéra, dont deux qu'il a mis en musique. Le premier, un opéra de chambre en un acte et qui a pour titre The Minister, a fait l’objet de plusieurs représentations. Le second, un opéra en deux actes appelé Violet a été porté à la scène deux fois à la Guildhall School of Music and Drama de Londres en décembre 2005. Il est basé sur la vie de la claveciniste britannique Violet Gordon-Woodhouse.



Scruton est devenu conservateur lors des émeutes étudiantes de mai 1968 en France. Celui-ci   se souvient : « Je me rendais compte soudain que j’étais de l’autre côté. Ce que je voyais, c’était une foule incontrôlable de voyous complaisants de la classe moyenne. Quand je demandais à mes amis ce qu’ils voulaient, ce qu’ils essayaient d’obtenir, tout ce que je recevais comme réponse était un charabia ridicule, délibérément obscur et alambiqué, typique du marxisme. J’en étais dégoûté, et en suis venu à penser qu’il devait y avoir un moyen de revenir à la défense de la civilisation occidentale contre ces assauts. C’est à ce moment que je suis devenu conservateur. Je savais que je voulais conserver les choses plutôt que de les détruire ».



À cette époque, il lit des textes de Sartre (La Critique de la raison dialectique et Situations) qui n’exercent pas sur lui l’attraction des écrits de jeunesse ; de Michel Foucault (Les Mots et les choses) ; et de successeurs de Karl Marx et de Sigmund Freud tels que Louis Althusser, Gilles Deleuze, Félix Guattari et Jacques Lacan. Il se rend compte alors que la ferveur avec laquelle les manifestants détruisent les structures en place n’a d’égale que l’imprécision de leurs intentions : qu’est-il proposé en effet pour remplacer ce monde à détruire ? Telle est la question que se pose Scruton qui n’a cessé depuis de suivre avec passion l’évolution de la vie intellectuelle française.



The Meaning of Conservatism (1980) — qui était selon lui « une défense assez hégélienne des valeurs Tory face à leur trahison par les tenants du marché-libre » — est le livre qui, selon lui, a gâché sa carrière universitaire. Il écrit dans Gentle Regrets (2005) qu’il a trouvé plusieurs des arguments formulés par Edmund Burke dans ses Réflexions sur la Révolution de France (1790) convaincants. Même si Burke écrivait sur la révolution et non pas sur le socialisme, Scruton est persuadé que, les promesses utopiques du socialisme, selon ses propres mots, reposent sur une vision abstraite de l’esprit qui n’a que peu de rapports avec la manière de penser de la plupart des gens. Burke l’a aussi convaincu du fait que l’histoire ne suit pas une direction, qu’il n’y a pas de progrès moral ou spirituel ; que les hommes pensent collectivement et n’ont de but commun qu’en temps de crise ou de guerre, et que la tentative d’organiser la société de cette manière nécessite de trouver un ennemi réel ou imaginaire. D’où, écrit Scruton, le ton strident de la littérature socialiste. Il continue de montrer, à la suite de Burke, que la société est maintenue dans son intégrité par l’autorité et l’état de droit dans le sens du droit à l’obéissance, et non par des droits imaginés des citoyens. L’obéissance, écrit-il, est « la vertu première des êtres politiques, la disposition qui fait qu’il est possible de les gouverner, et sans laquelle les sociétés se désintégreraient dans ‘la poussière et la poudre de l’individualité’ ». La liberté véritable, montre Scruton, n’entre pas en conflit avec l’obéissance, mais en est le versant complémentaire. Il a aussi été convaincu par les arguments de Burke concernant le contrat social, un contrat social qui devrait être élargi pour prendre en compte les morts et ceux à naître. Oublier cela, écrit-il – se débarrasser des coutumes et des institutions –, c’est « placer les membres vivants d’une société en position de domination dictatoriale sur ceux qui les ont précédés et qui leur succéderont ».



Scruton montre que les croyances qui apparaissent comme des exemples de préjugé peuvent être utiles et importantes : « nos croyances les plus nécessaires peuvent être à la fois injustifiées et injustifiables, de notre point de vue, et la tentative de les justifier ne pourrait que mener à leur perte ». Un préjugé en faveur de la pudeur chez les femmes et de la galanterie chez les hommes, pourrait stabiliser les relations sexuelles et améliorer l’éducation des enfants, même si ces effets ne fournissent pas une justification a priori du préjugé. Il serait aisé alors de montrer que le préjugé est irrationnel, mais qu’on perdrait à l’abandonner.



Dans Arguments for Conservatism (2006), il définit les domaines dans lesquels une pensée philosophique est nécessaire pour que le conservatisme soit intellectuellement convaincant. Il montre que les êtres humains sont des créatures dotées d’affections limitées et locales. L’attachement au territoire est la racine de toutes les formes de gouvernement où le droit et la liberté règnent en maîtres ; toute expansion de la juridiction au-delà des frontières de l’État-nation mènent à une perte de responsabilité. Il s’oppose à l’élévation de la « nation » au-dessus de ses habitants, ceci constituant une menace plutôt qu’une protection de la citoyenneté et de la paix. Il montre que « le conservatisme et la conservation » sont deux volets d’une même politique, celle de la gestion des ressources, ce qui comprend le capital social inscrit dans les lois, les coutumes et les institutions, et le capital matériel présent dans l’environnement. Prenant appui sur ses études de droit entreprises lorsqu’il travaillait à Birkbeck College (il fut admis au barreau en 1978), il montre encore que les lois ne devraient pas être utilisées comme un instrument au service d’intérêts particuliers. Ceux qui attendent les réformes avec impatience — par exemple dans les domaines de l’euthanasie ou de l’avortement — auront du mal à accepter ce qui est « l’évidence même pour les autres : que les lois existent précisément pour freiner leurs ambitions ».



Il définit le postmodernisme comme l’affirmation qu’il n’y a plus aucun fondement à la vérité, à l’objectivité et au sens, et que les conflits d’opinion ne sont rien de plus que des luttes pour le pouvoir. Il montre également que, alors que l’Occident est tenu de juger les autres cultures selon leurs propres critères, la culture occidentale est jugée de façon antagoniste comme ethnocentrique et raciste. Il écrit : « le même raisonnement qui est mis au service de la destruction de l’idée de vérité objective et de valeur absolue impose le politiquement correct comme contrainte absolue, et le relativisme culturel comme vérité objective ».



Selon Jonathan Dollimore, l’ouvrage de Scruton intitulé Sexual Desire (1986) est basé sur une éthique sexuelle conservatrice qui repose sur la proposition hégélienne selon laquelle « la finalité de chaque être rationnel est la construction de soi », ce qui sous-entend une reconnaissance de l’autre comme foi en soi. Scruton montre que la perversion tire son origine dans « l’acte sexuel qui évite ou abolit l’autre » qu’il voit comme narcissique et égoïste. En 1989, Scruton avait écrit dans un essai intitulé Moralité sexuelle et consensus libéral (1989) que l’homosexualité était une perversion pour cette raison : parce que le corps du partenaire homosexuel appartient à la même catégorie que le sien. Dans le Guardian en 2010, Scruton revient sur cette position qu’il ne défend plus. Selon Mark Dooley, le but de Scruton est de montrer la dimension sacrée du désir sexuel. Sexual Desire a été décrit par le philosophe américain Alan Soble comme étant « de loin la justification philosophique la plus intéressante et informée du désir sexuel produite par la philosophie analytique ».



En 2012, Roger Scruton publie un livre sur l’environnement, Green Philosophy, qui montre que la protection de l’environnement ne doit pas être l’apanage de certains partis politiques. Il crée alors le concept d’oikophilia, l’amour du foyer, du home. Il rappelle à cette occasion que le conservatisme consiste avant tout à conserver, et ce en gardant à l’esprit le contrat d’Edmund Burke entre les vivants et les morts et ceux qui sont à naître.



À la suite d’Emmanuel Kant, Scruton affirme que l’être humain a une dimension spirituelle, un fond, un cœur (core) sacré qui se manifeste lorsqu’il réfléchit sur lui-même. Il montre que nous vivons une ère de sécularisation sans précédent dans l’histoire du monde. Il dit que des écrivains et les artistes tels Rainer Maria Rilke, T. S. Eliot, Edward Hopper et Arnold Schönberg « ont consacré beaucoup d’énergie à essayer de retrouver l’expérience du sacré — mais comme forme de conscience privée plutôt que publique ».



Il définit le totalitarisme comme absence de toute contrainte placée sur l’autorité centrale, où tous les aspects de la vie seraient du ressort du gouvernement. Scruton montre que les défenseurs du totalitarisme se nourrissent du ressentiment, et une fois qu’ils se sont emparés du pouvoir, ils commencent à abolir les institutions – les lois, la propriété et la religion – qui créent des autorités. Scruton écrit que « pour ces hommes remplis de ressentiment, ce sont ces institutions qui sont responsables de l’inégalité, et donc de leur humiliation et de leur échec ». Il montre que les révolutions ne sont pas conduites d’en bas par la population, mais d’en haut, au nom de la population, par une élite ambitieuse. Scruton suggère que si l’usage de la Novlangue est important dans les sociétés totalitaires, c’est parce que le pouvoir du langage de décrire la réalité est remplacé par un langage dont le but est d’éviter la confrontation avec la réalité. Il s’accorde avec Alain Besançon sur le fait que la société totalitaire envisagée par George Orwell dans 1984 ne peut être comprise qu’en termes théologiques comme une société fondée sur une négation transcendantale. Avec T. S. Eliot, il estime qu’une originalité véritable n’est possible qu’au sein d’une tradition, et que c’est précisément dans un contexte moderne – un contexte de fragmentation, d’hérésie et d’athéisme – que le projet conservateur acquiert tout son sens.



En 2012, Roger Scruton publie Our Church où il défend le rôle de l’Église anglicane en Angleterre dans la préservation de la culture, de l’architecture, de l’environnement et du vivre-ensemble. La même année, il publie The Face of God qui est un développement des Gifford Lectures qu'il a prononcées à l'Université de St Andrews en 2010. De nouveau, en 2014, il publie un autre ouvrage sur la religion, The Soul of the World qui est issu des Stanton Lectures qu'il a données en 2011 à la faculté de théologie de l'Université de Cambridge. Un colloque international est organisé du 11 au 13 avril 2014 à l'Université McGill de Montréal sur le thème "Roger Scruton. Thinking the Sacred. Philosophy of Religion, Aesthetics, Culture."


Ouvrages traduits en français 

CONSERVATISME (2018)

Si le conservatisme est une manière particulière d'être, un « tempérament » - qui revendique sa part dans toutes les activités humaines, les arts, la musique, la littérature, la science, la religion et, bien sûr, la politique -, la philosophie politique à laquelle il a donné son nom est issue quant à elle de trois grandes révolutions : la Glorieuse révolution anglaise de 1688, la Révolution américaine achevée en 1783 et la Révolution française de 1789. C'est l'histoire de ce courant de pensée mal aimé et mal connu que le philosophe Roger Scruton, l'un de ses plus éminents représentants, retrace ici avec brio.
L'image d'Épinal du conservateur nostalgique, réactionnaire, dont la pensée, comme toujours en deuil, ne semble tournée que vers le passé se trouve fortement remise en question par Roger Scruton, qui révèle l'étendue et la richesse insoupçonnée de cette tradition intellectuelle.

DE L'URGENCE D'ÊTRE CONSERVATEUR (2016)

"En France, qu'il vienne d'ici ou d'ailleurs, le conservatisme a mauvaise presse : quand pour certains tout commence à la Révolution française, que la liberté ne se conçoit que comme table rase et que le Progrès et le progressisme jouent le rôle de religion moderne, on comprend qu'être conservateur y soit difficile. D'autant plus que depuis longtemps, le progressisme est majoritaire dans les milieux intellectuels. Cependant, l'un des plus grands philosophes anglais contemporains a su offrir un puissant fondement intellectuel au conservatisme. Avec De l'urgence d'être conservateur, son livre le plus abouti, Roger Scruton dévoile le fil conducteur de sa pensée : l'importance de la tradition comme forme de connaissance, l'amour de la transmission, l'éloge d'une société civile autonome comme garante de la responsabilité et de la vertu, et le rôle central de la nation comme source de loyauté et objet d'affection. Partant de la politique, Scruton aboutit à la métaphysique et à l'esthétique, pour appeler à la préservation du sacré et de la beauté, seuls capables de donner du sens à l'existence humaine dans un monde désenchanté. Et c'est sans doute là qu'il est le plus original, parvenant à relier une philosophie de la polis à une réflexion sur les grandes questions de la condition humaine." Laetitia Strauch-Bonart.

L'ERREUR ET L'ORGUEIL (2019)

Le philosophe anglais Roger Scruton passe en revue les thèmes et ouvrages des principaux penseurs qui ont influencé la gauche occidentale des cinquante dernières années  : E. P. Thompson, Michel Foucault, Ronald Dworkin, R. D. Laing, Jurgen Habermas, Gyorgy Lukacs, Jean-Paul Sartre, Jacques Derrida, Slavoj Zizek, Ralph Milliband, Eric Hobsbawm et Alain Badiou.
Qu’est-ce que la gauche pour ces intellectuels  ?  Par quels détours le combat historique de la gauche pour l’égalité a-t-il pu délaisser la classe ouvrière pour les minorités  ?  Quelles responsabilités pour les intellectuels de gauche dans les désordres, déséquilibres et fragmentations de la société contemporaine  ?  Peut-il y avoir une base pour la résistance à l'agenda de gauche sans foi religieuse ?
Après les évaluations critiques de chacune des œuvres des penseurs choisis, le livre propose une section biographique et bibliographique qui résume leurs carrières et écrits les plus importants.




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