Pierre Manent :Comment orienter ou diriger l'action que j'ai le droit de faire ?


La loi naturelle et les droits de l’homme, reparaît en édition de poche. Une critique brillante de l’anomie d’une société régie par le seul principe des droits individuels, due à l’un des grands héritiers de la tradition libérale française.

La doctrine des droits de l'homme est devenue l'unique référence légitime pour ordonner le monde humain et orienter la vie sociale et individuelle. Dès lors, la loi politique n'a plus d'autre raison d'être que de garantir les droits humains, toujours plus étendus. La loi ne commande plus, ne dirige plus, n'oriente plus : elle autorise. Elle ne protège plus la vie des institutions - qu'il s'agisse de la nation, de la famille, de l'université -, mais donne à tout individu l'autorisation inconditionnelle d'y accéder. L'institution n'est donc plus protégée ni réglée par une loi opposable à l'individu ; celui-ci jouit d'un droit inconditionnellement opposable à l'institution. Pierre Manent montre que cette perspective livre les éléments constituants de la vie humaine à une critique arbitraire et illimitée, privant la vie individuelle comme la vie sociale de tout critère d'évaluation. Une fois que sont garantis les droits égaux de faire telle action ou de conduire telle démarche, il reste à déterminer positivement les règles qui rendent cette action juste ou cette démarche salutaire pour le bien commun. La loi naturelle de la recherche du bien commun se confond avec la recherche des réponses à la question : comment orienter ou diriger l'action que j'ai le droit de faire ?

Éric Zemmour: «Pierre Manent, conservateur ou libéral?»
Rien ne va plus dans le monde enchanté du libéralisme. Alors que les «gilets jaunes» ont sonné la révolte des victimes de la mondialisation, montrant la face sombre du libéralisme économique, on pensait au moins que sa version philosophique, solidement assise sur la déclaration des droits de l’homme, n’était contestée que par des réactionnaires grincheux (tout réactionnaire ne peut être que grincheux aux yeux de nos éminents progressistes) ou des communistes qui n’avaient rien appris ni rien compris. Et voilà que l’un des plus éminents philosophes libéraux, un élève de Raymond Aron lui-même, un de nos plus glorieux héritiers de la tradition tocquevilienne française, Pierre Manent, dynamite les fondements mêmes de notre régime en opposant la loi naturelle aux droits de l’homme. Pourtant, depuis les années 1980, la cause semblait entendue: la déclaration des droits de l’homme, notre titre de gloire aux yeux de l’humanité, était la version laïcisée, moderne, de la loi naturelle qui devait servir de rempart aux tentations liberticides du pouvoir, car tout pouvoir est tenté d’en abuser, selon la célèbre formule de lord Acton: «Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend fou absolument.»
Cette vulgate libérale fonde notre «État de droit» qui a peu à peu transformé l’État en dispensateur de droits individuels, toujours plus étendus, toujours plus indiscutables, toujours plus impérieux.
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