Mathieu Bock-Côté : Une nostalgie nommée Philipe Seguin
L'histoire de Philippe
Séguin, aux yeux de plusieurs observateurs, est celle d’un vaincu magnifique,
qui aura eu raison contre son temps, et dont les paroles viennent hanter
aujourd’hui ceux qui ne l’ont pas écouté. On se rappelle sa campagne contre le
traité de Maastricht en 1992, où il s’imposa comme le défenseur de la
souveraineté nationale, jugeant criminel de la concéder à un empire européen
qu’il avait deviné avant tout le monde à la fois tyrannique et impuissant.
Séguin savait que le sacrifice de la souveraineté nationale entraînerait celui de la souveraineté populaire. Il refusait la réduction de la politique à une simple logique gestionnaire, qui prendra pendant plus d’une décennie le visage d’un social-libéralisme mondialisé démocratiquement toxique. Au début des années quatre-vingt-dix, il avait deviné, en quelque sorte, que la dissolution de la politique allait entraîner tôt ou tard une révolte contre cette dépossession intégrale des peuples – une révolte que notre époque a pris l’habitude d’appeler « populisme » pour mieux la déconsidérer.
On se souvient aussi de sa participation à l’aventure présidentielle de Jacques Chirac en 1995, menant la lutte contre la fracture sociale. Le projet était flou mais la formule était belle et répondait à un sentiment de plus en plus présent dans la vie publique : la France se fracturait peu à peu – on parlerait plus tard de la France des métropoles et de la France périphérique – et cherchait un grand projet pour se mobiliser. Il y avait dans cette séquence un éloge du volontarisme. La politique n’avait pas seulement vocation à adapter la société française aux évolutions du monde contemporain, elle devait modeler l’avenir, définir les paramètres d’une existence commune.
Séguin savait que le sacrifice de la souveraineté nationale entraînerait celui de la souveraineté populaire. Il refusait la réduction de la politique à une simple logique gestionnaire, qui prendra pendant plus d’une décennie le visage d’un social-libéralisme mondialisé démocratiquement toxique. Au début des années quatre-vingt-dix, il avait deviné, en quelque sorte, que la dissolution de la politique allait entraîner tôt ou tard une révolte contre cette dépossession intégrale des peuples – une révolte que notre époque a pris l’habitude d’appeler « populisme » pour mieux la déconsidérer.
On se souvient aussi de sa participation à l’aventure présidentielle de Jacques Chirac en 1995, menant la lutte contre la fracture sociale. Le projet était flou mais la formule était belle et répondait à un sentiment de plus en plus présent dans la vie publique : la France se fracturait peu à peu – on parlerait plus tard de la France des métropoles et de la France périphérique – et cherchait un grand projet pour se mobiliser. Il y avait dans cette séquence un éloge du volontarisme. La politique n’avait pas seulement vocation à adapter la société française aux évolutions du monde contemporain, elle devait modeler l’avenir, définir les paramètres d’une existence commune.
« Ce tribun d’exception ne brillait que dans les grandes
querelles. La vie politique ordinaire le servait mal et les temps sans relief
ne lui permettaient pas de donner sa pleine mesure. »
C’est en partie ce qui fait de la France une nation aussi passionnante pour ceux qui la regardent de l’extérieur : la politique y a une charge existentielle exceptionnelle. On ne s’y engage pas seulement pour administrer la société mais pour faire l’histoire. L’homme politique qui n’a pas une dimension romanesque y sera vite oublié. Ceux qui ont écrit l’histoire des trente ou quarante dernières années politiques ont multiplié les portraits de Séguin en personnage aussi attachant qu’exaspérant, visionnaire et cyclothymique. On comprend pourquoi ils furent si nombreux à vouloir l’accompagner. Le combat politique à son côté était transfiguré en combat historique.
Séguin joue un peu dans l’imaginaire de la droite le même rôle que celui de Pierre Mendès France dans celui de la gauche. Ils sont plusieurs, encore aujourd’hui, à chercher celui qui pourrait prendre sa suite, comme s’il demeurait le dernier politique portant non seulement une carrière mais un destin, comme l’a très finement noté Arnaud Teyssier dans la biographie qu’il lui a consacrée. Mais, on l’a dit, Séguin a perdu et ses dernières batailles politiques, surtout après 1995, s’écrivirent à l’encre de l’humiliation. Ce tribun d’exception ne brillait que dans les grandes querelles. La vie politique ordinaire le servait mal et les temps sans relief ne lui permettaient pas de donner sa pleine mesure. Les historiens peuvent le classer parmi les voix prophétiques, mais plus difficilement parmi les grands hommes d’État – les circonstances l’ont empêché de le devenir. Son parcours ressemble finalement à une occasion manquée pour la France.
"Il y avait chez Séguin un étrange mélange de volontarisme et
de fatalisme. Comme s’il croyait à la fois en la grandeur du politique et à la
vanité de l’homme et du monde qu’il construit."
Demeure pourtant dans la mémoire de ceux qui l’ont accompagné un
sentiment vif : cette défaite n’était pas fatale. David Desgouilles, dans Leurs guerres perdue, a ainsi
cherché à comprendre pourquoi une si belle entreprise avait avorté. Son combat
n’était pas celui d’un « réactionnaire » héroïque, voulant prendre sa revanche
sur l’histoire. Une question revient en boucle : que serait-il arrivé si Séguin
ne s’était pas laissé intimider par Mitterrand lors du débat sur Maastricht ?
Le sort du monde n’aurait probablement pas été le même. Les hommes font
l’histoire, quoi qu’en pensent ceux qui l’imaginent déterminée par des
processus impersonnels si puissants que le politique ne peut en rien
l’orienter.
Il y avait chez Séguin un étrange mélange de volontarisme et de fatalisme.
Comme s’il croyait à la fois en la grandeur du politique et à la vanité de
l’homme et du monde qu’il construit. Il s’engageait dans une bataille de la
plus belle manière, et savait transformer de sa voix unique un combat en
épopée. C’est probablement pour cela qu’encore aujourd’hui, il inspire
autant [...] > LIRE LA SUITE