Alain Madelin : Le passeport pour le monde d'après, c'est la redistribution des pouvoirs
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Qu'on me pardonne de gâcher la fête mais le problème de la société française n'est pas un problème de commandement, pas plus qu'un problème de dépense publique. Sauf à croire à la supériorité du gouvernement actuel sur tous ceux qui l'ont précédé depuis tant d'années, il faut accepter l'idée que les difficultés de notre pays sont d'abord la cause d'une extraordinaire concentration de pouvoir au sommet d'un Etat qui élargit toujours plus en son action en légiférant, en réglementant et en dépensant toujours davantage. C'est le "mal français" si souvent décrit, source de tant de rapports et de livres talentueux restés sans lendemains.
Redécouvrons le principe de subsidiarité
Saisissons ce moment où la crise sanitaire a montré - nécessité oblige - les capacités d'initiative de notre société pour nous attaquer à la racine ce "mal français". "Osons expérimenter, déconcentrer, osons conclure avec nos territoires et nos élus de vrais pactes girondins" avait lancé le Président de la République. Alors suivons-le, précédons-le, allons aussi loin que possible dans la redistribution des pouvoirs.
Nous avons une bonne boussole pour cela : c'est le principe de subsidiarité. Un nom étrange, issu de notre philosophie humaniste qu'il est facile d'expliquer. C'est l'idée toute simple selon laquelle tout ce que les citoyens et les familles sont capables de faire par leur liberté d'agir ou de choisir, il faut leur laisser faire. Tout ce que les entreprises, les associations, les partenaires sociaux ou les collectivités territoriales, il faut leur laisser faire. Et mieux encore aujourd'hui, leur permettre de le faire. Une vraie révolution mais une révolution tranquille car elle n'a pas besoin d'un chamboule-tout juridique ou d'une nouvelle République.
La prime à l'initiative
La constitution de la Ve République s'y prête très bien. Inscrivons tout d'abord ce "principe de subsidiarité" dans les principes fondateurs. Et pour le reste tout est dans une relecture exigeante et interprétative de l'article 34 de notre Constitution.
Sachez que l'on y distingue deux types de lois. D'abord la "loi qui fixe des règles" dans des domaines disons régaliens comme les droits civiques, l'exercice des libertés publiques, la nationalité, le régime matrimonial, les successions, l'assiette des taux d'imposition, le régime électoral, les garanties des fonctionnaires.... Ensuite la "loi qui détermine les principes fondamentaux" dans toute une série de domaines comme la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences et leurs ressources, l'enseignement, l'environnement, le régime de la propriété et les obligations civiles et commerciales, le droit du travail, le droit syndical et de la sécurité sociale...
Dans la pratique hélas, les gouvernements et le Conseil constitutionnel ont oublié cette distinction au détriment des lois de principes. Il suffit de la remettre en vigueur et surtout d'ouvrir la déclinaison pratique de ces principes fondamentaux aux acteurs concernés de la vie économique, sociale et territoriale, avec un espace réglementaire d'adaptation spécifique pour les collectivités territoriales et les partenaires sociaux.
Ajoutez à cela un "statut de l'initiative" plus audacieux, plus ouvert et moins contraignant que le "statut de l'expérimentation" introduit en 2003 dans notre Constitution et vous aurez la boîte à outils d'une profonde redistribution des pouvoirs au rythme de la société.
La restauration de l'autorité
Le résultat de l'action humaine, qu'elle soit publique ou privée dépend avant tout de structures motivantes, gratifiantes, énergisantes faisant la plus large part à la liberté, au talent et à la responsabilité. Faire vivre le principe de subsidiarité, c'est le moyen de reconstruire un Etat social faisant appel à toutes les graduations de solidarités et d'assurances mutuelles. C'est solliciter et récompenser l'initiative des fonctionnaires dans la recherche de l'efficacité de l'action publique grâce notamment au numérique. C'est imaginer des écoles nouvelles dans nos quartiers ghettos.
C'est donner des outils à la lutte contre la pauvreté, c'est accompagner la revitalisation de nos territoires... Le champ est immense. C'est la France des "faiseux" si chère à Alexandre Jardin, la France des "bonnes nouvelles des territoires" que raconte si bien l'économiste Michel Godet. Ce n'est pas affaiblir l'État, c'est restaurer son autorité, la renforcer en évitant qu'il ne s'épuise. Le Président de la République en s'engageant dans cette voie rendrait un immense service à son pays. Il resterait aussi pour l'Histoire le grand modernisateur de la France.