André Comte-Sponville : «Montaigne nous dit: “Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant”»


Le tour de force d'André Comte-Sponville est d'avoir réussi, dans le dialogue amoureux qu'il mène ici avec l'auteur des Essais, à rendre limpide et bouleversante l'incroyable richesse de la pensée de celui-ci, tout en nous rendant intimement témoins de ce qu'il en retire pour faire franchir à sa propre philosophie une nouvelle étape.

Il nous fait redécouvrir Montaigne, écrivain de génie, talentueux philosophe, humain d'exception que l'on aurait tant aimé connaître : " quel esprit plus libre, plus singulier, plus incarné ? Quelle écriture plus souple, plus inventive, plus savoureuse ? Quelle pensée plus ouverte, plus lucide, plus audacieuse ? Celui-là ne pense pas pour se rassurer, ni pour se donner raison. Ne vit pas pour faire une œuvre. Pour quoi ? Pour vivre, c'est plus difficile qu'il n'y paraît, et c'est pourquoi aussi il écrit et pense. Il ne croit guère à la philosophie, et n'en philosophe que mieux. Se méfie de 'l'écrivaillerie' et lui échappe, à force d'authenticité, de spontanéité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude, et fait le livre le plus vrai du monde, le plus original et, par-là, le plus universel. Ne se fait guère d'illusions sur les humains, et n'en est que plus humaniste, Ni sur la sagesse, et n'en est que plus sage. Enfin il ne veut qu'essayer ses facultés (son titre, Essais, est à prendre au sens propre) et y réussit au-delà de toute attente. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ? "


LE FIGARO MAGAZINE. - Montaigne, est-ce la France?

André COMTE-SPONVILLE.
-André Gide, qui s’y connaissait en littérature, jugeait que Montaigne était «le plus grand écrivain français». Je dirais: «l’un des deux plus grands», l’autre étant Victor Hugo. Cela dit assez le niveau où il se situe. Surtout, Gide ajoutait que Montaigne était l’équivalent pour notre pays de Shakespeare pour l’Angleterre, de Dante pour l’Italie, de Cervantès pour l’Espagne, de Goethe pour l’Allemagne, et cela est très vrai. Il est le tronc commun de toute notre littérature. Puis il n’est pas seulement un écrivain de génie ; c’est aussi un excellent philosophe, «qui a lu tous les Anciens et que tous les Modernes ont lu», comme on l’a dit. À ce titre, il est la plaque tournante de la culture française, là où s’invente notre modernité. Enfin, ce n’est pas seulement un génie: c’est un homme formidablement attachant, qu’on ne peut lire sans avoir le sentiment de rencontrer un ami.

On a souvent tracé un parallèle entre son époque et la nôtre. Est-il notre contemporain capital?

Les idées vieillissent, les doctrines meurent, et c’est parce qu’il ne croit à aucune que Montaigne ne vieillit pas! Il apprend à aimer la vérité plus que la certitude, le débat (la «conférence», comme il dit) plus que les dogmes, le doute plus que le fanatisme, dont il a horreur. «L’obstination et ardeur d’opinion est la plus sûre preuve de bêtise, écrit-il. Est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux comme l’âne?» Montaigne, lui, est le contraire de nos ânes dogmatiques. Il ne pense qu’à l’essai, qu’à la première personne, sans autre guide que sa sensibilité et sa raison, toujours prêt à remettre en cause ce qu’il crut vrai jadis ou naguère. Il écrit au plus près de lui-même. C’est pourquoi il est si proche de nous.

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