Béatrice Brugère : Mettre un terme à l'inexécution des peines devrait être une priorité


De toutes les missions que la justice ne peut plus ou ne veut plus assumer, l’exécution des peines est à la fois la plus visible, et la plus porteuse d’enjeux pour notre sécurité quotidienne.

Déjà en 2007, le rapport parlementaire Blanc/Warsmann et celui du député Garraud en 2011 signalaient l’inexécution chaque année de près de 50.000 peines, soit une peine de prison sur 10. Qu’en est-il aujourd'hui ?

Il est difficile d’avoir une vision précise dans la mesure où le ministère de la Justice ne publie pas des chiffres actualisés sur l’exécution des peines. Des dernières statistiques à notre disposition en date de 2016, on peut toutefois relever que «parmi les 126.000 peines d’emprisonnement ferme prononcées par les tribunaux correctionnels en moyenne annuellement entre 2013 et 2016, plus de 9 sur 10 sont susceptibles de faire l’objet d’un aménagement avant toute incarcération aux termes de la loi ».

Lors d’un déplacement à Nice, le 25 juillet 2020, le Premier ministre Jean Castex citant à bon escient, le juriste Cesare Beccaria, rappelait pourtant que la certitude de voir une peine être effectivement exécutée, est la seule vraie garantie de prévention de la récidive. Mettre un terme à l'inexécution des peines devrait être une priorité de premier plan pour punir et prévenir les violences et l’insécurité.

L’EXÉCUTION DES PEINES

Le principe de l'exécution des peines inscrit au frontispice du code de procédure pénale, impose telle une évidence que les peines prononcées soient exécutées par le ministère public.

Au milieu des années soixante-dix, le principe de l'exécution des peines a connu une évolution sémantique au profit de l’application des peines. Cela s’est traduit par une politique législative, active et continue en faveur de l'aménagement des peines érigé comme modèle de réinsertion et de lutte contre la récidive.

LA CONSÉQUENCE D'UN APRÈS-GUERRE HUMANISTE

L’individualisation des sanctions sous l’autorité d’un juge de l’application des peines, créé en 1958, a été la conséquence idéologique d’un après-guerre humaniste, fondé sur la primauté de la personne humaine et contestant l’utilité de la prison, relayée par l’École de la défense sociale nouvelle.

Dans un second temps, le fondement humaniste a cédé progressivement la place à un objectif gestionnaire, favorisant la non-incarcération des condamnés à des peines d'emprisonnement ferme, pour pallier à la fois, le manque de moyens pénitentiaires et l’absence d’une réflexion de fond sur la prison.

DROIT À L'INEXÉCUTION PARTIELLE OU TOTALE

En 1995, Jacques Toubon, garde des Sceaux, décidait par décret que les peines de prison ferme aménageables le seraient non plus à partir de six mois mais d’un an de prison. En 2009, Rachida Dati garde des Sceaux, doublait ce seuil en le portant à deux années de condamnation pour aménager une peine de prison.

Par la loi du 23 mars 2019, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, abaissait à nouveau ce seuil à une année. Mais en réalité, n’est-ce pas une duperie intellectuelle dans la mesure où les condamnés ayant exécuté les deux-tiers de leur peine peuvent bénéficier quasi automatiquement d’une libération sous contrainte même sans exigence particulière en termes de projet d’insertion ?

Ainsi depuis vingt-cinq ans, les délinquants peuvent se prévaloir de par la loi d’un droit à l'inexécution partielle ou totale de leurs peines d'emprisonnement ferme à la faveur d’un aménagement de peine, même pour ceux ayant commis des crimes et des délits graves.

RÉGULATION CARCÉRALE

Une étape supplémentaire vient encore d’être franchie avec le nouveau principe de « régulation carcérale ». Cet « ovni juridique » issu du lexique managérial s’est immiscé pendant la crise sanitaire dans notre pratique judiciaire, par le biais d’une simple circulaire du 20 mai 2020 de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, adressant des instructions générales de politique pénale aux procureurs.

Comme dans les années soixante-dix, la révolution des mots est avant tout celle des choses : le maître mot est désormais celui de la régulation qui positionne l’État en arbitre et non en décisionnaire dans différents secteurs y compris régaliens : régulation de l'énergie, régulation des ondes hertziennes et de la communication, régulation du trafic aérien et à présent, régulation de l'exécution des peines d'emprisonnement. C’est une démission de l’État qui ne dit pas son nom et de ses responsabilités propres.

DES PROCUREURS PLACÉS SOUS HAUTE SURVEILLANCE

En effet, par une instruction comminatoire, cosignée de la directrice des affaires criminelles et des grâces et du directeur de l'administration pénitentiaire, la ministre a demandé aux procureurs de la République de libérer des condamnés écroués en accélérant les libérations anticipées sous contrainte. C’est ainsi que 12.000 détenus ont pu bénéficier avant l'été d’une libération anticipée. Par ailleurs, la Ministre a également sollicité la non mise à exécution des peines non jugées dignes d’aménagement par le juge de l'application des peines. Ainsi, combien de personnes n’ont pas t-elle été écrouées au nom du nouveau sacro-saint principe de régulation carcérale ?

Avec cette circulaire, ce ne sont non plus les délinquants mais les procureurs qui sont placés sous haute surveillance, celle du ministre et de l’administration pénitentiaire pour « exécuter la non-exécution » des peines. La création de l'Observatoire des peines d'emprisonnement ferme qui mesure mensuellement le taux d’incarcération, peut-être un outil de contrôle de certains parquets jugés trop sévères…

IDÉOLOGIE ANTI-PRISON

La régulation carcérale est la consécration d’un numerus clausus qui ne dit pas son nom au service d’une idéologie anti-prison. Elle ne répond pas à l'utilité sociale attendue (répression, prévention de la récidive) mais à l'adaptation des capacités d'incarcération en termes de places disponibles. L’insuffisance du parc pénitentiaire (60.000 places) dénoncée depuis des décennies ne doit pas être analysée en termes de surpopulation carcérale qui justifie la régulation mais en termes de sous-équipement carcéral qui interroge la responsabilité politique en matière de construction d'établissements pénitentiaires.

Depuis vingt ans, toutes les lois de programmation ont insuffisamment anticipé les besoins au regard de l'évolution démographique et criminelle de notre société. Entre les 15.000 places de prison promises par le candidat Macron et les 7.000 places de prison revues à la baisse par la garde des Sceaux, combien il y en aura-t-il à la fin du quinquennat ?

La politique actuelle d’inexécution des peines est le talon d’Achille de toute politique de sécurité. Il est temps d’ouvrir les yeux !

Source: https://www.marianne.net/debattons/billets/justice-mettre-un-terme-l-inexecution-des-peines-devrait-etre-une-priorite

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