Laurent Sailly : La liberté d’expression en France en 2020, un droit dans un drôle d’état…


Quel est l’état du droit positif français en matière de liberté d’expression ? Est-on dans l’obligation de censurer certaines prises de position publiques, lorsque ces dernières constitueraient une menace pour l’ordre public, ou bien l’expression de simples opinions n’a-t-elle à connaître aucune limite ?

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I.Toute forme de censure est une injure à la liberté d’expression.

La liberté d’expression ordinairement reconnue dans les sociétés démocratiques occidentales, telle la société française, donne à tout citoyen le droit de contester le conformisme établi (morale, mœurs, valeurs) ; le droit de dénoncer publiquement les injustices dont il serait le témoin ; de critiquer des pouvoirs établis. Dans une authentique démocratie, le peuple exerce tous les pouvoirs, ce qui suppose une communauté de citoyens suffisamment responsables, informés et fermés à toute démagogie.

Dans ces conditions, on peut dire avec la philosophe Simone Weil que « la liberté d’expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu’elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l’intelligence ».

C’est d’ailleurs, le principe général reconnu par le droit français :

« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (…) ».

(Article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950)

« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».

(Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948).

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses (…). »
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, (…) »

(Articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789).

« Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression (…) [ou] le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice [de la liberté d’expression] (…) » est sanctionné par l’article 431-1 du Code Pénal.

Mais, l’exception donnant une raison d’être à la règle, le législateur a prévu un nombre certain de limites à la liberté d’expression des opinions (lesquelles ne peuvent être confondues avec la pensée).

II.Comme toute liberté, la liberté d’expression n’est jamais absolue.

Plus de 400 lois et articles des Codes pénal et civil grignotent le principe général posé ci-dessus.

D’ailleurs l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 limite lui-même l'exercice de cette libertés qui, « comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

De manière générale, tous des textes cités plus haut définissent une limite au principe de la liberté d’expression. En effet, la manifestation de cette liberté ne doit pas troubler « l’ordre public établi par la loi » et l’usage de cette liberté engendre la responsabilité de celui qui en abuse « dans les cas déterminés par la loi ».

Certaines opinions sont prohibées dans leur expression publique, non pas tant en raison de leur vérité ou de leur fausseté qu’en tant qu’elles inciteraient à des actes pénalement répréhensibles. Ainsi le délit de « provocation publique » à la haine raciale institué par la loi de 1972 a été inséré à l'article 24 alinéa 5 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

L’article R625-7 du Code Pénal sanctionne « la provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée (…) [ainsi que] la provocation non publique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, ou de leur handicap, ainsi que la provocation non publique, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7. »

La liberté d’expression, lorsqu’elle rentre en conflit avec le droit fondamental à la vie privée, se voit limiter par l’article 9 du Code Civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée » et l’article 9-1 du même code qui dispose que « chacun a droit au respect de la présomption d'innocence ».

Le Code Pénal protège la vie privée et interdit dans son article 226-8 « le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention » ; « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire » (art. 226-13) ; « le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance » ou encore « d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l'installation d'appareils conçus pour réaliser de telles interceptions » (art.226-15).

L’article 35ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse s’intéresse également à la protection de la présomption d’innocence en interdisant lorsqu’est « réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire (….) ; soit de réaliser, de publier ou de commenter un sondage d'opinion, ou toute autre consultation, portant sur la culpabilité d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale ou sur la peine susceptible d'être prononcée à son encontre ; soit de publier des indications permettant d'avoir accès à des sondages ou consultations visés à l'alinéa précédent. »

De même, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse énumère un certain nombre d’interdictions limitant la liberté d’expression. Ainsi l’article 29 stipule que « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. (…) Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

L’article 30 sanctionne « la diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, (…) » ; l’article 31 punie également « la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition » ; l’article 32 : « La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie (…) ou « la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap. »

La liberté d’expression peut être limitée en fonction de l’objet du message ou de la personne à qui le message s’adresse.

Qu’il s’agisse de l’article 227-24 du Code Pénal qui interdit « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, (…) lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. » Ou encore l’article 2 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse qui « ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse. »

S’agissant de la fonction de la personne, l’article 433-5 du Code Pénal dispose que constituent un outrage « les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique (…), lorsqu'il est adressé à une personne chargée d'une mission de service public et que les faits ont été commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif, ou, à l'occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement. »

L’article 433-5-1 du Code Pénal ajoute que le « fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni (…) »

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse considère dans son article 27 que la « publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie (…) [ou] lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation. »

Enfin, les articles 38 et 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse protègent les droits de la défense. Il « est interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique (…) » et de « rendre compte des procès en diffamation dans les cas prévus [par la loi]. Il est pareillement interdit de rendre compte des débats et de publier des pièces de procédures concernant les questions de filiation, actions à fins de subsides, procès en divorce, séparation de corps et nullités de mariage, procès en matière d'avortement (…) ».

III.En définitive, sous quelles limites peut-on s’autoriser à tout dire en société ?

On ne lutte jamais contre des idées en les interdisant purement et simplement, mais en les réfutant, par une discussion rationnelle, une argumentation appropriée, l’éducation des ignorants surtout. Les limitations de la liberté d’expression qui se sont accrues ces dernières années ont ouvert la porte aux complotistes, à un antisémitisme délirant, aux superstitions les plus diffuses par exemple. L’obscurantisme est l’ennemi principal de la liberté d’expression.

1) La liberté d'expression est un droit

La liberté d'expression est un droit reconnue par la plupart des Etats modernes démocratiques, au même titre que la « liberté de pensée », la « liberté de culte » ou la « liberté d'opinion ». Cela signifie que chacun peut s'exprimer sans craindre d'être persécuté, par autrui ou par l'Etat. Elle n'est pas seulement une liberté de parole, mais également une liberté de publication (la liberté de la presse, la liberté de création artistique, etc.)

2) Les limites de la liberté d'expression

Comme la liberté de pensée, la liberté d'expression rencontre les limites naturelles de toute faculté humaine. Elle reste fonction de nos capacités intellectuelles de concevoir (entendement), évidemment limitées. D'autre part la capacité de "dire" connaît des limites d'ordre psychologique (auto-censure consciente ou inconsciente) ; et des limites liées à la maitrise de la langue, du « verbe » (éducation, connaissances).

Nous l’avons vu, la liberté d’expression, pour qu’elle soit socialement reconnue, se trouve juridiquement limitée par la loi. Dans toute société prévaut un certain code social autorisant ce qui peut se dire publiquement, interdisant au contraire ce que nous devons garder pour nous, ce que nous pouvons penser au fond de nous, et dont l’expression publique serait au minimum inconvenante pour autrui. Les sociétés occidentale sont des sociétés universalistes, et non communautaristes. Le prétexte culturel ou religieux ne saurait se trouver invoqué.

3) L'idée d'une liberté d'expression absolue

« Liberté » signifie l’absence de limites. Comment dès lors limiter une liberté ? On est « pour » la liberté d’expression et dans ce cas la liberté est totale (absolue) ou on est favorable à une censure plus ou moins étendue et dans ce cas on est « contre » la liberté d’expression. Comment justifier la censure ? Interdire des journaux, des livres, des films, est l'aveu d'une peur et d'une faiblesse. La censure suffit à elle seule à définir une dictature. Les démocraties sont alors soumises à une gymnastique bien souvent hypocrites et pour justifier cette « inévitable » censure préfèrent la notion d’abus de liberté.


La liberté d’expression ne saurait être absolue, sauf à tout tolérer, mais au contraire relative à la raison comme aux valeurs communément partagées, qui permettent aux individus de vivre ensemble, et aussi, de plus en plus, à des cultures très différentes les unes des autres, mais souvent contraintes à se juxtaposer dans les faits, de coexister, au moins pacifiquement. Les différences entre les cultures peuvent bien être respectées, mais en aucune façon le métissage des valeurs qui pourrait nous être imposé.
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