Guerre d’Algérie : que penser du Rapport Stora ? - Par Jean Sévillia
Un rapport partial sur les faits, prudent sur les symboles (Le Figaro)
Ce rapport était attendu. D’une part parce que le sujet est hautement inflammable, tant il déchaîne les passions, alors que l’Algérie est indépendante depuis bientôt 60 ans, d’autre part en raison de la personnalité de Benjamin Stora, qui, pour avoir consacré sa carrière à l’histoire de l’Algérie et de l’immigration maghrébine, ne saurait être considéré comme un observateur anodin, tant ses engagements passés - à l’extrême gauche dans sa jeunesse, à gauche dans ses années de maturité - ne peuvent être totalement séparés de ses travaux scientifiques, qui portent la marque d’un anticolonialisme de principe et d’une empathie non dissimulée pour le nationalisme algérien.
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Ce rapport attendu, le voici: 90 pages, près de 150 pages avec les annexes. L’auteur y assure qu’il faut «trouver la “juste mémoire”, comme le dit le philosophe Paul Ricœur, entre les écueils de la répétition des guerres anciennes dans le présent et celui de l’effacement de faits pouvant ouvrir à un négationnisme généralisé». Le long texte de Benjamin Stora y contribuera-t-il ? Il est impossible, et il serait intellectuellement malhonnête, de porter un jugement d’un bloc sur ce rapport souvent plus mesuré qu’on ne pouvait le craindre, mais qui contient également, à côté de perspectives techniques méritant examen, des propositions qui ne sont nullement propres à pacifier les mémoires mais au contraire à nourrir de violentes polémiques.
Il faut craindre l'instrumentalisation et la mise en accusation du passé de la France (L'Incorrect)
Cette histoire a commencé de manière biaisée parce que je considère qu’il y a un vrai travail à faire sur l’histoire authentique de la présence française en Algérie, de ce que nous Français nommons guerre d’Algérie et que les Algériens nomment guerre d’Indépendance. Dans la mesure où cette séquence a commencé, d’après les propos d’Emmanuel Macron, sous l’angle de la repentance, d’une condamnation de principe sous le terme diabolisant de « crime contre l’humanité » de l’œuvre coloniale française, ça partait mal car sous les auspices de présupposés idéologiques qui ne sont pas fondés historiquement, ou qui du moins sont le contraire d’une démarche historique et scientifique. D’emblée, la logique politique qui a poussé Emmanuel Macron à demander un rapport sur notre histoire était biaisée.
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Avec ce livre, Jean Sévillia affronte cette histoire telle qu’elle fut : celle d’une déchirure dramatique où aucun camp n’a eu le monopole de l’innocence ou de la culpabilité, et où Français et Algériens ont tous perdu quelque chose, même s’ils l’ignorent ou le nient.
Journaliste, essayiste et historien, auteur de nombreux ouvrages qui ont été des succès de librairie (Zita impératrice courage, Le Terrorisme intellectuel, Historiquement correct, Historiquement incorrect, Histoire passionnée de la France), Jean Sévillia est chroniqueur au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire.