Être noir n’est pas une opinion - Par Peggy Sastre et Laetitia Strauch-Bonart
À l’heure où l’antiracisme américain prend des accents identitaires, « Le Point » a enquêté sur ces intellectuels noirs qui refusent l’esprit « woke ».
« Si vous avez du mal à vous décider entre Trump et moi, c'est que vous n'êtes pas noir. » Ces mots de Joe Biden, alors candidat à la présidence des États-Unis, ont beau avoir été une « gaffe » dont il s'est excusé, ils témoignent d'une idée reçue : les Noirs américains seraient tous de gauche. Et pas n'importe quelle gauche : ils seraient tous woke, c'est-à-dire gagnés à une lecture raciale et, partant, identitaire des rapports sociaux. Ils soutiendraient donc aveuglément Black Lives Matter (BLM) dans sa lutte contre le « racisme systémique » de la police américaine. En réalité, de nombreux Afro-Américains réprouvent cette association. On pense au musicien Kanye West, pour qui « prétendre que le vote noir est démocrate est une forme de racisme et de suprémacisme blanc ». Dans un registre moins provocateur, c'est aussi le cas d'intellectuels qui se distinguent par la subtilité de leur regard sur ce sujet si sensible qu'est la « race » en Amérique. Nous les avons rencontrés.
Dans la continuité de la lutte pour les droits civiques, les liens entre les Noirs et la gauche sont historiques et la majorité des Afro-Américains votent aujourd'hui pour les démocrates. Mais ils tendent à être plus conservateurs sur les questions de mœurs. Récemment, à une question du journaliste Jeffrey Goldberg, qui notait qu'Obama était en quelque sorte un « conservateur never-Trump » (nom donné aux républicains opposés à Donald Trump, NDLR), Obama répondait : « Je comprends. J'admire ce sens de la probité, de l'honnêteté, de la responsabilité. » Au-delà, il existe bien des Noirs républicains. C'est le cas de John Wood Jr., responsable du Parti républicain pour le comté de Los Angeles et ambassadeur de Braver Angels, une association œuvrant pour la dépolarisation politique. « Notre communauté a trop fait coïncider ses intérêts avec ceux du Parti démocrate, nous confie-t-il, ce qui limite l'éventail des solutions que nous pouvons apporter à nos difficultés ». Pour le jeune essayiste Coleman Hughes du think tank Manhattan Institute, célèbre pour avoir témoigné devant le Congrès lors des auditions à propos d'un projet de loi qui envisageait de proposer des réparations aux descendants d'esclaves, il est faux de parler de « communauté noire » au sens où « tous les Noirs penseraient la même chose ».