L’expression des militaires : Une liberté au service de la Nation - Par le Capitaine de corvette Eric Mailly

"Une Nation qui fait une grande distinction entre ses érudits et ses guerriers verra ses réflexions faites par des lâches et ses combats menés par des imbéciles”.


Il y a 2500 ans déjà, Thucydide nous mettait en garde contre la tentation de confiner le guerrier dans un rôle d’exécutant, de technicien de la chose militaire. Tentation assez naturelle, tant l'appareil militaire représente un instrument indispensable à l'exercice du pouvoir politique, mais aussi un risque potentiel pour celui-ci. En effet, de l'analyse critique à la désobéissance, l'écart semble parfois trop mince pour le pouvoir politique, notamment en France, où le traumatisme de la crise algérienne reste très présent. Ce poids historique et une certaine culture institutionnelle (1) ont créé les conditions d’une interprétation trop restrictive du devoir de réserve, qui ne sert qu’en apparence les intérêts de la Nation.
A l'heure où, selon Bertrand Badie (2) , l'usage de la puissance ne produit plus systématiquement les effets attendus, il devient aussi urgent d'investir dans la matière grise militaire que dans le renforcement des moyens. Il est également nécessaire de reconsidérer l’interprétation du devoir de réserve. La création d’un cadre favorable, qui encourage les militaires à la réflexion personnelle et à la publication des fruits de cette réflexion, permettra alors le renouvellement de la pensée militaire. En effet, si on ne favorise pas, aujourd'hui, l’émergence des Beaufre et de Gaulle du XXIème Siècle, sur quels stratèges la France pourra-t-elle compter demain pour gagner ses batailles ?

Pourquoi est il urgent d’investir dans la matière grise des militaires ?

Le champ d'expression des militaires est vaste : il s'étend du récit d’expériences vécues en opérations, à la pensée stratégique, en passant par la défense du statut et la condition du personnel. Chacun de ces registres d’expression aborde un aspect du métier des armes qu’il est utile de faire connaître à la Nation. En effet, la dégradation du lien armée-nation s’est accentuée avec la fin de conscription et ne peut être compensée sans un effort d’explication accru des particularités du métier des armes et des enjeux de défense. Les militaires ont toute légitimité pour en être les acteurs majeurs en usant de leur liberté d'expression. En 2003 déjà, la commission de révision du statut miliaire (3) , notait que " le temps n’est plus où le colonel de Gaulle publiait Vers l’armée de métier et regrettait que "les militaires participent peu aux débats sur la défense ".

Mais comment créer du lien entre les 200 000 militaires, toujours moins nombreux, et 65 millions de Français, dont le quotidien est très éloigné du champ de bataille ? Ne faut-il pas commencer par le récit de cette expérience singulière que constitue la guerre, en témoignant du vécu des opérations menées par les armées ? Ces témoignages sont indispensables, car ils contribuent à donner sa place au soldat et au fait militaire dans la vie de la cité, qui lui reconnaît alors sa légitimité. Des écrits de grande qualité existent d’ailleurs, comme ceux du chef de bataillon Erbland (4) , à la fois récit de guerre, et réflexion sur la guerre comme expérience intérieure et expérience de commandement. Ces démarches contribuent également à renforcer la résilience d’une population, qui n'a pas connu la guerre sur son territoire, en lui rappelant, selon la formule d'Aron, que "l'histoire est tragique". Ainsi, le militaire partage l’expérience de la guerre et prend sa place dans la cité.

Au-delà du témoignage, les militaires, en tant que praticiens de l'art de la guerre, doivent pouvoir contribuer librement aux débats sur les enjeux de défense. En 1963, Liddel Hart, dans sa préface à l’introduction à la stratégie, rappelait combien la pensée stratégique du général Beaufre s'appuyait sur son expérience opérationnelle :

"Cette extraordinaire variété d’expériences fournit au profond penseur qu’est ce soldat une base exceptionnelle de réflexions pour étudier la conception et l’application de la stratégie à des situations et à des opérations réelles. "

La présence visible des militaires au cœur des débats sur les sujets de défense contribuerait à légitimer l'effort financier important consenti par la nation dans la défense. (5)
Par ailleurs, l'histoire nous apprend également que la réflexion stratégique développée dans les états-majors, doit être mise au défi par la réflexion indépendante des militaires, sous peine d’entraîner l'appareil de défense dans une sclérose intellectuelle fatale pour son efficacité. Marc Bloch dénonçait déjà ce phénomène dans l'étrange défaite (6) expliquant qu’il procédait avant tout d’une faillite intellectuelle des chefs militaires. Encore faut-il que ces chefs aient été incités au cours de leur carrière à développer une réflexion personnelle et à l’exprimer librement. Interrogé sur la campagne de France, le général Guderian faisait cette réflexion au sujet des propositions portées par le colonel de Gaulle en 1934 dans vers l’armée de métier : " L'étonnant n'est pas que de Gaulle y ait songé, mais qu'il ait été, semble-t-il, le seul en France à le faire, et que ses idées y aient été si mal accueillies ".
A notre époque, où la sémantique de la guerre est omniprésente dans le discours politico-médiatique, quelle part effective les militaires prennent-ils à la réflexion stratégique développée en dehors du cadre institutionnel ? Le devoir de réserve est-il un frein à cette expression ?

[L’EXPRESSION DES MILITAIRES : Une liberté au service de la Nation. (asafrance.fr)]
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