De la « révolte des élites » à l’abstention des peuples : retour sur trente ans de crise de la démocratie en Occident - Par Edouard Husson

La sécession des élites est un phénomène général dans l’Occident des années 1990-2020. Le peuple y a réagi de deux façons : le vote pour des partis « populistes » ou l’abstention. Et souvent les deux à la fois.


Peu après le décès de Christopher Lasch (1932-1994), on publia ce qui reste peut-être son chef d’oeuvre The Revolt of the Elites and the Betrayal of Democracy, paru en traduction française en 1999, sans fantaisie sur le titre: La révolte des élites et la trahison de la démocratie. Ce sont surtout les deux premières parties qu’il faut lire, tant elles livrent une prophétie saisissante de la crise de la démocratie qui accompagne depuis 30 ans la mise en oeuvre du mondialisme. La thèse de Lasch est paradoxale et simple à la fois: ce ne sont pas les classes populaires qui ont décider de quitter la démocratie mais les élites occidentales. Prenant la suite de Michael Young dans The Rise of Meritocracy (1958), Lasch montre comment l’accès d’une minorité à l’enseignement supérieur et à ses diplômes - après la réalisation d’un enseignement secondaire de masse qui coïncide avec la sommet de l’âge démocratique - conduit à la constitution d’une « élite » qui parle entre elle, préfère rencontrer les diplômés d’autres pays plutôt que de dialoguer avec le peuple du pays où elle vit. La révolte des élites conduit à leur progressive « sécession ». Le livre parut en traduction française trois ans avant le tremblement de terre du 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen se retrouva au second tout de l’élection présidentielle à la place de Lionel Jospin. En fait, la révolte des élites avait commencé, en France, en 1992, à l’occasion du référendum sur le traité de Maastricht, dont le résultat marqua une très claire répartition des votes selon le niveau de diplômé. 36% du corps électoral, la plupart des diplômés de l’enseignement supérieur, vota oui! 34% vota non. Et, on l’oublie trop souvent: 30% des électeurs préférèrent l’abstention.