Comment l’extension du passe sanitaire mine l’Etat de droit - Par Gaspard Koenig
En voulant protéger l’individu contre lui-même, en transformant les ouvreurs de cinéma et les serveurs des cafés en flics, l’Etat ouvre la porte aux pires dystopies, estime le philosophe libéral Gaspard Koenig.
« Que trois témoins et trois docteurs régentent l’humain genre, ce n’est pas la raison », avertissait Montaigne. Aujourd’hui, l’extension du passe sanitaire me semble tout autant contraire à la raison, trahissant la panique irréfléchie qui s’empare de nos décideurs.
Première question, fondamentale pour évaluer la légitimité d’une politique de santé publique : qui cherche-t-on à protéger ? Le citoyen contre un danger extérieur, ce qui est le devoir de l’Etat ? Ou l’individu contre lui-même, ce qui outrepasse le rôle de la puissance publique ? Les premiers confinements rentrent clairement dans la première catégorie : rien à dire (sauf peut-être sur la méthode…). Mais le passe sanitaire s’inscrit hélas dans la seconde.
En effet, dans la mesure où les vaccins ont été mis à la disposition de l’ensemble des Français, chacun s’est vu offrir la possibilité de se protéger, d’autant que les plus récentes données montrent l’efficacité de la vaccination pour prévenir les formes graves de la maladie (jusqu’à 100 % pour certains vaccins). Dans ces conditions, être vacciné sert moins à protéger les autres qu’à se protéger soi-même. L’universalité, l’efficacité et la gratuité du vaccin ont transformé une question de politique sanitaire en une affaire de responsabilité individuelle. C’est en vertu de ce raisonnement que le Royaume-Uni, dont la situation épidémiologique compte quelques mois d’avance sur la France (à la fois en matière de couverture vaccinale et de pénétration du variant Delta), a décidé non pas de renforcer mais de lever les restrictions, renonçant au projet d’imposer un passe sanitaire dans les pubs. A partir du moment où les vaccinés sont protégés, les non-vaccinés ne représentent un danger que pour eux-mêmes et se trouvent à même d’assumer leur choix, avec pour seule limite l’engorgement des services hospitaliers.