L’Arménie, du sang sur nos mains - De Valérie Toranian
Voilà un an, l’Arménie, agressée par l’Azerbaïdjan armé par la Turquie, perdait le Haut-Karabakh au terme d’une terrible guerre. Après 44 jours, l'Azerbaïdjan et l'Arménie ont signé un cessez-le-feu imposé par la Russie. Mais les multiples incursions de soldats azerbaïdjanais sur le territoire arménien et les exactions envers la population arménienne laissent présager une nouvelle guerre. Dans un court texte, la journaliste Valérie Toranian rappelle l’Occident, si silencieux face à la tragédie au Haut-Karabakh, aux devoirs qu’il s’est lui-même assignés, et plus précisément que le rôle de la France est de soutenir l'Arménie, menacée par l'appétit expansionniste du président turc Erdogan.
Valérie Toranian: «L’Arménie, obstacle aux appétits d’Erdogan»
LE FIGARO. - À l’automne 2020, l’Arménie a perdu son sanctuaire historique du Haut-Karabakh à l’issue du conflit. Un an après, quelle est la situation?
Valerie TORANIAN. - Cette agression azerbaïdjanaise a été dévastatrice pour l’Arménie. L’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, a utilisé des bombes au phosphore (proscrites par les conventions) et des drones militaires de combat qui ont pulvérisé les lignes arméniennes. C’était Verdun contre Star Wars. Plusieurs milliers de djihadistes combattaient en première ligne comme mercenaires rétribués par la Turquie. Le bilan est de 4000 morts, des milliers de blessés grands handicapés côté arménien. Comme l’a dénoncé Human Rights Watch, il y a encore des dizaines de prisonniers de guerre aux mains des Azéris que Bakou libère au compte-goutte. Le traitement réservé aux prisonniers pendant le conflit, avec vidéos de tortures et humiliations, mutilations de cadavres postées fièrement sur les réseaux sociaux, plonge les familles des soldats manquants dans une immense angoisse.
Valérie Toranian : "N’abandonnons pas l'Arménie à la tenaille islamiste et panturque"
Marianne : Durant le conflit, la Turquie a apporté un soutien total à l'Azerbaïdjan. Or, l'Arménie et l'Artsakh se situent dans un corridor turcique que relie Istanbul à Ürümqi, en Chine. L'implication du président turc Recep Tayyip Erdogan n'est-elle pas le signe que nous ne sommes pas face à une simple guerre de territoire, mais face à une volonté d'expansion, dont l'Artsakh et l'Arménie constituent un obstacle ?
Valérie Toranian : C’est certain. Erdogan rêve de reconstituer l’empire ottoman mais par-dessus tout il veut être le leader d’un « grand peuple turc » unifié. Le panturquisme était déjà à l’œuvre lors du génocide de 1915 : les Jeunes Turcs voulaient créer une nation turque homogène sans scories chrétiennes. Les Arméniens qui étaient présents sur cette terre depuis l’Antiquité constituaient un obstacle à la fois ethnique et religieux. Cent ans après, Erdogan se sert d’Aliev pour « finir le travail ».
Valérie Toranian : "N’abandonnons pas l'Arménie à la tenaille islamiste et panturque" (marianne.net)
Arthur Chevallier – L’Arménie, symbole de la malhonnêteté de l’Europe
L’Europe a raison d’être prétentieuse. Si elle ne détient pas le monopole de la civilisation, elle fonde sa puissance sur une juste conscience de sa civilité. En quoi elle révèle une influence supérieure de la France sur l’Allemagne. Cela étant, depuis vingt ans, l’impérialisme russe retrouvé, le reflux américain avéré et l’explosion du Proche-Orient démontrent la précarité de son rang. L’Union européenne, même imparfaite, n’est pas une mauvaise idée, c’est même peut-être la seule capable de contenir la disparition de nations dépassées par le regain d’énergie de pays décidés à ne plus être infantilisés.
Les idées, soit les convictions, de l’Europe sont ses seuls bien non périssables. Voilà pourquoi elle ne doit pas faire « moins » de droits de l’homme, mais plus, toujours plus, jusqu’à la déraison, jusqu’au cynisme, quitte à ce que cela devienne la justification d’interventions dans les affaires du monde. Pour autant, et c’est le terme de sa logique, elle devrait se montrer intraitable envers qui y porte atteinte, être l’ultime bouclier contre la barbarie. Il y va de la poursuite de son empire, ou de sa disparition, faute de justification de son existence.