Pologne: construire un nouveau mur à l’est? - Par Cyrille Bret et Florent Parmentier

En 1989, la chute du mur de Berlin a symbolisé et accéléré la fin des systèmes communistes en Europe. Mais la construction des murs n’a pas pour autant cessé. Hors d’Europe, plusieurs États ont érigé des murs : entre Israël et la Cisjordanie ainsi qu’entre le Mexique et les États-Unis. Certains États membres de l’Union se sont lancés dans de telles constructions : l’Espagne à Ceuta et Melilla en bordure du Maroc, la Hongrie pour couper la « route des Balkans » aux migrants et, plus récemment, la Pologne. L’allergie aux murs n’a pas duré dans les anciennes démocraties populaires. Aujourd’hui, le gouvernement Morawiecki veut tout à la fois entraver les flux migratoires venant de Biélorussie et se poser en bastion européen face à un autocrate défenseur de l’espace russe.


C’est pour la Pologne autant une occasion d’affirmer sa souveraineté que de constater ses difficultés.

Le mur, symbole souverainiste et de politique migratoire

Quelles sont les origines de l’édification de ce mur ? La Pologne et la Biélorussie ne partagent pas seulement 400 km de frontières communes, mais aussi des liens historiques profonds. Ainsi, les villes de Grodno ou de Brest (en Biélorussie) faisaient partie intégrante de la République de Pologne dans l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, ceux des Biélorusses qui sont de confession catholique sont bien souvent d’origine polonaise (ou lituanienne). À partir d’août 2020, la Pologne, qui célébrait les quarante ans de la contestation du régime communiste avec Solidarnosc, ne pouvait que soutenir le soulèvement qui a eu lieu en Biélorussie pour contester les élections présidentielles truquées par le président Loukachenko. De fait, la Pologne s’intéresse de près à ce qui se passe de l’autre côté de cette frontière, redessinée en 1945. Les échanges commerciaux sont importants et les mouvements de population sont alimentés par l’attractivité du « miracle polonais ».

Fortement attachée à la lutte contre les régimes forts de l’espace russe, la Pologne a promu (avec la France) une politique ferme de sanctions vis-à-vis du régime d’Alexandre Loukachenko. Ce dernier a par conséquent cherché à mettre en place des moyens de rétorsion vis-à-vis de ses voisins qui menacent la survie de son propre régime. Après avoir mené une politique de répression en interne, il s’est décidé à inspirer la crainte et la division au sein des opinions publiques de ses adversaires politiques.

Ainsi, afin de déstabiliser ses voisins, Alexandre Loukachenko a organisé une filière de migration clandestine. Il se sert de ressortissants d’Iran, d’Irak, de Syrie ou d’Afghanistan, passés en transit par la Turquie et l’Arménie, pour menacer ses voisins polonais et baltes. Ce sont près de 500 migrants par jour qui tentent de rentrer au sein de l’UE par la frontière polonaise, et dont un certain nombre meurent dans les forêts environnant la ligne de démarcation. L’effet attendu, l’indignation des Polonais qui considèrent cette situation non comme le résultat d’une catastrophe humanitaire, mais d’une « guerre hybride » menée par les autorités biélorusses.

On voit ainsi s’agréger plusieurs spectres qui hantent la Pologne contemporaine : la déstabilisation en provenance de l’espace russe, les migrations issues du Moyen-Orient et le différentiel économique entre elle et son flanc est (Biélorussie et Ukraine).

C’est dans ce contexte que les autorités polonaises ont voté la construction du mur de 180 km, pour un montant de 350 millions d’euros, sans aide financière de l’Union européenne. Pour le ministre polonais de l’Intérieur et de l’Administration, Mariusz Kamiński, le barrage est un symbole de la détermination de l'État polonais à limiter l'immigration illégale dans le pays. C’est un moyen de rassurer l’opinion publique.

À l’extérieur comme à l’intérieur, la Pologne se présente ainsi comme le bastion avancé de l’Union et le PiS comme la garnison qui prévient une nouvelle invasion. Mais le mur garantit-il une meilleure position de la Pologne sur la scène européenne et internationale ? La Pologne du PiS peut-elle bénéficier de ce rôle de « garde-frontière » de l’Union ?

L’illustration des faiblesses de la Pologne du PiS?

Acte de réaffirmation d’une souveraineté, la crise actuelle souligne également trois faiblesses actuelles de la Pologne du PiS.

La première tient à sa politique étrangère vis-à-vis des Partenaires orientaux. La construction du mur constitue une palinodie qui peut faire perdre à la Pologne son influence régionale.

Avant même de devenir un État-membre de l’Union européenne, la Pologne a œuvré pour un rapprochement avec ses voisins, Ukraine et Biélorussie en tête, imaginant la possibilité d’un futur élargissement. La Pologne se présente ainsi depuis trois décennies comme leur avocat le plus influent au sein de l’UE. Dans tous les forums internationaux, qu’ils soient régionaux ou européens, les dirigeants polonais mettent toujours leur point d’honneur à rappeler la nécessité d’un rayonnement de l’Union européenne dans les anciennes Républiques Socialistes Soviétiques. Autrement dit, la Pologne souhaite contester l’héritage soviétique sur des territoires que la Fédération de Russie considère comme sous son influence : dans l’espace Baltique (Biélorussie), dans l’espace de la Mer Noire (Moldavie, Ukraine) et dans le Caucase (Géorgie, Arménie). En construisant un mur, la Pologne ne sera plus au centre mais aux marches de la région. Elle défendra un limes et ne pourra donc plus se prétendre une puissance régionale en expansion.