Imaginer la guerre pour ne pas la faire : les stratégies nucléaires depuis 1945 - Par Pierre Royer
« Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Bien qu’inventé deux mille ans avant elle, l’adage latin semble fait pour décrire le rôle de l’arme atomique dans l’histoire des relations internationales. Si « la bombe », comme les Latins disaient « la Ville » pour désigner Rome, n’a été utilisée que deux fois dans l’Histoire, elle a pourtant pesé sur les politiques des grandes puissances en les empêchant de recourir à la guerre pour régler leurs différends. Cette logique de dissuasion ne s’est cependant imposée que progressivement dans les stratégies des États.
La surpuissance de l’arme est perçue avant même qu’elle ne soit conçue : on en trouve trace dans le courrier du physicien Leó Szilárd, cosigné par Albert Einstein et adressé au président Roosevelt en 1939, aussi bien que dans les débats qui précèdent son emploi, une fois le premier essai réussi à Alamogordo (16 juillet 1945). L’équipe internationale de chercheurs réunie au Nouveau-Mexique dans le cadre du « projet Manhattan » à partir de 1941 avait d’ailleurs conscience de son caractère décisif et était hantée par la crainte que les nazis n’en disposent avant les Alliés – cette arme « solaire » devait servir le camp du Bien et non l’Empire du Mal, selon la vision du conflit proposée par Roosevelt en janvier 1942. La guerre en Europe s’acheva avant que l’arme ne fût au point, et on découvrit alors que les atomistes allemands n’avaient pas poursuivi les recherches sur la bombe.