Justice : y-a-t-il encore une échelle des peines cohérente en France ? - Par Pierre-Marie Sève et Jean-Eric Schoettl
Alors qu'un traitement particulier a été observé pendant l'affaire Fillon et que la peine de prison en première instance peut sembler lourde, la justice semble parfois moins prompte à agir lorsqu'il s'agit de crimes ou de délits concernant des contrevenants ordinaires. Peut-on y voir le signe d'une justice à deux vitesses ?
Atlantico : François Fillon a été condamné en appel à quatre ans de prison, dont un ferme dans l’affaire des emplois fictifs. Le fils de Yannick Alléno a été tué par un chauffard à bord d'une voiture volée. Ces deux affaires nous disent-elles quelque chose de la manière dont l’échelle des peines est aujourd'hui appliquée en France ?
Pierre-Marie Sève : Un traitement particulier a été clairement observé dans l’affaire Fillon. Il y a eu un autosaisine du parquet national financier, le jour de la publication des informations du Canard Enchaîné à deux mois de la présidentielle et ce n’est pas normal. Par ailleurs, la peine de prison en première instance était vraiment lourde. Il n’y a d’ailleurs rien eu de la sorte dans l’affaire McKinsey. On voit dans l’affaire Fillon une sévérité et une célérité de la justice qu’on ne voit pas du tout par ailleurs. On peut aussi mentionner que le jeune homme qui a giflé Emmanuel Macron a été condamné très rapidement et que sa peine a été exécutée, ce qui est très rare. On sait donc que la justice n’est pas complètement neutre. Elle obéit à des injonctions ou des pressions. Le gifleur d’un citoyen lambda n’irait pas en prison, surtout pas aussi vite.
Le chauffard qui a renversé le fils de Yannick Alléno a a priori été arrêté. Il peut sans doute être condamné au pénal pour homicide involontaire. Mais le cas est symptomatique. On est obligé d’avoir le fils d’une personnalité qui meurt pour avoir une justice exemplaire. Et encore nous n’en sommes même pas assurés. Quand on est un citoyen lambda, on sait que la justice ne sera pas assez faible. La justice est différente selon qui on est et cela touche aux fondements de la démocratie.
Avec le jugement de la Cour d’appel de Paris confirmant la condamnation de François Fillon en première instance, l’échelle des peines est-elle respectée ?
Jean-Eric Schoettl : L’échelle des peines est nécessaire, tout comme l’est l’individualisation des peines. La question est de savoir quel usage en fait la justice dans tel ou tel contexte. François Fillon est condamné à une peine de quatre ans de prison, dont un ferme, à dix années d’inéligibilité, à une amende de 375 000 euros et à rembourser solidairement (avec son épouse et son suppléant) 800000 euros à l’Assemblée nationale, parce que les juges n’ont pas été convaincus, malgré des témoignages émanant notamment de plusieurs préfets et de l’ancienne déontologue de l’Assemblée, de la réalité de l’emploi d’assistante parlementaire de Pénélope Fillon. A titre de comparaison, les quatre émeutiers qui, pendant une manifestation de gilets jaunes de décembre 2018, ont incendié la préfecture du Puy-en-Velay et blessé une vingtaine d’agents au cri de « Vous allez brûler ! » ont été condamnés en mars 2020 à des peines de six mois à trois ans de prison … On dira que les faits n’ont rien à voir. Comment cependant ne pas être troublé par leur rapprochement ?