La désindustrialisation de la France: 1995-2015 - De Nicolas Dufourcq

Dans un livre percutant qui mélange grande synthèse et interviews, Nicolas Dufourcq scrute la désindustrialisation française. À qui la faute?

« La désindustrialisation française est un moment majeur de l’histoie et pourtant elle est couverte d’un halo de mystère. Entre 1995 et 2015, le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. De nombreuses communes et vallées industrielles ont été rayées de la carte. Bouleversement comparable dans ses conséquences à l’exode rural des années 1960 !Ce livre a été écrit pour tenter de comprendre ce qui s’est vraiment passé. Il interroge 47 entrepreneurs, politiques, syndicalistes, fonctionnaires qui ont vécu ces années noires et qui se souviennent, dans le détail et de manière très vivante, de l’enchaînement des faits. Ce qui se dégage est un tableau de responsabilité générale. C’est toute la société française qui s’est détournée de son industrie.
Aujourd’hui, fort heureusement, les choses ont changé et nous repartons avec des “balles neuves”. Il est possible de faire renaître quantité de sites industriels car la technologie a progressé, car les pays émergents ont perdu en compétitivité, car les Français eux-mêmes ont changé et demandent une industrie décarbonée et circulaire. Bpifrance, que je dirige, s’y emploie avec force, et sans nostalgie. Pour peu que nous sachions rester déterminés et décisifs, il est tout à fait possible d’écrire une belle page industrielle d’ici à 2030. » N. D.

Charles Jaigu: «Désindustrialisation française, comment nous en sommes arrivés là»

Ce pourrait être un grand coup de gueule. Mais ce n’est pas le genre de l’auteur. Pourtant, derrière le constat de ce livre, il y a un sentiment de gâchis profond dont la part revient en propre à la France, même si tant d’autres pays dits développés ont connu les ravages de la désindustrialisation. Dans ce bilan, Nicolas Dufourcq est juge et partie. Et c’est tant mieux. Il dirige la Banque publique d’investissement depuis sa création en 2013. Ce fut l’une des bonnes initiatives du quinquennat Hollande, et il en fallait quelques-unes pour rattraper un début de mandat catastrophique pour les entreprises. Au-delà du périmètre de la BPI, l’auteur se fait, dans ce livre, historien du présent et de l’économie. Il n’est pas inutile de rappeler que Dufourcq est l’auteur d’un livre intitulé Retour sur la fin de la guerre froide et la réunification allemande (Éd. Odile Jacob), écrit en souvenir de son père, secrétaire général du Quai d’Orsay à cette époque. Or cet événement historique majeur a joué un grand rôle. Il entraîna la prise de conscience par les acteurs de l’économie allemande que la fusion entre deux Allemagnes si dissemblables ne serait pas possible sans de très lourds sacrifices. «Le pays fit un effort de modération salariale monumental quand la France s’y refusa. Au fond, le présent livre raconte cette désynchronisation franco-allemande au moment où il importait le plus, pour la cause industrielle française, mais aussi pour le bon fonctionnement de l’Europe, que les deux pays jouent à l’unisson», nous dit-il depuis son bureau parisien de la BPI, boulevard Haussmann.

Charles Jaigu: «Désindustrialisation française, comment nous en sommes arrivés là» (lefigaro.fr)

Nicolas Dufourcq: "Il faut recréer un contrat social pour réindustrialiser la France"

Depuis le mouvement des « gilets jaunes » et la pandémie de Covid-19, l’industrie est redevenue une question centrale du débat public. Les quelques voix marginales qui déploraient la disparition des fleurons industriels français ont remporté une bataille culturelle décisive pour notre souveraineté et notre économie. Mais comment expliquer que l’industrie française se soit effondrée dans l’indifférence quasi-générale ces quarante dernières années ? Dans La désindustrialisation de la France (éd. Odile Jacob, 2022), Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement (BPI), propose une analyse détaillée de ce « drame » et donne la parole aux acteurs de l’industrie, des entrepreneurs aux syndicalistes en passant par les économistes, les politiques et les fonctionnaires.

Revue des Deux Mondes – La désindustrialisation explique-t-elle beaucoup de nos maux économiques, sociaux, politiques ou encore territoriaux en France ?

Nicolas Dufourcq –
Elle n’explique pas tout, loin de là, mais elle a creusé une profonde blessure d’identité et d’amour propre. Des centaines de milliers de familles ont été touchées, avec une forme de transmission intergénérationnelle de l’amertume. Une partie du prestige des élites – et pour moi les élites n’ont rien à voir avec la noblesse héréditaire que dénonce Bourdieu, ce sont simplement les chefs d’où qu’ils viennent – s’est perdue à l’époque. Nous n’avons accompagné et protégé tout un pan de la société que par l’assistanat des prestations, qui n’était pas ce que demandaient les gens. Ils ne voulaient pas de la charité collective, ils voulaient qu’on défende leur industrie. Des territoires entiers se sont vidés, car la compétitivité des sites s’était effondrée, faute de préparation à la mondialisation, faute d’innovation, d’investissement, faute de prise de conscience que le coût du travail était écrasant, et faute d’une culture politique et syndicale locale, dans le monde des PME, qui aurait permis les compromis. La France de l’époque était encore à la fois très marxiste dans la relation sociale, et très autoritaire dans le style de management des entreprises. Mais surtout les contraintes sur les petites et moyennes entreprises industrielles étaient écrasées. Heureusement, des progrès importants sur tous ces fronts ont été faits depuis.

Nicolas Dufourcq : « Il faut recréer un contrat social pour réindustrialiser la France » (revuedesdeuxmondes.fr)

Chronique du livre de Nicolas Dufourcq

Par Alain Mathieu (IREF)

A la demande d’Emmanuel Macron, Nicolas Dufourcq a été nommé en janvier 2013 directeur général, puis président, de la Banque publique d’investissement (BPI), qui venait d’être créée. Cet établissement, fusion de plusieurs sociétés publiques de financement, donne aux banques sa garantie pour des crédits aux entreprises et prend des participations minoritaires dans de nombreuses entreprises.

Inspecteur des Finances, diplômé d’HEC, Nicolas Dufourcq a été directeur adjoint du cabinet du ministre socialiste René Teulade et rédacteur d’études pour la fondation de centre gauche Saint-Simon. Il est resté huit ans à France Telecom, où notamment il a présidé la filiale Wanadoo, et neuf ans à Cap-Gemini, dont il était fin 2012 le directeur financier. Il est administrateur d’Orange et président du conseil de surveillance de ST Microelectronics. Il connaît bien le fonctionnement des grandes entreprises françaises.

Son constat sur la désindustrialisation de la France est clair : « Entre 1995 et 2015 le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel ». La balance commerciale, excédentaire en 2000, est devenue déficitaire (4% du PIB en 2022), la production de voitures est passée de 4 à 1,5 millions, etc. La désindustrialisation illustre le déclin économique de la France, notamment face à l’Allemagne.

Les causes de cette désindustrialisation restent pour Nicolas Dufourcq « un mystère ». Pour le percer il a interrogé 47 personnalités (politiques, fonctionnaires, chefs d’entreprise, syndicalistes, banquiers, économistes).

Quelques-unes de ces personnalités ont donné des réponses clairesn. « La compétitivité-coût est déterminante » (Jean-Claude Trichet) ; « Les 35 heures ont été un désastre pour l’industrie française ; le taux de prélèvements entraîne une baisse des marges des entreprises et donc de leurs investissements » (Michel Pébereau) ; « On a un jockey (l’Etat) qui est trop lourd, le cheval (l’entreprise) ne peut pas gagner. Les réformes Schroeder ont fait passer la sphère publique de 57 à 44 % du PIB. Nous sommes montés de 50 à 57 % » (Xavier Fontanet, ex-pdg d’Essilor) ; « On a maintenu une dépense publique trop élevée, on a oublié qu’il fallait travailler plus » (Jean-Marc Daniel, économiste) ; « Le manque de formation et d’innovation sont les principales raisons de nos échecs » (Mohammed Oussedik, syndicaliste CGT).

Comme l’a dit Marcel Grignard, syndicaliste CFDT : « Si on ne fait pas un diagnostic sérieux, on prend le risque de gaspiller des milliards ».

Or la plupart des interviewés oublient de nombreuses autres causes de la désindustrialisation: l’ouverture du marché européen en particulier aux pays de l’Est, l’euro trop fort, la financiarisation de l’économie, la Chine, la retraite à 60 ans, les congés, l’augmentation des salaires, l’ISF, les conflits sociaux lancés par des syndicats pratiquant la lutte des classes, l’Inspection du travail, la priorité donnée par l’administration aux grands groupes, l’aversion des universités envers l’industrie, les faiblesses de l’Education nationale, des patrons mal formés, vieillissants et défaitistes, etc.

A la fin du livre, tirant les conclusions des interviews, Louis Gallois rappelle que dans le rapport qu’il avait remis à François Hollande sur ce sujet, il préconisait une « mesure phare », « l’allégement des charges, destiné à augmenter les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir et innover… On ne peut clairement pas demander au secteur productif de supporter le coût du modèle social français ». Une analyse nette, pouvant fonder un bon programme de gouvernement.

La conclusion de Nicolas Dufourcq est cependant différente : « La désindustrialisation est en voie d’être stoppée »… grâce à la BPI. Car habilement, il a choisi la majorité des chefs d’entreprises interviewés parmi ceux qui sont financés par la BPI, et ils ont gentiment renvoyé l’ascenseur, louant les « accélérateurs PME » de la BPI (cours de formation pour les patrons), le soutien de la BPI à la lutte contre le réchauffement climatique, les investissements qu’elle a financés, « la renaissance de l’industrie française amorcée par la BPI ».

Nicolas Dufourcq mise sur « le plan start-up industrielles porté par la BPI », qu’il appelle French Fab, mais aussi la French Tech, la French Touch et la French Climat. Pour lui la désindustrialisation est d’abord « le résultat d’une responsabilité générale de la société française », ce qui rend les remèdes peu évidents. Certes il préconise de « continuer à réformer l’Etat, en maîtrisant la dépense publique », mais il n’entre dans aucun détail sur la baisse nécessaire des impôts de production (suppression de la C3S et du CFE par exemple) et encore moins sur celle de la dépense publique. Il semble ignorer que nous avons, à population égale, 3,3 millions de fonctionnaires et de quasi-fonctionnaires de plus que l’Allemagne, que nous dépensons des dizaines de milliards d’euros à soutenir des entreprises publiques comme la SNCF ou EDF, que la fraude sociale coûte 50 milliards. Plutôt que de préconiser des baisses de charges, il préfère financer les « filières du futur ». Il se garde de dénoncer la mauvaise gestion de ses collègues haut fonctionnaires et des responsables politiques.

Il est d’ailleurs loin de montrer l’exemple d’une bonne gestion de la BPI. La Cour des comptes a contesté à deux reprises le désordre des comptes de la BPI, le salaire annuel moyen des vingt-quatre dirigeants de la filiale BPI Investissement (245. 000 euros), les 604 véhicules de fonction (qui n’empêchent pas des notes de taxi de 6.400 euros par an par personne pour dix directeurs). Il a répondu que « l’analyse de la Cour est totalement infondée », que « la croissance des charges est cohérente avec la stratégie de développement de la BPI », car il veut « stocker de la puissance », qu’un « groupe plus important » justifie des salaires plus élevés, que « ces charges sont inférieures au budget » et que « la recommandation de mise en place d’un pilotage budgétaire efficace est sans fondement ».

En 2021 la BPI a reçu de l’Etat 1,2 milliard pour augmenter son capital et perdu 837 millions sur ses participations dans Orange et Worldline. Ses fonds propres sont de 18,5 milliards.

En la privatisant l’Etat pourrait récupérer ces 18,5 milliards et réduire ses subventions, voire les supprimer.

https://pourunenouvellerepubliquefrancaise.blogspot.com/https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police