« La religion woke » - De Jean-François Braunstein

Dans un livre remarquable, Jean-François Braunstein, professeur émérite de philosophie à la Sorbonne, avance une hypothèse qui permet de comprendre les tenants et aboutissants du mouvement woke. Selon lui, le wokisme est bien plus qu’une simple vague de «folie passagère» ou un snobisme intellectuel. Cette pensée qui a infusé les élites universitaires et le monde médiatique s'apparente davantage à une religion qu'une idéologie, un authentique fanatisme: ses adeptes, profondément intolérants, déguisent des opinions en science et se croient tenus d’endoctriner.

Une vague de folie et d’intolérance submerge le monde occidental. Venue des universités américaines, la religion woke, la religion des « éveillés », emporte tout sur son passage : universités, écoles et lycées, entreprises, médias et culture.
Au nom de la lutte contre les discriminations, elle enseigne des vérités pour le moins inédites. La « théorie du genre » professe que sexe et corps n’existent pas et que seule compte la conscience. La « théorie critique de la race » affirme que tous les Blancs sont racistes mais qu’aucun « racisé » ne l’est. L’« épistémologie du point de vue » soutient que tout savoir est « situé » et qu’il n’y a pas de science objective, même pas les sciences dures. Le but des wokes : « déconstruire » tout l’héritage culturel et scientifique d’un Occident accusé d’être « systémiquement » sexiste, raciste et colonialiste. Ces croyances sont redoutables pour nos sociétés dirigées par des élites issues des universités et vivant dans un monde virtuel.
L’enthousiasme qui anime les wokes évoque bien plus les « réveils » religieux protestants américains que la philosophie française des années 70. C’est la première fois dans l’histoire qu’une religion prend naissance dans les universités. Et bon nombre d’universitaires, séduits par l’absurdité de ces croyances, récusent raison et tolérance qui étaient au cœur de leur métier et des idéaux des Lumières. Tout est réuni pour que se mette en place une dictature au nom du "bien" et de la « justice sociale ». Il faudra du courage pour dire non à ce monde orwellien qui nous est promis.
Comme dans La philosophie devenue folle, Braunstein s’appuie sur des textes, des thèses, des conférences, des essais, qu’il cite et explicite abondamment, afin de dénoncer cette religion nouvelle et destructrice pour la liberté.
Un essai choc et salutaire.



Jean-François Braunstein déconstruit la «déconstruction»

Par Elsa Margueritat

Moqué, raillé ou admiré, le mouvement woke fait l'objet de nombreux articles, polémiques et tribunes dans la presse. Les axiomes wokes ont effectivement de quoi faire pouffer : «le barbecue est viriliste»,«les hommes peuvent être enceints», «les mathématiques sont racistes», etc. Autant d'assertions tournées en dérision ou suscitant l'exaspération, voire le courroux de certains. Pourtant, la pensée woke continue d'infuser des élites universitaires aux personnalités médiatiques jusqu'à nos politiques. Comment comprendre la lente propagation de cette idéologie post-moderne, inspirée du déconstructivisme, qui s'oppose à la raison même ?

Le philosophe et professeur émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Jean-François Braunstein avance dans son dernier ouvrage, La religion woke (Grasset) une hypothèse qui permet de comprendre les tenants et aboutissants d'un tel projet : non pas philosophique, idéologique ou politique, le wokisme s'apparente en réalité davantage à une religion. Rites, textes sacrés, blasphème, anathèmes… Si le wokisme prie pour l'avènement d'une société plus égalitaire et bienveillante, son application concrète tend davantage à ressembler à une Inquisition. Le philosophe se livre à une exégèse patiente et exhaustive des conditions d'apparition du wokisme et de sa transformation en culte post-moderne. Comme toute religion, le wokisme s'est doté de textes fondateurs et d'apôtres qui transmettent ses idées inviolables (on trouve à titre d'exemples Robin DiAngelo pour le canon anglo-saxon, Éric Fassin, Elsa Dorlin ou encore Houria Bouteldja pour le credo francophone).

«La religion woke»: Jean-François Braunstein déconstruit la «déconstruction» (lefigaro.fr)

Le wokisme apparaît comme l'antithèse du modèle républicain français, inspiré par la pensée des Lumières.

Pourquoi le wokisme est la nouvelle religion du XXIe siècle

Par Kevin Badeau


Après le judaïsme, le christianisme et l'islam, voici venu le wokisme. Dans La Religion woke, un remarquable essai paru mi-septembre aux éditions Grasset, le philosophe Jean-François Braunstein considère que le mouvement des « éveillés » relève davantage de la croyance que de la simple idéologie. Bien sûr, l'hypothèse émise par ce spécialiste d'épistémologie peut surprendre, voire choquer. Il est évident que les wokes ne louent aucun dieu ni ne vénèrent de prophète. Leur message n'a, non plus, rien de mystique : il vise avant tout à combattre les discriminations liées aux genres et à la race. Et pourtant, au même titre que les trois monothéismes, le wokisme a ses apôtres, ses dogmes et ses fidèles.

Pour le comprendre, il faut se plonger dans l'histoire américaine. « L'essor de la religion woke correspond exactement au déclin du protestantisme américain traditionnel », observe le philosophe. Le wokisme se révèle même être une forme de continuité néoprotestante, comme l'illustre ce parallèle éclairant de l'auteur entre les « réveils religieux » des XVIIIe et XIXe siècles et certains rassemblements wokes. À l'époque, les pécheurs symbolisaient leur conversion par d'impressionnantes convulsions. Au XXIe siècle, les militants blancs « éveillés » se repentent de leur racisme auprès des militants noirs lors de grandes réunions.

Pourquoi le wokisme est la nouvelle religion du XXIe siècle - Le Point

Jean-François Braunstein: «Le mouvement woke ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants»

Par Alexandre Devecchio

«Les hommes sont enceints», «les femmes ont des pénis», «les trans femmes sont des femmes», «tous les Blancs sont racistes», «tous les Noirs sont des victimes», «la biologie est viriliste», «les mathématiques sont racistes», «Churchill est raciste» , «Schoelcher est esclavagiste», etc. De telles proclamations surprennent par leur côté absurde. Elles constituent pourtant les énoncés de base de la pensée woke, cette pensée «éveillée» qui tend à s’imposer dans l’ensemble des sociétés occidentales. Elle se fonde sur des théories comme la «théorie du genre», la «théorie critique de la race» ou la «théorie intersectionnelle» qui sont devenues paroles d’évangile dans nos universités.

Les wokes expliquent que le genre est au choix et que seule compte la conscience que l’on a d’être homme ou femme ou n’importe quoi d’autre. La race redevient un déterminant essentiel de nos existences en société: les Blancs seraient par définition racistes et les «racisés» ne pourraient l’être en aucun cas. Quant à l’intersectionnalité, elle est un «outil» pour potentialiser toutes les identités victimaires et appeler à la lutte contre le responsable de ces discriminations. Il est tout trouvé, c’est l’homme blanc occidental hétérosexuel, par définition sexiste, raciste et colonialiste, qui est le «bouc émissaire parfait». Ceux qui n’acceptent pas ces théories wokes sont dénoncés sur les réseaux sociaux et, chaque fois que cela est possible, chassés de leur poste, à l’université ou ailleurs.

Les médias et bon nombre de politiques embrassent ces théories avec enthousiasme et ce qui n’était naguère qu’une curiosité américaine est devenu, à une vitesse extraordinaire, le discours officiel de nos élites. On pourrait être tenté de se rassurer en se disant que cela ne touche que les facultés de lettres et de sciences humaines, qui en ont vu d’autres. Mais c’est aujourd’hui dans les facultés de sciences et de médecine que se poursuit l’offensive woke: les sciences dures elles-mêmes sont mises en accusation comme «racistes» et «virilistes».

Jean-François Braunstein: «Le mouvement woke ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants» (lefigaro.fr)

La première religion née dans les universités

Par Dominique Schnapper

Le récent ouvrage de Jean-François Braunstein, professeur de philosophie et spécialiste d’épistémologie et d’histoire des sciences, renouvelle la réflexion sur le développement des modes de pensée qu’on peut résumer sous le terme de « wokisme », dont on observe la diffusion dans les universités et les écoles, mais aussi dans les médias, les réseaux sociaux la politique et les entreprises du monde anglophone ; ils semblent gagner la France depuis une décennie[1].
Éléments d’une pensée

Pour caractériser une pensée « woke », l’auteur part de la théorie du genre en tant qu’exemple privilégié du refus de la réalité. Le genre, explique-t-il, remplace le sexe, ce qui signifie qu’il n’existe plus de différence biologique entre les hommes et les femmes. Le corps est effacé, l’individu choisit son genre et il a le droit de se voir reconnu de tel ou tel genre sur sa simple déclaration. La langue publique doit se plier à cet impératif. Toute réticence ou toute critique à cet égard est interprétée en termes d’homophobie. Le résultat est, entre autres, l’augmentation du nombre de ceux qui se déclarent transgenres parmi les adolescents et l’acceptation dans les compétitions sportives d’hommes qui se déclarent femmes, leurs résultats empêchant le développement du sport féminin.

Les militants du wokisme luttent aussi contre le soi-disant universalisme des militants mainstream de la génération précédente, celle de la lutte pour les lois civiques et l’égalité de tous, incarnée aux Etats-Unis par Martin Luther King, dont la célèbre formule résumait le combat : « Mon rêve est qu’un jour mes quatre enfants vivront dans un pays où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur leur personnalité ». Les tenants de la Critical Race Theory condamnent radicalement cette politique colorblind, qu’ils déclarent obsolète, et installent une « théorie » hostile à tout horizon universaliste : l’horizon de cette théorie est que tous les Blancs sont par nature racistes et tous les Noirs (et parfois les latinos) sont des victimes du racisme. Les plus racistes, dans cette optique, sont ceux qui se déclarent non-racistes, autrement dit on n’échappe pas à sa couleur de peau. Pierrre-André Taguieff avait déjà démontré que le concept de race avait récemment repris toute sa place au nom de l’antiracisme[2].

Enfin, dernière dimension de la « religion woke », il faut lutter contre la soi-disant objectivité de la science et la rationalité revendiquée du projet scientifique. Tout savoir est « situé », c’est-à-dire relatif à celui qui l’avance. Il n’existe pas de science objective – et ce non seulement dans les sciences humaines, mais dans les mathématiques elles-mêmes qu’il importerait de « décoloniser » pour évacuer leur « blancheur ». Il faut prendre en compte les « ressentis » des « racisés ».
Une religion immunisée contre la critique

Jean-François Braunstein décrit les principales manifestations de ce mouvement en citant de nombreux documents et ses analyses sont brillantes. On peut le rejoindre sur deux idées qui me paraissent essentielles. La première est que le mouvement est né dans les universités, le lieu où se joue l’effort de la connaissance rationnelle. Sans doute a-t-il débordé aujourd’hui dans le reste de la société, mais sa source « académique » lui donne un poids et un sens particuliers, il vient du cœur même de la rationalité caractéristique de la civilisation européenne. La religion woke « pare ses dogmes de la garantie de l’université traditionnelle » (p. 56). « C’est cette étonnante nouveauté de son origine universitaire qui rend la religion woke si difficile à combattre, puisqu’elle est ainsi immunisée, dès le départ, contre toute critique scientifique et rationnelle. C’est aussi ce qui désoriente le plus les universitaires ‘réfractaires’ à cette nouvelle religion, qui ne veulent pas comprendre que l’université woke n’est plus celle qu’ils ont connue » (p. 53).

La seconde est que le développement aux Etats-Unis tient moins à une réinterprétation abusive des auteurs de la French Theory – Michel Foucault en relativisant la science par l’histoire de la science n’en a pas conclu qu’il n’existait pas de science, - qu’à la tradition américaine des grands « réveils » religieux du protestantisme des siècles passés. Pour analyser le sens du courant woke, l’hypothèse de l’influence française est la plus généralement adoptée, mais celle de la tradition religieuse ne devrait pas être négligée qui permet d’expliquer le recours à la croyance plutôt qu’à la raison, l’irrationnalité des argumentaires académiques, la force des passions et le dogmatisme moralisateur, fondé sur des textes quasiment sacrés, qui interdisent tout débat éclairé. Nathalie Heinich avait déjà signalé le modèle des « théologies du réveil » qui émaillent l’histoire du monde protestant[3]. Illustrent cette origine religieuse les séances d’aveu public pendant lesquelles de jeunes militants blancs demandent pardon aux Noirs de l »oppression qu’ils ont subie par la faute des Blancs – c’est aussi à un rite de ce type que les professeurs de l’université d’Evergreen ont dû se soumettre. Ces épisodes évoquent l’atmosphère du monde puritain du milieu du xixe siècle peint dans La Lettre écarlate, roman terrible de Nathaniel Hawthorne, qui, en 1850, montrait la honte que subissait une jeune femme condamnée à porter toute sa vie une grande lettre A sur sa poitrine pour avoir commis un adultère qui ne serait jamais ni oublié ni pardonné par sa communauté.
Nos démocraties sont devenues extrêmes

Ce livre soulève de nombreuses questions. Qu’est-ce que la théorie de l’intersectionnalité, la colonialité, la théorie du genre, le racisme systémique, la fragilité blanche, ces concepts à la mode wokiste apportent du nouveau à la réflexion sur les relations entre les hommes et les cultures ?

Pourquoi conduisent-ils, plutôt qu’à des débats, à des violences : manifestations contre des professeurs obligés de démissionner, harcèlements contre ceux qui pensent autrement, interdictions de conférences ? Pourquoi les penseurs du wokisme n’admettent-ils pas les objections ou les arguments contradictoires qui sont le propre ou qui devraient être le propre de la vie intellectuelle dans les universités ? S’il ne s’agit pas de juger d’un phénomène par ses excès, des excès constants n’interrogent-ils pas sur le sens du mouvement ?

Enfin, last but not least, est-ce une mode destinée à passer et à rester marginale ou sommes-nous en face d’un courant de pensée qui risque de détruire les principes qui ont fondé la supériorité de l’Occident, le rapport à la vérité, l’esprit critique et la liberté de pensée ? Les ennemis de la démocratie, entre autres les Chinois cités par notre auteur, ont-ils raison de se réjouir de voir les démocraties se trahir elles-mêmes et se déliter sans même qu’ils aient besoin de les y aider ?

À toutes ces questions je pense que l’auteur donnerait la réponse pessimiste, étant donné le ton de son ouvrage, engagé mais non pamphlétaire.

Je tends à le rejoindre pour une raison complémentaire, pour moi fondamentale. Nos démocraties sont devenues « extrêmes »[4]. Relisons Montesquieu : « « La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité (…) et l’esprit d’égalité extrême (…) Le principe de la démocratie se corrompt, non seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité, mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander. Pour lors le peuple, ne pouvant souffrir le pouvoir même qu’il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le sénat, exécuter pour les magistrats, et dépouiller tous les juges. (…). Telle est la différence entre la démocratie réglée et celle qui ne l’est pas, que, dans la première, on n’est égal que comme citoyen, et que, dans l’autre, on est encore égal comme magistrat, comme sénateur, comme juge, comme père, comme mari, comme maître. »[5].

Les démocraties « extrêmes » dans lesquelles nous sommes ne sont-elles pas en train de dénaturer leurs propres principes par leurs excès de revendication de liberté et d’égalité et par leur refus de toute institution ? Ni la liberté ni l’égalité ne comportent de limites intrinsèques. L’inspiration des différents mouvements woke s’inscrit bien dans ce mouvement de la démocratie extrême ou « déréglée ». C’est au nom d’une égalité absolue que les militants réclament la reconnaissance de toutes les minorités, fut ce jusqu’à l’absurde – ce dont la transformation de la langue est un exemple. C’est au nom de l’aspiration démocratique elle-même, poussée à l’extrême, qu’ils mènent leur combat. Or ils se fondent sur des faits vrais. Il est vrai que la femme de ménage noire, exemple privilégiée par les penseurs de la Critical Race Theory, ne connaît pas une condition enviable étant donné notre opulence collective et nos valeurs. Il est vrai que nos sociétés comportent nombre d’inégalités et que le principe d’égalité est à leur fondement. Mais les formes excessives que prennent les revendications woke risquent d’aboutir, au nom de l’égalité, à un égalitarisme contraire à la justice sociale et à la liberté politique.

Si vous ajoutez la prudence ou l’indifférence ainsi que l’intérêt immédiat de la majorité des universitaires, peut-on espérer que ces derniers mèneront un jour le combat intellectuel contre ces nouveaux dogmatismes?


Jean-François Braunstein : “Le wokisme est une attaque délibérée contre toutes les valeurs des Lumières”


Venue des États-Unis, une idéologie hostile à la science cherche à s'imposer, alerte Jean-François Braunstein.

Valeurs actuelles. Au mois d’août, une affiche du Planning familial représentant deux hommes en couple dont un “enceint” suscitait la polémique. Qu’en pensez-vous ?

Jean-François Braunstein.
Le Planning familial était une institution dédiée à la lutte pour l’avortement et la contraception. Or, prise en main par des militants radicaux, elle est devenue une officine woke en prétendant que les genres sont interchangeables. Outre cette affiche, le Planning familial a publié un “lexique” hallucinant expliquant, par exemple, que le pénis n’est pas un organe masculin.

​Ce qui est inquiétant, c’est que la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes ait soutenu le Planning familial, sous prétexte que refuser l’affirmation selon laquelle un homme peut être enceint est transphobe, alors qu’il s’agit du b.a.-ba de la réalité biologique. Ce qui est également préoccupant est que le Planning familial fait partie des associations habilitées à intervenir dans les écoles pour des formations sur la sexualité et risque d’y diffuser ces idées absurdes. Avec cette affiche, on a le résumé de la théorie du genre, cette volonté de substituer à la réalité biologique une réalité fondée sur les seules consciences. Si je suis une femme mais que je décide d’être un homme, alors je le suis et tout le monde doit faire comme si je l’étais. C’est très destructeur car cela suppose qu’on nie la biologie et qu’on efface le monde réel.

Par David di Nota

Un nouvel essai du philosophe, Jean-François Braunstein, démantèle, pièce par pièce, la fragile construction intellectuelle qu’est le wokisme, dont les grandes figures ne sont, finalement, que de grands hypocrites. Pour notre chroniqueur David di Nota, le jugement est sans appel.

Il paraît que les jours de Molière sont comptés et que son expression « les précieuses ridicules » a quelque chose de sexiste. Il se peut que l’expression soit condamnée à court ou moyen terme, mais la chose ne disparaîtra pas de si tôt. J’en veux pour preuve le livre épatant que Jean-François Braunstein vient de consacrer à la religion woke. Après avoir taillé en pièces les généalogistes de fortune qui font de la French Theory le berceau du wokisme, Braunstein cite avec amusement les propos cocardiers de Rama Yade : « De Lacan à Foucault, ce sont les penseurs français qui ont inspiré le mouvement woke ! Soyons-en fiers en tant que français ! » Il faut n’avoir jamais lu les séminaires de Foucault pour s’imaginer un seul instant qu’une prédicatrice comme Madame Rousseau s’inscrit dans sa lignée. Il faut n’avoir jamais lu une ligne des Écrits pour s’imaginer que Lacan aurait tenu ces militants en haute estime (lui qui opposait aux progressistes de son temps le fameux : « Ce que vous voulez, c’est un Maître. Vous l’aurez »). Non contente de se mélanger les pinceaux, Madame Yade aimerait en être fière – démarche qui résume à elle seule l’inanité de la chose.

CHRONIQUES DE LIVRES - IREF


Philosophe, professeur émérite à la Sorbonne, Jean-François Braunstein entreprend une analyse rigoureuse et impitoyable du délire woke, dont la prolifération lui paraît – à juste titre – au plus haut degré dangereuse. Contrairement à une opinion largement répandue, l’auteur considère qu’il ne faut pas accorder une grande importance au rôle joué par la French Theory, très en vogue de l’autre côté de l’Atlantique. On aurait affaire, en fait, à une nouvelle religion (à une secte plutôt) qui rappelle les aléas du protestantisme aux États-Ùnis, une religion universitaire, avec ses rites et ses dogmes et qui ne tolère pas la pluralité des opinions : on peut faire des « études de genre » à condition d’accepter l’idée que le genre est un choix, on peut parler du racisme uniquement en tant que « racisme systémique », on a le droit d’aborder les fat studies (mais oui, la recherche universitaire se diversifie de manière spectaculaire) si on croit que l’obésité est un mode de vie qu’on choisit délibérément etc. On aura remarqué, certainement, que les théoriciens woke manquent singulièrement d’humour.

Au cœur de cette nouvelle religion se trouve, selon Braunstein, la théorie du genre. Son objectif est limpide : effacer les différences entre les sexes et, à la limite, nier l’existence même des sexes. C’est ainsi qu’une utopie qui paraissait absurde est en train de se réaliser : changer de sexe si on veut et quand on veut. Les documents officiels adoptent maintenant la formule « sexe attribué à la naissance ». Aux États-Ùnis et en Grande-Bretagne on a introduit toute une série de règles concernant l’utilisation des pronoms, afin de ne pas traumatiser les personnes trans. En 2007, Julia Sorano a défini la femme trans comme « toute personne qui s’est vu attribuer un sexe masculin à la naissance, mais qui s’identifie et/ou vit comme une femme ». D’autres militants trans veulent nous convaincre qu’en fonction de l’identité du propriétaire « un pénis peut être un organe sexuel féminin ». En Californie, un professeur d’endocrinologie a été obligé de s’excuser pour avoir parlé de « femmes enceintes », ce qui était discriminatoire à l’égard des hommes trans devenus femmes. Dans beaucoup d’hôpitaux américains et anglais on a décidé d’adopter un « langage neutre » : on parlera donc de « personnes enceintes » au lieu de « femmes enceintes », d’allaitement « au thorax » et non d’allaitement « au sein » etc. La négation des réalités biologiques a des conséquences désastreuses : on inculque aux enfants la conviction qu’ils pourront choisir leur identité sexuelle. Le phénomène, comme on le sait, prend – hélas ! – de l’ampleur.

Nier la réalité par le langage, montre Jean-François Braunstein, est une démarche propre à la pensée magique, primitive. La religion woke est obsédée par la « dévirilisation » et la « décolonisation » des sciences, y compris des mathématiques (dont l’apprentissage est un « privilège blanc », c’est pourquoi il faut inventer des « mathématiques équitables »). L’histoire occidentale serait marquée par le racisme, les blancs seraient structurellement racistes, les personnes de couleur sont et seront toujours opprimées.

Le fait d’appliquer, dans toute analyse et dans tout jugement, le schéma intersectionnel (race, classe, genre) témoigne d’une pauvreté affligeante de la pensée et d’un dogmatisme effrayant. Même s’il n’est guère optimiste, Braunstein conclut que la seule forme de résistance devant tant de bêtise agressive est de dire « non » aux idées woke. Ce qui m’a fait penser à la réplique finale du protagoniste de la pièce d’Eugène Ionesco, Rhinocéros : « Je ne capitule pas ».

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