«Il est temps de nous préparer à la cyberguerre» - Par Asma Mhalla

Ces derniers mois, les conflits en Ukraine ou à Taïwan ont mis en lumière une conflictualité d'un nouveau type, les guerres cognitives, qui rebattera les cartes dans les années à venir, analyse la spécialiste des enjeux géopolitiques Asma Mhalla.


Asma Mhalla est spécialiste des enjeux géopolitiques du numérique, enseignante à Sciences-Po Paris et à l’École Polytechnique.

L'année 2022 aura été marquée par l'entrée du cyberespace dans le débat public. Que ce soit via les cyberattaques, les campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, la destruction ou de prise de contrôle des infrastructures réseau, le cyberespace met à disposition des États de nouveaux outils de puissance, de subversion et de coercition. Ce processus de militarisation est documenté au fur et à mesure que les cas d'usage se multiplient: Ukraine, Taïwan, Sahel, etc. Ces conflits, ouverts ou larvés, sont des laboratoires à ciel ouvert des guerres du XXIe siècle. Il apparaît utile de revenir sur ces modalités de conflit hybrides pour se préparer à ce qui se présente. Pour poser le décor, il convient de considérer le cyberespace comme une succession de trois couches interdépendantes:
  • Une couche matérielle qui recouvre le socle technologique de connectivité (câbles sous-marins et terrestres, satellites, serveurs, data centers, terminaux). C'est sur cette couche que pèsent les risques de sabotage ou d'espionnage des câbles sous-marins, de destruction de data centers ou encore de reroutage de tout ou partie d'un réseau télécom afin de contrôler la dernière couche cyber, celle de la sphère informationnelle.
  • Une couche logicielle qui correspond aux services et applicatifs permettant d'assurer la transmission des données entre deux points du réseau. L'architecture logique repose sur les systèmes d'information basés sur un langage commun permettant aux terminaux et logiciels de communiquer entre eux. C'est à partir de cette deuxième couche que sont conduites les cyberattaques. La mise à jour régulière des systèmes d'information est vitale afin d'éviter d'être l'objet de stratégies de cyber-coercition ou de subir des dommages à la fois matériels et réputationnels auprès de l'opinion publique comme lors des récentes attaques d'hôpitaux et d'administrations publiques en France.
  • Une couche cognitive qui consolide l'ensemble des données produites par nos usages numériques. C'est la couche qui est directement visible et accessible des utilisateurs finaux via les applications par exemple. Les opérations sémantiques (Agora toxica: La société incivile à l'ère d'internet, Stéphanie Lamy, 2022) sur les réseaux sociaux ou de contrôle de la sphère informationnelle dans les régimes autoritaires sont conduites sur cette dernière couche.

À ce stade, le bras de fer se joue, pour ce que l'on en sait, essentiellement entre États-Unis et Russie, cristallisé par la cyberattaque en mai 2021 du réseau d'oléoducs américain Colonial Pipeline.

À quel moment s'arrêter? L'Europe est-elle en capacité de se positionner afin de préserver ses normes, ses savoirs, sa vision du monde dans un cyberespace, en plein splinternet?