Sapiens et le climat - De Olivier Postel-Vinay

Journaliste scientifique, ex-rédacteur en chef de La Recherche et de Science & Vie, le directeur du mensuel Books, Olivier Postel-Vinay publie Sapiens et le climat (Les Presses de la Cité), dans lequel il raconte les découvertes paléoclimatiques récentes. Elles révèlent que l’espèce humaine s’est déjà adaptée plusieurs fois à des périodes de réchauffement et de refroidissement extrême.


Cet essai rigoureusement argumenté et documenté va bouleverser notre vision du climat comme élément constitutif de l'évolution de l'homme. Comment les ruptures, les catastrophes ont conduit de tous temps l'humanité à se réinventer, voilà, au-delà des discours simplistes une réflexion essentielle à notre compréhension de l'évolution.

Du paléolithique à nos jours, Sapiens s'est trouvé confronté à des événements naturels souvent rapides, brutaux et de grande ampleur. Pour le pire et pour le meilleur. Car si notre espèce a failli en perdre la vie, si des civilisations se sont effondrées, si récemment encore se sont ensuivies famines, guerres et épidémies, nous avons fait preuve en ces occasions d'une belle faculté de résilience. Les Lumières et la révolution industrielle sont nées de la crise climatique du XVIIe siècle. La crise du XXIe n'est pas moins prometteuse.
Longtemps récusée par les historiens, l'idée que les caprices du climat jouent parfois un rôle moteur dans l'Histoire est explorée par un nombre croissant de spécialistes. Les travaux les plus récents, dans la littérature scientifique américaine notamment, offrent la possibilité de revisiter l'aventure humaine au regard des changements climatiques. Ainsi apprend-on, par exemple, que Sapiens affronta les premières méga-sécheresses de l'histoire de l'humanité, que la civilisation romaine fut emportée par un changement climatique majeur, et que les Vikings s'installèrent, à la faveur d'un optimum médiéval pendant quelques centaines d'années, au Groenland – qui fut un jour " vert " ..
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NOTE DE LECTURE PAR BENOIT RITTAUD

Comme l’indique son sous-titre, elle est en effet bien chahutée, la relation que l’homme entretient avec le climat. Une relation qui ne date pas d’hier, et qui remonte aux origines de notre espèce. Dans son ouvrage, Olivier Postel-Vinay retrace toute l’histoire d’Homo sapiens au travers des multiples évolutions des révolutions climatiques qui ont jalonné son histoire. Un voyage menée de façon à la fois passionnante et dépassionnée.

L’empire d’Uruk a-t-il succombé à un terrible changement climatique ? Faut-il voir dans la splendeur et les aléas de l’époque romaine des reflets du temps qu’il faisait en Europe à l’époque ? Les évolutions climatiques peuvent-elles expliquer comment, autant que pourquoi, Homo sapiens s’est aventuré hors de son Afrique natale ? C’est tout cela que le livre aborde, nourri des références scientifiques les plus récentes et les plus solides, avec des réponses toujours nuancées et prudentes. On cherchera vainement, dans les 350 pages de cet ouvrage, des rapprochements hâtifs, des attaques inutiles, et autres témoins rhétoriques de notre triste époque sur ce type de sujet. Dans un registre plus vulgarisé mais aussi plus large, Sapiens et le climat constitue ainsi, en quelque sorte, une version actualisée de l’Histoire du climat depuis l’an mil d’Emmanuel Leroy-Ladurie.

Comme il est bon d’en apprendre sur le climat sans en apprendre sur notre fin du monde ! Comme il est rafraîchissant, le temps d’un livre, d’en rester à l’histoire et à la science, de se laisser émerveiller par ce que nous savons reconstituer, et de se laisser tout autant fasciner par ce que nous ignorons encore de notre propre passé !

Ce n’est que tout à la fin que l’auteur a, tout de même, quelques mots sur ce que nous vivons aujourd’hui. Il ne prend guère parti, fidèle à sa ligne générale loin de toute polémique. Tout juste s’étonne-t-il de la crise climatique dont nous parlons aujourd’hui « par anticipation » c’est-à-dire avant même qu’elle ait réellement produit des effets comparable à celles que l’Humanité a dû traverser depuis les origines.

Un livre hautement recommandable, à la fois pour son contenu scientifique dense très bien servi par un style doux et envoûtant, mais aussi, et peut-être surtout, pour sa façon de se tenir à distance de tout excès, donnant ainsi un bel exemple de la façon dont doit se penser la science.


Olivier Postel-Vinay: «Le climat joue un rôle central dans l’histoire de l’humanité»


Par Charles Jaigu

LE FIGARO MAGAZINE. - Vous observez ceux qui observent les débats entre climatologues depuis trente ans, et cela vous amène à relativiser le catastrophisme ambiant. Pourquoi?

Olivier POSTEL-VINAY. -
Je me souviens en effet d’une première une en 1986, pour Science & Vie. Nous l’avions titrée «Les prophètes de l’été carbonique». On sortait tout juste d’une période où il n’avait été question pendant des années que de prophéties apocalyptiques sur le risque d’un hiver nucléaire en cas de conflit atomique. Tout à coup, les données indiquaient un réchauffement, et on sentait monter l’alerte chez les climatologues, entre réalité et extrapolation. Ensuite, j’ai suivi le «Climategate» en 1995. Des hackers avaient découvert les échanges d’e-mails de climatologues très influents au sein du Giec qui trafiquaient les résultats. Ceux-ci voulaientpeser sur les politiques gouvernementales «pour la bonne cause». Cet épisode est lointain, mais il laisse planer un doute sur les «petits arrangements» avec les faits. Je regrette qu’il n’existe pas depuis cet épisode un observatoire indépendant capable de valider les conclusions du Giec.


Chronique du livre d'Olivier Postel-Vinay

écrit par Jean-Philippe Delsol (IREF)

Selon le sous-titre de cet ouvrage, le climat a connu « une histoire bien chahutée ». Olivier Postel-Vinay n’est pas scientifique, mais, longtemps rédacteur en chef du magazine scientifique La Recherche, il a une excellente connaissance des travaux à partir desquels il nous conte allègrement cette aventure du climat depuis les origines de l’homme.

Depuis que Sapiens est né en Afrique, les températures du globe ne cessent de changer. Dans ce contient où il vivait depuis quelques dizaines de millénaires, les immenses lacs Tanganyika et Malawi ont perdu à deux reprises 95% de leur eau. Les âges glaciaires et interglaciaires ont alterné. Il y a 127 000 à 114 000 ans avant notre ère, il faisait plus chaud qu’aujourd’hui dans la majeure partie du globe. Mais une nouvelle période glaciaire s’est installée à partir de 73 000 ans avant notre ère jusqu’à un nouvel âge interglaciaire qui s’est ouvert il y a 12 000 ans et jusqu’à aujourd’hui avec de sensibles variations. Les changements climatiques ont parfois été soudains et très prononcés : « de 5°C à 16°C en quelques décennies, donc sans commune mesure avec celui que nous connaissons et envisageons pour le prochain siècle ». Si tant est qu’il se confirme car Olivier Postel-Vinay rappelle aussi qu’au milieu du siècle dernier une majorité de scientifiques du climat craignait un refroidissement.

Au demeurant, l’humanité semble avoir plus profité des réchauffements que des refroidissements. Ceux-ci réduisaient le niveau des mers et favorisaient les migrations des petites bandes humaines chassées par le froid qui pouvaient traverser à sec bien des isthmes. Mais ce sont les environnements chauds, comme ceux qu’a produit le Bolling à partir du 12ème millénaire avant notre ère, qui ont favorisé la naissance et le développement des premières civilisations. Le désert saharien était vert alors. Au demeurant, rien n’est durable. Après 1500 ans de chaleur une nouvelle ère glaciaire, le dryas, refroidit la Terre pendant plus d’un millénaire avant qu’un nouvel optimum climatique s’instaure et favorise la naissance de l’agriculture dans plusieurs régions du monde sans lien entre elles. Il y eut des époques de l’holocène récent, entre 9 000 et 5 000 ans avant notre ère, où les températures furent plus élevées qu’aujourd’hui, où la calotte glaciaire du Groenland fut de 60 mètres moins élevée qu’actuellement et les glaciers plus courts qu’ils ne sont, tandis que le niveau des mers était plus haut. Le froid revint encore avant la chaleur qui favorisa encore la prospérité agricole, les villes, les échanges. Alors, note l’auteur, au Moyen Orient, « la notion de propriété se renforce, avec des techniques de marquage et de comptage ».

Les peuples et les dynasties se font et se défont sous les effets du climat sans que celui-ci en soit la cause unique. Rome a sans aucun doute profité d’un climat favorable. De 100 ans avant notre ère à 200 ans après elle, le climat méditerranéen a été stable et chaud : « La période 21/50 a représenté les trente années les plus chaudes de notre ère jusqu’aux années 2000 ». Mais les deux derniers millénaires ont connu aussi leurs alternances, déjà décrites brillamment par Emmanuel Leroy Ladurie, abondamment cité, entre l’optimum médiéval (900/1300) et le petit âge glaciaire qui a suivi. Ces changements induisent des évolutions et parfois des révolutions. Mais c’est souvent une chance, une occasion de réagir. Le philosophe et historien des sciences Pascal Acot notait dans son Histoire du climat (2004), dont l’analyse est proche de celle d’Olivier Postel-Vinay, que même à l’occasion des pires variation climatiques, quelles qu’en soient les causes, « tout se passe toujours comme si la catastrophe représentait une chance, un nouveau départ pour le vivant ».

Pour satisfaire à un certain déconstructionnisme ambiant, qu’il critique au demeurant, il a remplacé dans une partie de son livre la datation d’avant Jésus-Christ par une autre d’avant Socrate. On s’y perd un peu et cette soumission à la doxa n’était ni utile ni bienvenue. Mais l’essentiel est que son ouvrage, d’une lecture agréable, permet à chacun de comprendre aisément combien il faut se méfier des prophètes de malheur qui voudraient imposer au monde de revenir à l’âge des cavernes ou pour le moins à l’ère préindustrielle pour lutter contre le réchauffement. Le climat est une mécanique extrêmement compliquée à laquelle l’homme a sans doute sa part, mais peut-être bien peu au milieu de bien d’autres déterminants tels que les variations de l’orbite de la Terre autour du Soleil et celles de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre, les vacillations et les incertitudes des cycles orbitaux, les « interactions mal comprises entre le volume des glaces terrestres, les cycles végétaux, le stockage de la chaleur par l’océan profond, le cycle du CO2 » , ou encore El Nino qui interfère avec les oscillations des différents océans et des pôles, les éruptions volcaniques, les taches solaires… « Pour la première fois de sa longue carrière, conclut l’auteur, Sapiens vit une crise climatique par anticipation ». Pourtant, l’homme a déjà su s’adapter à de si nombreuses et importantes variations climatiques ! Au surplus, l’histoire témoigne que les périodes chaudes ont toujours été favorables à l’humanité. Ne soyons donc pas dogmatiques.