Climat de violence en France – Par Michel Maffesoli et Pierre-Marie Sève

Face à la multiplication de faits divers tragiques, Emmanuel Macron s’est alarmé en conseil des ministres du climat de violence en France tout en demandant au gouvernement de se montrer intraitable face à « des violences jamais justifiables ».  Pour le chef de l'Etat, « il faut être intraitable sur le fond ». Que savons-nous vraiment des causes de la violence ? Comment expliquer les différences entre les peines encourues et la peine appliquée ?

 Décivilisation de la société

Par Michel Maffesoli

Atlantico : Face à la multiplication de faits divers tragiques, Emmanuel Macron s’est alarmé en conseil des ministres du climat de violence en France et s’est inquiété d’une “décivilisation de la société”. Mais d’où vient la violence que nous observons ?

Michel Maffesoli : La coïncidence de deux faits divers dramatiques le même jour, touchant une infirmière dans le cadre de l’hôpital et des policiers dans l’exercice de leur fonction a un impact émotionnel certain. En tirer des conclusions générales sur l’augmentation de la violence ne relève pas d’une analyse rationnelle, mais participe de ce climat émotionnel. Il apparaîtrait que les crimes et tentatives de crimes ne connaissent pas une augmentation au 21e siècle, mais il est sûr que leur impact émotionnel est de plus en plus fort.

Ce qui est appelé « climat de violence » n’est donc pas tant l’addition de faits de violence que leur mise en perspective, leur retentissement médiatique et politique. En ce sens je dirais non pas qu’il y a « décivilisation », je ne comprends d’ailleurs pas vraiment ce que signifie ce mot, mais que nous sommes dans une époque à fort retentissement émotionnel des actes et comportements violents.

Que savons nous, par des études sociologiques, criminologiques, anthropologiques des causes de la violence dans nos sociétés ?

Michel Maffesoli :
La violence est une structure anthropologique de toute société. L’espèce humaine comme toute espèce animale se caractérise par la coexistence de comportements violents et de comportements solidaires, généreux.

L’homme est l’objet de pulsions violentes qui peuvent s’exprimer individuellement ou collectivement. Ces pulsions violentes sont maîtrisées, régulées de différentes manières selon les époques et les civilisations. Les Grecs pratiquaient la guerre et les jeux, et une société est civilisée non pas parce qu’elle ne serait pas violente, qu’elle dénierait la violence, mais parce qu’elle sait la ritualiser. En quelque sorte l’exprimer sans qu’elle ait de conséquences trop sanglantes. Au risque de choquer, je dirais que les incendies rituels de voitures ou autres violences contre les biens sont un moyen d’exprimer la violence de manière homéopathique, sans conséquences sanglantes. Il faudrait sans doute réfléchir aux façons de réintroduire des jeux de rôles, des jeux collectifs, des affrontements ritualisés qui permettraient l’expression d’une violence « sans conséquences meurtrières ».

En ce sens il n’y a pas de causes de la violence, celle-ci est inhérente à la vie en société, mais en revanche on peut tenter d’en maîtriser les expressions.

La distinction entre violence passionnelle, instrumentale et identitaire est-elle toujours opérante pour expliquer d’où vient la violence ?

Michel Maffesoli :
Le comportement violent est une manière de traiter la relation à l’autre comme ennemi. La violence ne s’explique pas par l’existence d’une relation d’inimitié, elle est un mode d’expression de cette inimitié. Inimitié dont la cause est à rechercher dans les sentiments, dans la volonté de pouvoir, dans la volonté d’affirmation du groupe. La volonté de s’affirmer au détriment de l’autre explique en effet le comportement violent : la guerre en est le paradigme admis socialement, le crime en est la forme anomique. En-deçà de ces formes paroxystiques de violence mortifère et mortelle, il y a toute une série de faits de violence plus banales..

Je pense qu’il est erroné de penser que les comportements de violence banale, les saccages et autres attaques de biens matériels, mais même les injures ou en tout cas les paroles violentes feraient le lit des agressions interpersonnelles. Il y a une expression nécessaire de l’agressivité entre les individus ou entre les groupes qui peut être contenue dans des règles communes ou en tout cas amoindrie par la mise en place de divers rituels.

La consommation de drogues et les problèmes de santé mentale ont souvent été associés à des comportements violents, mais peut-on en inférer une causalité pour autant ? A quel point une faible estime de soi et le manque de vision positive de la société, est-il plus pertinent pour analyser cette question ?

Michel Maffesoli :
C’est un fait que certaines pathologies peuvent causer des comportements violents. Le meurtre de soignants par des malades n’est pas fréquent, mais il n’est pas inexistant. Souvenons-nous de certains faits divers, tels le meurtre d’une infirmière et d’une aide-soignante à Pau par un malade en pleine crise. La Justice reconnaît d’ailleurs qu’il peut y avoir « abolition du discernement » et que ceci explique le crime. Ce qui ne veut pas dire que cela l’excuse. Le meurtre de l’infirmière de Reims n’a donc que peu à voir avec des actes de délinquance. Il a beaucoup à voir par contre avec la difficulté dans laquelle est notre système de soins psychiatriques à suivre les malades de manière proche et continue. On a simplement oublié que supprimer des lits d’hospitalisation en psychiatrie impliquait de conserver et développer un suivi extra-hospitalier de qualité.

Quant à la consommation de drogues, il me semble qu’elle a malgré tout bien plus d’implications néfastes pour les personnes qui se droguent qu’elle n’explique les comportements violents. Certes là encore les faits divers récents mettent en relief les conséquences de la conduite automobile sous l’emprise de drogues, comme cela a été et est toujours le cas pour l’alcool. Il est possible d’ailleurs que l’extrême sévérité des contrôles anti-alcooliques ait fait se déporter les consommateurs vers d’autres drogues.

La cause des violences entre personnes tient plus aux conséquences du trafic de drogues qu’à la consommation de drogues. Nombre de trafiquants ne sont d’ailleurs pas consommateurs.

Il n’y a pas de « cause de la violence », mais il y a diverses situations qui peuvent expliquer telle ou telle expression de la violence. Il faut chercher à réduire les risques, à minimiser les conséquences de la violence plutôt qu’à trouver chaque jour un nouveau bouc émissaire : l’alcool, la drogue, la maladie mentale, le chômage, la pauvreté etc..

A quel point peinons-nous, encore aujourd'hui, à expliquer d’où vient la violence ? Et par là à lutter contre cette dernière ?

Michel Maffesoli :
La violence est inhérente à la condition humaine. Elle est une des manifestations de la finitude humaine, de son imperfectibilité. Elle est l’expression du Mal, d’un mal qui n’est pas seulement « la privatio boni », la privation du bien, mais qui a une existence propre. Le nier, le dénier au nom d’un prétendu progrès de l’espèce humaine, d’une amélioration de la société conduit tout simplement à ce que ce mal, cette violence revienne comme un boomerang. L’explosion de conflits guerriers, Ukraine, Congo, Soudan, Arménie, la tendance génocidaire de certains de ces conflits en est le triste exemple.

Je trouve d’ailleurs curieux que l’on ne se préoccupe pas plus de l’impact de ce climat guerrier sur l’exacerbation de l’agressivité, notamment dans les jeunes générations. Depuis bientôt quatre ans, on n’entend que le mot de guerre. La stratégie de la peur, peur du virus, peur de la guerre, peur de la pénurie en électricité, peur du manque d’eau, peur de la disparition de la planète et finalement peur de la fin du monde, voilà des faits qu’il faudrait interroger pour « expliquer la violence ». Il est vrai qu’il y a une « décivilisation » quand une société accepte de renoncer à accompagner ses mourants et à rendre hommage à ses morts.

Quand les morts ne sont plus que des chiffres qu’on égrène à la télévision pour soumettre le peuple, c’est une incroyable violence !

Steven Pinker, professeur de psychologie à l'université de Harvard, montre chiffres à l'appui que le nombre de morts par violence (rapporté à la population) tend à diminuer dans l'histoire humaine. Quelle est la pertinence et les limites de cette approche ?

Michel Maffesoli :
Les chiffres sont les chiffres ! je ne suis pas du tout un sociologue quantitativiste et ne suis pas non plus démographe. Mais cette assertion est largement répandue et elle est objectivement vraie.

Si les populations se sentent agressées, en insécurité ce n’est sans doute pas parce qu’elles sont plus souvent victimes d’agressions ou de crimes. Le sentiment d’insécurité est largement dû à un monde qui change, à la difficulté à faire société, à ce que le sociologue Georg Simmel nommait l’exacerbation de la nervosité due à l’ambiance des grandes villes. Croiser tous les jours plus, bien plus d’inconnus que de personnes connues, être confronté à toute une série de modes de vie étranges, voilà qui n’est pas rassurant. Et qui peut faire interpréter tout fait de violence particulier comme étant général.

Mais bien sûr dans une société de théâtrocratie telle la nôtre, il est de plus en plus difficile de faire la différence entre des faits divers très médiatisés et une réalité quotidienne qui reste malgré tout pacifique. Quand le président lui-même abuse de la métaphore guerrière, qu’il reprend une assertion eschatologique sur la fin de la civilisation (la fin du monde ?), il est clair que le climat de peur et donc d’agressivité en retour ne peut que croître.

La fin d’un monde, celui qui croyait en un progrès infini et à l’éradication de la souffrance et de la mort est réelle. Mais ce n’est pas la fin du monde. L’humanité n’est ni plus violente ni plus méchante qu’elle n’a été. Dans ces périodes de grand changement civilisationnel il faut savoir trouver les rites et les croyances collectives qui nous permettent de nous frotter les uns aux autres sans nous agresser, en tout cas nous affronter les uns les autres sans nous tuer.

Décivilisation de la société : que savons-nous vraiment des causes de la violence ? | Atlantico.fr

Radioscopie de la réponse pénale effective en France face aux délinquants et criminels violents

Par Pierre-Marie Sève

Atlantico : Emmanuel Macron a appelé à être "intraitables contre la violence", mais à l’heure actuelle, quelle est la réponse pénale effective en France face aux délinquants et criminels violents ? Quel hiatus y a-t-il entre la peine encourue, la peine prononcée et la peine in fine appliquée ?

Pierre-Marie Sève :
Il y a un entonnoir sans fond entre la commission des crimes et leur sanction.

Prenant les chiffres de 2019, 4,5 millions d'infractions ont été portées à la connaissance de la police.

Sur celles-ci, seuls 1,3 millions ont été élucidées et suffisamment caractérisées. Sur ce 1,3 million, 173 000 ont été classées sans suite, 463 000 ont fait l'objet d'une alternative aux poursuites (notamment les rappels à la loi), et donc seuls 600 000 ont été effectivement poursuivies devant un juge. Parmi celles-ci, 550 000 peines ont été prononcées. dont seulement 280 000 peines de prison. Puis, sur ces 280 000 peines de prison, il n'y a eu que 131 000 peines de prison ferme. Et enfin, grâce à la dernière enquête de l'Institut pour la Justice, nous savons que 41% des personnes condamnées à de la prison ferme n'y mettent pas les pieds, ce qui veut dire que l'on doit avoir environ 70 000 peines de prison effectives, sur une masse initiale de 4,5 millions d'infractions.

Et encore, cela ne concerne même pas les infractions non-déclarées (beaucoup de vols ou de viols sont dans ce cas). Bref, la réponse pénale réelle, qui ne peut être autre chose qu'une privation de liberté, est minime du fait de la multiplication des échappatoires depuis 30 ans.

Dans quelles conditions la réponse pénale est-elle la plus ferme ? (Pour quels types de crimes et délits ? type de personnalité? Récidive ou non ? etc.) Que risque, aujourd’hui, concrètement, un prévenu ?

Pierre-Marie Sève :
Le système judiciaire français a intégré, depuis les années 1960 un principe de foi appelé l'individualisation des peines. Ce principe ne coule pas de source, au contraire, puisque c'est même un grand reproche fait à la justice d'ancien régime par les révolutionnaires que d'être trop imprévisible, et de favoriser les puissants. Montesquieu demandait même aux juges d'être "la bouche de la loi" pour éviter cette imprévisibilité et illisibilité du droit pénal.

Malheureusement, cette imprévisibilité est revenue en force avec l'extrême gauche judiciaire, qui a obtenu une grande victoire avec le code pénal de 1994. Depuis ce code pénal, les seuil minimums de peines ont été purement et simplement supprimés, une situation unique dans nos droits romano-germaniques. Il est donc extrêmement difficile de faire des généralités concernant le prononcé des peines. Le critère fondamental désormais est la personnalité du coupable. Quel est son casier judiciaire ? Bénéficie-t-il d'un de ces nouveaux privilèges de classe (l'inverse des privilèges d'Ancien Régime) ? Naturellement, plus le crime est grave, plus le casier est lourd, plus la peine prononcée sera lourde, mais il y a régulièrement des exceptions.

À l'inverse, dans quelles situations est-ce que les peines sont-elles les plus faibles/laxistes ?

Pierre-Marie Sève :
La France semble s'être légèrement améliorée dans le traitement judiciaire des cas les plus graves. Les affaires type Tony Meilhon ou Pierrot le Fou ont, à elles seules, fait trop de mal à l'image de la Justice et des gouvernements en place. On peut donc imaginer qu'il y a des instructions pour une sévérité accrue par rapport au début des années 2000.

En revanche, nous avons clairement un problème pour gérer la délinquance de masse. Celle-ci a littéralement explosé : ne serait-ce que le nombre de coups et blessures volontaires et autres agressions qui a été multiplié par 7 depuis les années 1990.

Que risque, aujourd’hui, concrètement, un prévenu, selon le type de crimes et délits commis ?

Pierre-Marie Sève :
Il risque peu selon les crimes ou délits. Un cambrioleur par exemple n'est attrapé par la police qu'une fois sur 10 en moyenne. Puis encore faut-il que le procureur refuse de lui appliquer une mesure alternative, puis encore faut-il que le juge prononcé une peine de prison, que cette peine soit ferme et enfin que cette peine soit exécutée !

Théoriquement, les peines maximales peuvent être relativement élevées, mais elles ne sont pratiquement jamais prononcées. Ce risque, jamais suivi d'effet, contribue à décrédibiliser la Justice dans son ensemble. Les délinquants et criminels savent que leur crime ou leur délit a toutes les chances de leur rapporter plus qu'il ne leur coûte.

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