Elections en Turquie : la Démocratie ou Erdogan ? - Par Jean-François Colosimo et Yves Montenay

Jean-François Colosimo: "La Turquie a-t-elle enfin rendez-vous avec la démocratie?"

Malgré la légère avance de l’opposition dans les sondages, la chute du président islamiste Recep Tayyip Erdogan est loin d’être acquise, argumente l’historien. Par ailleurs, une éventuelle victoire de Kemal Kiliçdaroglu ne serait pas nécessairement synonyme d’un changement radical de politique pour la Turquie.

Poutine et Xi Jinping votent Erdogan. Les dirigeants européens, Kiliçdaroglu. Le 14 mai, cependant, ce sont les Turcs, et eux seuls, qui se rendront aux urnes. Qui ne souhaiterait qu’ils aient enfin rendez-vous avec la démocratie? Puisqu’ils n’ont fait qu’en rater l’augure depuis 1923. Exagéré? Ce n’est pas ce que dit le siècle d’existence de leur République césarienne.

Dès 1930, Mustafa Kemal simule le multipartisme en forgeant un faux parti d’opposition qu’il dissout la même année. En 1960, les militaires suspendent l’alternance en pendant haut et court le libéral Menderes. En 1971, ils revendiquent le rétablissement de l’ordre en ayant renversé le progressiste Demirel.

En 1980, ils répètent leur martingale du coup d’État salvateur en chassant derechef Demirel. En 1996, ils la réitèrent en décrétant démissionnaire l’islamiste Erbakan. En 2001, Recep Tayyip Erdogan, inéligible, accède au pouvoir grâce à un coup de force parlementaire. En 2016, il prend prétexte du putsch avorté de ses adversaires pour éradiquer toute contestation.

Yves Montenay : "Turquie : des élections décisives le 14 mai"

Le régime autoritaire et islamiste du président Erdogan est menacé par les prochaines élections législatives et présidentielles le 14 mai : les sondages donnent une légère majorité à l’opposition, mais ils ne sont pas forcément fiables, et une victoire dans les urnes aurait du mal à se matérialiser politiquement. Les observateurs extérieurs craignent un trucage suivi d’une répression pour étouffer la contestation.

Mais, avant d’aborder cet enjeu électoral, il faut rappeler l’importance de l’islam turc dans l’histoire européenne. Cette importance est ignorée en France, car elle ne nous a pas directement concernés. Mais elle a modelé l’Europe centrale, orientale – Russie comprise – et balkanique, ce qui a des conséquences sur l’état d’esprit des peuples de ces pays et donc de leurs dirigeants.

Les Turcs dans l’histoire européenne

En effet, le monde orthodoxe a été coupé de l’Europe occidentale par les Turcs. Avant leur arrivée, l’Occident comprenait l’empire byzantin et la division entre catholiques et orthodoxes n’étaient pas civilisationnelle. Il y avait des mariages princiers et des échanges culturels entre l’Occident et la grande puissance qu’était l’empire byzantin.

Mais tout change avec la défaite byzantine contre les Turcs à Manzikert en 1071 et la prise de Jérusalem par les Turcs en 1078. Cela déclenche la première croisade avec la prise de Jérusalem en 1099, où un empire byzantin affaibli sert de base arrière aux croisés. Et le vrai divorce Orient-Occident se concrétise en 1204 par la conquête et le pillage de Byzance par les croisés, qui par ailleurs affaiblit l’empire byzantin qui ne sera plus que l’ombre de lui-même jusqu’à la prise d’une Byzance dépeuplée et fantomatique par les Turcs en 1453.