Élections turques: «Pourquoi personne n'a vu venir le succès d'Erdogan» - Par Selmin Seda Coskun et Jean-Sylvestre Mongrenier

Pour la chercheuse Selmin Seda Coskun et le directeur de recherche à l'Institut Thomas More Jean-Sylvestre Mongrenier, de nombreux observateurs occidentaux ont sous-estimé la redoutable dynamique de l'«islamo-nationalisme» et son efficacité politique.


Selmin Seda Coskun est chercheuse associée à l'Institut Thomas More. Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l'Institut Thomas More et auteur de Le Monde vu d'Istanbul. Géopolitique de la Turquie et du monde altaïque (PUF, 2023).


Avec 49,4 % des suffrages lors du premier tour de l'élection présidentielle turque, le 14 mai dernier, Recep Tayyip Erdogan est passé à deux doigts de la victoire. Son rival Kemal Kılıçdaroglu est en dessous de 45%. Aux législatives, l'Alliance populaire réunie autour du président turc et de l'AKP obtient 49% des voix, ce qui lui assure 321 des 600 sièges que compte la Grande Assemblée. La coalition de l'opposition ne recueille que 35% des suffrages, soit 213 sièges. Outre l'opposition turque, ce sont les projections et pronostics de bien des experts qui sont battus en brèche. Cette dissonance cognitive doit être réduite.

Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle turque, le 14 mai 2023, auront défrayé la chronique, à tout le moins dans les rédactions occidentales. Kemal Kılıçdaroglu, chef du CHP et candidat de l'opposition unie (la Table des Six), se retrouve quatre points derrière Recep Tayyip Erdogan, qui dispose de deux millions de voix d'avance. Donné pour battu, ce dernier n'aura pas été si loin d'une réélection dès le premier tour (environ 275 000 voix lui auront manqué). De surcroît, il dispose d'une large majorité au sein du Parlement, les progrès de ses alliés nationalistes (MHP) et islamistes (YRP) compensant le recul du parti présidentiel (AKP). Pourquoi donc un tel décalage entre les attentes et pronostics des observateurs occidentaux d'une part, la réalité politique de l'autre ?


Assurément, la mainmise de l'État-AKP sur les médias, les ressources administratives et les fonds publics auront pesé sur l'issue de ce premier tour de l'élection présidentielle et sur les législatives.

Le profil « modeste » de Kılıçdaroglu (la modestie n'est pas l'humilité) est vu comme le signe d'une incapacité à diriger et gouverner : les Turcs dans leur plus grand nombre veulent un « sultan ».

Pour comprendre les résultats de l'élection, il faut regarder la terre, le ciel et les hommes avec les yeux des Turcs, suspendre les jugements de valeur pour entrer dans leurs mœurs, mentalités et représentations.