Emeutes : «Comment éviter l’éternel retour de l’embrasement des banlieues» Par Maxime Tandonnet
En 2005, la mort de deux jeunes originaires de Clichy-sous-Bois, avait entraîné trois semaines d’émeutes urbaines. Dix-huit ans après, la classe politique est toujours paralysée à l’idée d’un nouvel embrasement des cités, explique Maxime Tandonnet, essayiste et ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy, qui propose des solutions pour relever le défi gigantesque des banlieues.
Dix-huit ans, déjà. Le 27 octobre 2005, les banlieues françaises s’embrasaient à la suite du décès de deux jeunes garçons à Clichy-sous-Bois, qui s’étaient réfugiés dans un transformateur d’EDF pour échapper à un contrôle policier. Parties de Seine-Saint-Denis, Les émeutes se sont répandues comme une traînée de poudre sur tout le territoire français: plus de 300 communes ont été touchées. Elles ont duré quasiment trois semaines, jusqu’au 17 novembre.
Le bilan de ces événements fut dramatique: 10.000 véhicules et plus de 200 bâtiments publics ont été incendiés, en particulier des crèches, des écoles, des milliers de mètres carrés de bâtiments commerciaux et industriels. 130 policiers ont été blessés, de même que des sapeurs-pompiers et des soignants, parfois à la suite de tirs à balles réelles. Les événements ont fait au moins deux morts. Plus de 12.000 policiers et gendarmes ont été déployés en sécurisation dans les quartiers. 4500 personnes ont été placées en garde à vue et 800 écrouées. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, le gouvernement a été contraint, le 8 novembre, de décréter l’état d’urgence. La fin du quinquennat de Jacques Chirac avait été gravement ternie par cette dramatique secousse.
Le monde politique est face à un échec dramatique
Le spectre de ces événements, presque vingt ans après, plane aujourd’hui sur la classe dirigeante française. La mort de Nahel, le jeune homme de 17 ans tué à Nanterre par le tir d’un policier à la suite d’un refus d’obtempérer, a provoqué deux nuits d’émeutes marquées par des violences, des tirs de mortiers et incendies de mairies. Le pouvoir politique redoute que les violences se propagent et devoir affronter une situation comparable à celle de l’automne 2005. Pour des personnalités aussi obnubilées par leur image personnelle et s’identifiant comme «progressistes», un embrasement des cités serait un désastre politique - après la crise des «gilets jaunes», le mouvement social sur les retraites - qui montrerait une nouvelle fois à la face du monde entier la France dans le chaos.
Sur une longue période, tous les gouvernements et de toutes les majorités échouent sur la question des banlieues. Depuis 2005, quatre présidents de la République se sont succédé au pouvoir, et huit premiers ministres. En près de vingt ans, tout se passe comme si rien n’avait changé malgré les efforts financiers gigantesques accomplis par la nation en faveur des cités sensibles. Un rapport de la Cour des comptes du 2 décembre 2020 «sur l’évaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires» a pointé les dépenses réalisées dans ce but: «Depuis quarante ans, la politique de la ville a pour objectif de réduire les écarts entre les quartiers dits “prioritaires” et les autres, en améliorant les conditions de vie de leurs habitants. L’État y consacre environ 10 milliards d’euros chaque année, auxquels s’ajoutent les financements de la rénovation urbaine et les dépenses, difficilement mesurables, des collectivités territoriales.»
En vérité, tout le monde était prévenu du caractère explosif de la situation. L’ancien ministre de l’Intérieur, Gérard Colomb, lançait le 3 octobre 2018, lors de sa cérémonie de passation de pouvoirs, un avertissement solennel au gouvernement qu’il quittait : «Monsieur le premier ministre, si j’ai un message à faire passer - je suis allé dans tous ces quartiers, des quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse, à ceux de la couronne parisienne Corbeil, Aulnay, Sevran - c’est que la situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend là tout son sens, parce qu’aujourd’hui dans ces quartiers c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. Il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers, mais je crois qu’il faut fondamentalement les changer, quand des quartiers se ghettoïsent, se paupérisent, il ne peut y avoir que des difficultés et donc (…) il faut une vision d’ensemble, car on vit côte à côte, et je le dis, moi, je crains que demain on ne vive face à face, nous sommes en face de problèmes immenses.»
Ces propos ont été à l’époque vivement reprochés à l’ancien maire de Lyon, dès lors qu’ils se limitaient à présenter un état des lieux alarmiste sans formuler de solution. Chacun se doute bien qu’il n’existe d’ailleurs guère de remède magique et que les incantations ou les provocations sont un exercice toujours plus facile que l’action authentique. Il reste que le monde politique, toute tendance confondue et sur le long terme, est face à un échec dramatique. La question centrale est celle de l’autorité dans les quartiers qui ont été qualifiés de «territoire perdus de la République». Encore une fois, sur plusieurs décennies, la tragédie de cités sensibles, alimentée par l’échec scolaire, le désœuvrement, la loi des trafics, est le fruit de flux migratoires qui ont été insuffisamment maîtrisés, favorisant la ghettoïsation dont parle M. Colomb, dans le contexte d’un chômage gigantesque, de l’aggravation de la pauvreté et non accompagnés des politiques d’intégration - surtout par la formation et le travail - suffisantes.
L’autre enjeu fondamental est celui de la restauration du lien social quartier par quartier notamment grâce à l’école - comme le proposait le plan Borloo en 2018 malheureusement peu suivi - et aussi grâce à l’action des maires et des entreprises. Car il existe aussi des exemples de réussite qui gagneraient à être mieux connus. Rien ne sera possible, enfin, sans un renouveau sur le plan des valeurs. Même si cela peut paraître utopiste, plutôt que l’idolâtrie autour de sportifs millionnaires, il serait temps, à travers l’école, d’essayer de réhabiliter auprès des jeunes la passion de l’histoire et de la littérature et de l’art et de leur proposer ainsi une vision de la France appelant la fierté plutôt que la violence.
Le mérite de Gérard Colomb, à l’époque, est d’avoir eu le courage et la lucidité de dire la vérité ce qui est une première étape pour tenter de sortir de l’impasse. La classe dirigeante s’est malheureusement empressée d’oublier ce discours de vérité, comme noyé dans l’exubérance communicative, l’autosatisfaction dans tous les domaines, les polémiques et les provocations en tout genre, un spectacle de plus en plus déconnecté du réel. Pour essayer de relever un défi aussi gigantesque, sur plusieurs décennies, le préalable est un retour du politique au monde des réalités, de préférence aux gesticulations et aux chimères.