Emeutes : «La nouvelle génération est plus dangereuse et moins contrôlable qu’en 2005» - Par Michel Aubouin
Pour le préfet, spécialiste de la question des banlieues, le scénario en cours était prévisible. Les réseaux sociaux, les circonstances estivales, une génération plus jeune et plus violente font que, selon lui, ces émeutes pourraient être plus graves que celles de 2005.
Préfet, inspecteur général de l’administration, Michel Aubouin a exercé de 2009 à 2013 les fonctions de directeur du ministère de l’Intérieur en charge de l’intégration des étrangers et des naturalisations. Il a publié en 2019 40 ans dans les cités. Il vient de publier Le Défi d’être français (Presse de la Cité)..
LE FIGARO.- La mort d’un jeune homme de 17 ans enflamme les cités… Ce scénario était-il attendu et prévisible?
Michel AUBOUIN. - Le scénario était malheureusement très prévisible. Nous avons travaillé sur ce sujet au sein du ministère de l’Intérieur en 1995, avec des équipes de sociologues. L’une d’elles, Angelina Peralva, a théorisé cela sous le titre des «émeutes de la mort». Un jeune meurt dans un quartier et le quartier s’enflamme. Le groupe des jeunes, dont les repères sont limités, réagit sous le coup d’une émotion immédiate. Aucun discours rationnel ne peut les faire changer d’avis. Ces groupes, en tout état de cause, considèrent la police, et tout particulièrement la BAC, comme des ennemis, qu’on doit combattre, comme on combat les groupes des autres quartiers ennemis, parfois jusqu’à la mort.
Il y a presque vingt ans se tenaient les émeutes de 2005. Qu’est-ce qui a changé depuis? La nouvelle génération est-elle différente?
Souvent, les réactions violentes ne concernent que le quartier. En 2005, elles s’étaient propagées à tous les quartiers de même nature, grâce au téléphone portable, très utilisé par ailleurs dans le commerce de produits illicites. Beaucoup de commentateurs ont fustigé le rôle des médias, ou des discours politiques, mais, à la vérité, aucun des jeunes concernés ne regarde la télévision ni n’écoute les discours des hommes politiques.
Cette fois, ce sont les réseaux sociaux, et surtout TikTok, qui font circuler l’information. Tout ce qui s’y écrit est porteur d’émotion. Les jeunes se reconnaissent dans la victime: il a leur âge, il est de la même origine, il a osé braver la police (c’est un acte d’héroïsme à leurs yeux).
Dix-huit ans après les émeutes de 2005, une génération a passé. Celle de 2005 a entre 30 et 35 ans. Les protagonistes de l’époque sont mariés, ont des enfants et travaillent. Ils sont insérés. Mais, dans les quartiers, la mémoire des guerres passées, de plus en plus mythologique avec l’écoulement des années, continue de faire son œuvre. Il y a toujours un aîné désœuvré pour raconter ses exploits aux plus jeunes.
Au-delà, cette nouvelle génération est plus violente que la précédente, et elle est sans doute plus jeune. Elle est donc de moins en moins contrôlable. Les circonstances ne nous sont pas favorables, car tous les collégiens sont dans la rue, les collèges ayant fermé leurs portes, alors que les animations d’été ne sont pas commencées et que ceux qui repartent «au pays» sont encore là.