18 août 1850 : Honoré de Balzac, journaliste

La vie de Balzac est un prodigieux roman. Accablé de dettes, immergé dans un titanesque labeur d'écriture, mort à cinquante et un ans, le 18 août 1850, juste après son mariage avec celle qu'il avait si longtemps attendue, le romancier de La Comédie humaine incarne un mythe, celui du créateur rivalisant avec Dieu, et foudroyé comme Prométhée. On connait tous l’œuvre littéraire d’Honoré de Balzac. Stefan Zweig, dans une biographie qui l’occupera pendant dix ans – et qui ne sera publiée qu’après sa mort –, voit l'un des phares de la littérature européenne.

Mais on connaît moins Balzac journaliste. "Si la presse n'existait pas, écrit-il, il faudrait ne pas l'inventer". Journaliste, pourtant, il le sera. Et de manière compulsive. Le journalisme attire Balzac parce que c'est une façon d'exercer un pouvoir sur la réalité, lui qui rêve parfois de devenir maître du monde littéraire et politique.

De ses débuts jusqu'à sa mort, il écrit quantité d'articles, collabore à de nombreux "petits journaux" – ces feuilles littéraires et satiriques très répandues sous la Restauration. Tour à tour critique littéraire et chroniqueur politique, le fait divers l'attire. Car par-dessus tout, Balzac journaliste reste romancier. Il en tire l’esquisse de ses personnages, des psychologies, des décors, qui sont ceux de La Comédie humaine…

Balzac est journaliste au moment de la révolution de Juillet et de l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe qui vient remplacer Charles X, renversé pour avoir remis en cause (entre autres) la liberté de la presse. Dès le début du règne fleurissent les journaux et notamment ceux illustrés et satiriques comme La Caricature (avec lequel Balzac va collaborer), le Charivari. Ce développement de la presse sur la période 1830/1835 est due d’une part à la relative liberté qui lui est accordée mais aussi à l’évolution technologique avec l’invention de la lithographie par Aloïs Senefelder en 1796 (apparition de la presse illustrée). La caricature politique bat particulièrement son plein.

Mais l’attentat de l’anarchiste Fieschi sur le Roi Louis Philippe en 1835 va changer cette donne. Le Roi rétablit une monarchie autoritaire avec ce qu’on appelle les Lois de septembre ou Lois scélérates. Ces lois musellent la presse et sont contraires à la charte de 1830. Cela provoque encore des émeutes mais aussi la disparition ou la reconversion (le Charivari et Daumier se tournent alors vers la caricature de mœurs) d’un certain nombre de journaux. Dans son roman Illusions perdues, commencé juste après ces évènements, il fait dire aux sages du Cénacle, lorsque Lucien de Rubempré annonce qu’il va « se jeter dans les journaux » : « Gardez-vous en bien, là serait la tombe du beau, du suave Lucien que nous aimons […]. Tu ne résisterais pas à la constante opposition de plaisir et de travail qui se trouve dans la vie des journalistes ; et résister au fond, c’est la vertu. Tu serais si enchanté d’exercer le pouvoir, d’avoir le droit de vie et de mort sur les œuvres de la pensée, que tu serais journaliste en deux mois. »

Dans Splendeurs et misères des courtisans, il revient sur les compromissions auxquelles doit souvent se résoudre le journaliste : « Quiconque a trempé dans le journalisme, ou y trempe encore, est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l’approuver, on finit par le commettre. »

Balzac s'engage dès 1830 dans la défense des intérêts des gens de lettres, affirmant que l'artiste doit bénéficier d'un statut spécial car il constitue une force idéologique, un contre-pouvoir, voire une menace révolutionnaire que le gouvernement a tort de dédaigner, car son génie le place à égalité avec l'homme d'État. Il livre aussi un combat, en septembre 1839, pour la révision du procès de Sébastien-Benoît Peytel, un ancien confrère du journal Le Voleur et auteur d'un violent pamphlet contre Louis-Philippe, condamné à mort pour le meurtre de son épouse et de son domestique. Il tente d'en faire une cause nationale, mais sans succès. Il participe aussi, en tant qu'écrivain, à la révolution du roman-feuilleton.

En 1835, Balzac achète, avec des fonds qu’il ne possède pas (comme à son habitude), La Chronique de Paris, journal politique et littéraire, feuille sans position politique affirmée. Lorsque le 1er janvier 1836 paraît le premier numéro, l’équipe est composée de Victor Hugo, Gustave Planche, Alphonse Karr et Théophile Gautier. Les illustrations sont réalisées par Henry Monnier, Grandville et Honoré Daumier. Balzac se réserve la politique, car le journal est un outil de pouvoir. Dans les faits, Balzac est pratiquement le seul à écrire.

Politiquement, Balzac a une vision assez juste de la rivalité entre l'Angleterre et la Russie pour le contrôle de la Méditerranée ; il proteste contre l'alliance de la France et de l'Angleterre ; dénonce le manque de plan de la diplomatie française ; prédit, plus de trente ans avant Sedan, la domination de la Prusse sur une Allemagne unifiée. Il publie aussi dans son journal des romans et des nouvelles.

La Chronique de Paris aurait pu être une véritable réussite. Mais Balzac doit, en même temps, livrer les derniers volumes des Études de mœurs ; il fait faillite dans une affaire chimérique avec son beau-frère ; il s’engage dans un procès contre François Buloz, nouveau propriétaire de la Revue de Paris. Par ailleurs, refusant d’accomplir ses devoirs de soldat-citoyen, il est arrêté par la Garde nationale conduit à la maison d’arrêt, où il passe une semaine. S'ensuivent cinq mois de découragement profond. Toutefois, il remporte son procès contre Buloz, mais il est aussitôt poursuivi pour retard dans la livraison des romans promis à un autre éditeur, la veuve Béchet. Menacé d’être mis en faillite, il décide, en juillet 1836, d’abandonner La Chronique. Ses mésaventures alimenteront la création d'un de ses plus beaux romans, alors en chantier, Illusions perdues, dont la deuxième partie sera « le poème de ses luttes et de ses rêves déçus ».

En 1840, Armand Dutacq, directeur du grand quotidien Le Siècle, propose à Balzac de financer une petite revue mensuelle, la Revue parisienne. Balzac se lance alors dans une aventure censée servir ses intérêts de feuilletoniste. Il ouvre le premier numéro avec Z. Marcas le 25 juillet 1840, nouvelle qui sera intégrée à La Comédie humaine en août 1846 dans les Scènes de la vie politique. Pendant trois mois, Balzac rédige, seul, une revue qu’il veut également littéraire et politique. Outre ses attaques contre le régime monarchique, la Revue parisienne se distingue par des critiques littéraires assez poussées dans la charge comme dans l’éloge. Parmi ses victimes, on compte Henri de Latouche, son vieil ennemi Sainte-Beuve et s’en prend encore, assez injustement, à Eugène Sue. Mais il est élogieux avec Stendhal au sujet de La Chartreuse de Parme : « Monsieur Stendhal a écrit un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. Il a produit, à l’âge où les hommes trouvent rarement des sujets grandioses, et après avoir écrit une vingtaine de volumes extrêmement spirituels, une œuvre qui ne peut être appréciée que par les âmes et les gens supérieure (…)».

La Revue parisienne s’éteindra après la troisième parution, le 25 septembre 1840. Balzac et Dutacq partageront les pertes (légères). Balzac échoue une nouvelle fois dans la presse, et dans les affaires.

Dans une monographie humoristique, Monographie de la presse parisienne, datant de 1843, Balzac réalise une analyse complète des composantes de la presse. Il invente le terme « gendelettre », qu’il dit construit « comme gendarme ». En naturaliste, plus loin dans l’ouvrage, il présente un « Tableau synoptique de l’ordre gendelettre », à la manière d’un Linné. L’ordre est organisé en deux genres (Publiciste et Critique), eux-mêmes divisés en sous-genres où l’on retrouve plusieurs des catégories. Gérard de Nerval, qui rédige la préface, dans un style pince-sans-rire, donne une définition du « canard » : « Information fabriquée colportée par des feuilles satiriques » (ce qui donnera “canard” en argot pour désigner un journal).

Cette désinvolture dans la satire vaudra à Honoré de Balzac une froide réception dans les milieux journalistiques.

Balzac

de Stefan Zweig (Auteur)

Éditeur ‏ : ‎ Le Livre de Poche; Le Livre de Poche édition (1 mars 1996)
Langue ‏ : ‎ Français
Poche ‏ : ‎ 506 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2253139254
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2253139256
Poids de l'article ‏ : ‎ 272 g
Dimensions ‏ : ‎ 11 x 2.3 x 17.9 cm


Balzac


Éditeur ‏ : ‎ FOLIO BIOGRAPHIES (27 octobre 2005)
Langue ‏ : ‎ Français
Poche ‏ : ‎ 192 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2070306674
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2070306671
Poids de l'article ‏ : ‎ 100 g
Dimensions ‏ : ‎ 11 x 1.2 x 17.5 cm
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