24 août 1572 : La Saint-Barthélemy, "Tuez. Tuez-les tous. Ils s'enfuient, tuez."
LIRE EGALEMENT : CHARLES IX, roi de France (5.12.1560 au 30.5.1574)
Le vendredi 22 août 1572, peu après le mariage d'Henri de Navarre, Charles de Louviers, seigneur de Maurevert, tire sur Coligny depuis une maison appartenant à l’ancien précepteur des Guise, à la sortie d'un conseil royal au Louvre. Mais il n’est que blessé. Gaspard Coligny de Châtillon, grand amiral de France, chef du parti huguenot, la bête immonde, le monstre à abattre pour les "papistes", l'homme de toutes les séditions contre le pouvoir royal. Coligny l'intrigant, revenu en grâce auprès de Charles IX, roi à peine sorti de l'adolescence, qu'il presse d'intervenir contre Philippe II d'Espagne, tyran catholique qui opprime les réformés dans la Flandre. Coligny, caricature du protestant raide et froid.
L'aristocratie huguenote, réunie providentiellement à Paris depuis le mariage, quatre jours plus tôt, d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois - une "alliance monstrueuse" manigancée par Catherine de Médicis, mère du roi - crie à la félonie de Charles IX. Le chef protestant est transporté chez lui, rue de Béthizy (au 136 de l’actuelle rue de Rivoli). Le roi se rend au chevet de son conseiller avec sa mère et son frère le Duc d’Anjou, le futur Henri III. Coligny demande à parler au roi en aparté. Il veut l'inciter à continuer le combat contre les Espagnols dans les Flandres, et à ramener la paix en France par l'abolition des Edits. « Mon père, affirme Charles IX, vous avez la plaie et la perpétuelle douleur ». Le roi lui promet alors que sa vengeance sera « si horrible que jamais la mémoire ne s'en perdra ».
Une atmosphère d'émeute règne dans Paris. On se souvient de la conjuration d'Amboise et de la tentative protestante pour s’emparer du pouvoir ou du moins le contrôler. Les Guise, Catherine et sa cour d'Italiens (Birague, Nevers, Retz), le duc d'Anjou, futur Henri III, mettent sous le nez du roi les plans d'un prétendu complot huguenot qui aurait exploité la naïveté de leurs fidèles pour mieux conspirer contre le roi. L'hérésie est sœur du régicide. On décide donc d'en finir avec les "huguenots de guerre", c'est-à-dire les extrémistes. Pour mettre un terme à la puissance politique du parti protestant, il suffit de le décapiter. Dans la nuit du 23 au 24 août, un Conseil royal se réunit, au cours duquel il est décidé d’achever l’amiral de Coligny et un certain nombre de chefs huguenots. Mais l’opération va se muer en exorcisme collectif.
Les chefs protestants se réunissent chez l'amiral. Coligny demande au pasteur Merlin de dire la prière. Après avoir confié son âme « en Jésus-Christ son Dieu et Sauveur », il s’adresse aux chefs huguenots : « il y a longtemps que je me suis disposé à mourir. Vous autres, sauvez-vous, s’il est possible ; car vous ne sauriez garantir ma vie. » Mais la confiance à faire jusqu'au bout au roi va prévaloir.
Dimanche 24 août 1572, deux heures du matin, les ducs de Guise et d'Aumale avec le bâtard d'Angoulême (le fils naturel d'Henri II) assiègent le logis de l'amiral. L’accès à cette résidence leur est facilité par l'évacuation des habitants catholiques du quartier et la présence des gardes malheureusement commandés par un ennemi de Coligny, un certain Cosseins. Celui-ci pénètre par ruse dans un premier corps de bâtiment donnant sur la rue, ce qui lui permet de traverser la cour pour rejoindre un second bâtiment où se trouvait l’Amiral. Cornaton fait barricader en toute hâte la porte de l'escalier et monte chez son maître qu’il trouve levé et en prière. Coligny comprend qu'il va mourir. « Je recommande mon terme à la miséricorde de Dieu ». Les compagnons de Coligny s'enfuient par les toits. La plupart sont tués à coup d'arquebuses.
L'aristocratie huguenote, réunie providentiellement à Paris depuis le mariage, quatre jours plus tôt, d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois - une "alliance monstrueuse" manigancée par Catherine de Médicis, mère du roi - crie à la félonie de Charles IX. Le chef protestant est transporté chez lui, rue de Béthizy (au 136 de l’actuelle rue de Rivoli). Le roi se rend au chevet de son conseiller avec sa mère et son frère le Duc d’Anjou, le futur Henri III. Coligny demande à parler au roi en aparté. Il veut l'inciter à continuer le combat contre les Espagnols dans les Flandres, et à ramener la paix en France par l'abolition des Edits. « Mon père, affirme Charles IX, vous avez la plaie et la perpétuelle douleur ». Le roi lui promet alors que sa vengeance sera « si horrible que jamais la mémoire ne s'en perdra ».
Une atmosphère d'émeute règne dans Paris. On se souvient de la conjuration d'Amboise et de la tentative protestante pour s’emparer du pouvoir ou du moins le contrôler. Les Guise, Catherine et sa cour d'Italiens (Birague, Nevers, Retz), le duc d'Anjou, futur Henri III, mettent sous le nez du roi les plans d'un prétendu complot huguenot qui aurait exploité la naïveté de leurs fidèles pour mieux conspirer contre le roi. L'hérésie est sœur du régicide. On décide donc d'en finir avec les "huguenots de guerre", c'est-à-dire les extrémistes. Pour mettre un terme à la puissance politique du parti protestant, il suffit de le décapiter. Dans la nuit du 23 au 24 août, un Conseil royal se réunit, au cours duquel il est décidé d’achever l’amiral de Coligny et un certain nombre de chefs huguenots. Mais l’opération va se muer en exorcisme collectif.
Les chefs protestants se réunissent chez l'amiral. Coligny demande au pasteur Merlin de dire la prière. Après avoir confié son âme « en Jésus-Christ son Dieu et Sauveur », il s’adresse aux chefs huguenots : « il y a longtemps que je me suis disposé à mourir. Vous autres, sauvez-vous, s’il est possible ; car vous ne sauriez garantir ma vie. » Mais la confiance à faire jusqu'au bout au roi va prévaloir.
Dimanche 24 août 1572, deux heures du matin, les ducs de Guise et d'Aumale avec le bâtard d'Angoulême (le fils naturel d'Henri II) assiègent le logis de l'amiral. L’accès à cette résidence leur est facilité par l'évacuation des habitants catholiques du quartier et la présence des gardes malheureusement commandés par un ennemi de Coligny, un certain Cosseins. Celui-ci pénètre par ruse dans un premier corps de bâtiment donnant sur la rue, ce qui lui permet de traverser la cour pour rejoindre un second bâtiment où se trouvait l’Amiral. Cornaton fait barricader en toute hâte la porte de l'escalier et monte chez son maître qu’il trouve levé et en prière. Coligny comprend qu'il va mourir. « Je recommande mon terme à la miséricorde de Dieu ». Les compagnons de Coligny s'enfuient par les toits. La plupart sont tués à coup d'arquebuses.
VOIR EGALEMENT : DE 1559 À 1598 : TEMPS D'INTOLERANCE
Merlin essaye de suivre ceux qui s’échappaient par une fenêtre qui donnait sur les toits. Mais ne pouvant les suivre à cause de sa mauvaise vue, il passe trois jours et demi dans un grenier à foin, entre, entre le mur et le tas, couvert de foin qu’il avait entraîné dans sa chute. D’Aubigné raconte qu’il « fut mort de faim, sans une poule qui en ce temps vint lui pondre « trois oeufs dans la main. » Étant sorti de sa cachette, il trouve asile à l’hôtel de Renée de France, au rue Séguier (ancienne rue Pavée). Le jour de la Saint-Barthélemy, plusieurs personnes se réfugièrent « chez la duchesse de Ferrare, rue Pavé. » : Louise de Coligny qui réussit à s'échapper par les toits, la femme du pasteur Merlin, la fille du chancelier Michel de L’Hospital.
La porte, de la chambre de l'amiral cède. Besme, lui, est en tête des meurtriers, se précipite l'épée à la main.
« - N'es-tu pas l'amiral ? »
« - C'est moi jeune homme tu devrais avoir égard à ma vieillesse et à mon infirmité ; mais tu ne feras pourtant pas ma vie plus brève »
Besme lui plonge l'épée dans la poitrine, chacun des assassins s'acharne sur corps encore vivant. Son cadavre tailladé est défenestré, jeté aux pieds d'Henri de Guise qui l'identifie. Alors la populace s'acharne sur le corps mutilé, éventré, émasculé, décapité, traîné dans la boue parisienne par des enfants, jeté au fleuve où il pourrit trois jours. Puis il est repêché et pendu par les cuisses au gibet de Montfaucon (derrière l'actuel l'hôpital Saint-Louis) où la cour et les dames à la mode viennent se rassasier du spectacle… La tête portée au roi, est embaumée et envoyée, semble-t-il au Pape. Plus tard, on tiendra un "procès", à l'issue duquel son corps, représenté par une paillasse dont il ne manquera même pas le bâton figurant son éternel cure-dent, sera à nouveau pendu à la potence, place de Grève, avec deux autres huguenots rescapés des massacres.
La cloche de Saint-Germain-L’auxerrois sonne les matines (5h du matin). C’est le signal du massacre. A une époque où il n'y a pas d'armée permanente le prévôt des marchands est en mesure de lever un régiment de milice dans chacune des douze paroisses de Paris, une compagnie par quartier. Les portes de la ville sont fermées chaque nuit. Quant ou roi, il utilise surtout des mercenaires dans la mesure où il a l'argent pour les payer.
Le Paris émeutier des petits fonctionnaires et commerçants, fanatisés par le clergé, mêlé au Paris des truands se jette, avec voracité, sur tout ce que la capitale compte de réformés ou supposés tels, ces "calvinistes" si étranges dans leur façon de s'habiller et de manger, qui ne vont pas à la messe, ne se décoiffent pas devant les processions catholiques, ne font pas maigre le vendredi, ne dansent pas les jours fériés ou le dimanche, décapitent les statues de la Vierge et lacèrent les tableaux des saints. Ces calvinistes iconoclastes contre lesquels des torrents de haine se sont accumulés pendant les douze années de "troubles". Le calviniste, "c'est l'Autre, le différent, l'étranger", écrit Janine Garrisson, celui dont on fait le bouc émissaire de tous les malheurs des temps.
Au cimetière des Saints-Innocents, ce jour de la Saint-Barthélemy, à midi, un buisson d'aubépine, desséché depuis des mois, se met à reverdir près d'une image de la Vierge. A la rumeur du prodige, les Parisiens en transes accourent, des femmes crient, des malades guérissent. L'aubépine qui refleurit, c'est le signe de la bénédiction divine donnée au carnage qui vient de commencer, à la résurrection en cours de la France monarchique. Dans son ivresse mystique, la Saint-Barthélemy s'ouvre dans une sorte d'hallucination collective du triomphe de Dieu sur la souillure hérétique.
Chaque huguenot est un Coligny qu'il faut châtier - "la messe ou la mort" - pour être en paix avec Dieu. Ne pas choisir la religion du roi, c'est se rebeller contre lui.
Les instigateurs du massacre ont sans doute été dépassés par un mouvement populaire dont ils n'avaient pas prévu l'ampleur. Plus de 3.000 protestants sont assassinés à Paris, la plupart pendant leur sommeil, leur corps étant ensuite jeté sans ménagement dans la Seine.
Le 26 août, le roi se rend devant le parlement et revendique la responsabilité du massacre. Si les nouvelles puissances protestantes, l'Angleterre, l'Allemagne, les Provinces-Unies, sont effrayées, l'Espagne catholique de Philippe II et la papauté triomphent. Messes solennelles, feux de joie, médailles commémoratives : le pape Grégoire XIII ordonne des réjouissances dans toute la ville de Rome. Pour lui, la justice de Dieu a passé. Dès 1569, son prédécesseur Pie V avait écrit à Catherine de Médicis : "Il ne faut épargner d'aucune manière, ni sous aucun prétexte, les ennemis de Dieu. Ce n'est que par la destruction totale des hérétiques que le roi pourra rendre à ce noble royaume le respect dû à la religion catholique."
Si nombre de petites villes choisissent d'ignorer l'exemple venu de Paris pour préserver la paix civile, le trop-plein de violences de la capitale se déverse à Orléans, La Charité-sur-Loire, Meaux, Angers, Saumur, Lyon... Dans la fureur du galop des chevaux, à la lueur des torches, on tue, on pille, on égorge, on transperce, y compris les enfants et les femmes enceintes, comme pour empêcher tout risque de reproduction de l'"hérétique engeance". Denis Richet observe que si les Anglais de la guerre des Deux-Roses coupaient les têtes et les promenaient dans les rues suspendues à des piques, les Français dénudent, émasculent, frappent "aux entrailles et au sexe". L'autre symbolique est celle de l'enfance. Ce sont des petits vauriens qui ont traîné le corps de Coligny dans les ruelles de Paris, mais on en fait des êtres d'innocence et de pureté, vengeant la souillure dont les huguenots menacent la société et qu'ils doivent payer, sur leurs corps mutilés, comme par anticipation des peines infernales. Ces Saint-Barthélemy locales qui ont lieu d’août à septembre 1572, feront au moins 10 000 morts en province.
Le massacre de la Saint-Barthélemy : l'obsession de la souillure hérétique
(Source : LE MONDE du 3 août 2007 par HenriTincq)
Comment en est-on arrivé à ce crime primitif et sacré ?
La thèse du complot huguenot a fait long feu depuis longtemps. Pour les historiens, autour de Jean-Louis Bourgeon, la Saint-Barthélemy est une manœuvre du pouvoir royal, inspirée par l'Espagne de Philippe II, les Guise et la faction catholique hostiles à la paix de Saint-Germain (1570) qui accorde des "places de sûreté" (comme La Rochelle) aux réformés, soit l'ultime mouture de la politique de compromis. Pour Janine Garrisson, c'est un "massacre politique", doublé chez Denis Crouzet d'un "crime d'amour" : en éliminant les chefs de la Réforme, le roi aurait voulu créer les conditions d'un retour à la concorde. Après avoir beaucoup polémiqué, les historiens convergent aujourd'hui dans un constat de violences symboliques puisées, chez les protestants, dans la peur panique d'une extermination collective, chez les catholiques, dans l'obsession de la contamination hérétique.
En effet, ces guerres de religion écrasent un XVIe siècle hallucinant de soif de Dieu et d'angoisse eschatologique. L'imminence de la fin des temps est attestée par les récits de prodiges, les pluies de comètes et de sang, les naissances de monstres, l'omniprésence de sorciers. Aux calamités naturelles s'ajoutent la pression démographique, le fossé entre les classes sociales, l'inflation découverte avec les métaux précieux d'Amérique. On est loin des clichés sur l'Europe heureuse de la Renaissance. C'est un siècle d'hivers rudes, de jacqueries ouvrières (la "grande Rebeyne" de Lyon) et de guerres paysannes qui, comme en Allemagne, font des dizaines de milliers de morts. Où les scènes macabres emplissent les murs des églises. Où les veilleurs de nuit, munis de leurs clochettes, crient dans les rues : "Réveillez-vous, vous qui dormez, priez pour les trépassés." Où les prêcheurs stigmatisent les vices du clergé, annoncent des catastrophes et réveillent les terreurs antiques.
La critique des abus supposés de l'Eglise romaine, son luxe, son laxisme, sa trahison de l'Evangile, ses "indulgences" ne suffisent plus à expliquer l'expansion de la Réforme en Europe. La vraie raison est que l'Eglise ne répond plus aux besoins de l'homme d'être rassuré spirituellement. Les discours d'un Luther, d'un Calvin se répandent parce qu'ils ont un effet désangoissant : "Dieu sauve gratuitement." Autrement dit, seule la foi, donnée librement et gratuitement par Dieu (sola fide), "justifie" le pécheur (le rend juste). Les bonnes oeuvres ne servent plus à rien, ni le clergé qui cherche à monnayer le salut des âmes. Il n'y a plus à commander de messes pour les morts de peur qu'ils soient damnés, plus de purgatoire, ni de béquilles à prier comme la Vierge et les saints. Tout culte des saints est idolâtre, car Dieu seul doit être adoré. Seule la Bible permet d'accéder à la Vérité. Cette doctrine protestante délivre l'homme de son sentiment de culpabilité devant le péché et lui rend l'espérance, malgré ses faiblesses, d'être sauvé.
S'il y a antériorité catholique, la violence est des deux côtés. Chez les catholiques, des "lignages" intransigeants (les Guise) qui, avec la faculté de théologie et le Parlement de Paris, sont hostiles à tout semblant de reconnaissance des "mal-sentants de la foi" et hérétiques. Toute faveur faite aux huguenots passe pour une trahison. De 1560 à 1572, les "paix" mort-nées concédées par le pouvoir politique, accordant le moindre espace au culte réformé, sont prétexte à d'incroyables provocations, démonstrations de force et faits d'armes meurtriers. Montée en tension rythmée par des curés et moines fanatisés, dont l'histoire retient quelques sinistres noms - Jean de Hans, Pierre Dyvolé, Simon Vigor, curé de Saint-Paul -, qui prêchent une haine quotidienne contre les partisans de la Réforme.
L'imaginaire catholique est saturé de l'angoisse hérétique. L'hérésie, c'est un venin, un poison qui s'infiltre en raison de l'impureté des temps et qu'il faut éliminer sous peine de contagion. Denis Crouzet décrit "un phénomène de fantasme collectif qui va au-devant d'une violence à venir, comme si les hommes avaient vécu les massacres avant même que leur violence n'éclate". Dans ces conditions, tout est signe de Dieu. En 1571, à Lépante, la victoire de la flotte hispano-vénitienne (catholique) sur les Turcs encourage ceux qui prêchent qu'après les infidèles musulmans il faut en finir avec les hérétiques protestants. Nouveaux croisés, les émeutiers de la Saint-Barthélemy portent des croix blanches sur leur chapeau. Peu avant, à Paris, sur l'emplacement de la maison rasée des Gastine - trois huguenots condamnés à mort et exécutés -, une croix a été dressée, puis retirée sur ordre du roi, conformément à l'édit de Saint-Germain, qui interdit tout rappel des troubles passés. L'émotion est considérable.
Qui dira assez, dans ces guerres du XVIe siècle, cette part des signes et de la mémoire qui réveille les instincts primitifs ? Chez les protestants aussi, les morts obligent les vivants. Chaque épisode de répression est le prétexte à célébrer de nouveaux "martyrs", ceux du massacre de Wassy (1562), ceux du siège d'Orléans (1563), du "coup de Jarnac", où est tué le prince de Condé (1569). Des martyrs "qui ne sont pas morts pour rien", selon le discours entendu jusqu'à la guerre d'Irlande. Comme les papistes, les protestants ont leurs extrémistes, leurs lignages (les Condé, les Châtillon), leurs chefs de guerre, comme le baron des Adrets, célèbre pour sa cruauté. Chez eux aussi, il y a escalade : on s'en prend aux statues, aux images pieuses, aux hosties, symboles du désaccord passionnel sur la "présence réelle" du Christ dans le pain et le vin de la messe, avant d'attaquer les "rasés" (les prêtres), de chahuter les offices, les processions, les pèlerinages, de brûler les églises comme lors de la "Michelade" de Nîmes, un massacre de catholiques à la veille de la Saint-Michel, en 1567.
Chaque épisode de guerre est perçu comme le début d'un plan d'extermination que décrit une littérature qui chauffe les esprits. De Genève, l'anti-Rome, Jean Calvin et Théodore de Bèze traitent l'Eglise catholique comme un "cloaque", un "bordel", comme la "nouvelle prostituée de Babylone". Le pape de Rome est "l'Antéchrist". On retrouve ici les mêmes obsessions que dans le camp catholique et les mêmes mots reviennent : "ordure", besoin de "purification", de "lessive générale". Hystérie de chefs radicaux, exaltation de la mémoire des morts et des martyrs, exclusivisme catholique et panique protestante : ce XVIe siècle tragique ouvre un fossé entre les chrétiens qui ne se comblera jamais. C'est la fin de la "chrétienté" unie du Moyen Age qui va faire place aux Etats-confessions et aux Etats-nations, autres visages de l'Europe, autres prétextes à d'insoutenables déchirures.
Merlin essaye de suivre ceux qui s’échappaient par une fenêtre qui donnait sur les toits. Mais ne pouvant les suivre à cause de sa mauvaise vue, il passe trois jours et demi dans un grenier à foin, entre, entre le mur et le tas, couvert de foin qu’il avait entraîné dans sa chute. D’Aubigné raconte qu’il « fut mort de faim, sans une poule qui en ce temps vint lui pondre « trois oeufs dans la main. » Étant sorti de sa cachette, il trouve asile à l’hôtel de Renée de France, au rue Séguier (ancienne rue Pavée). Le jour de la Saint-Barthélemy, plusieurs personnes se réfugièrent « chez la duchesse de Ferrare, rue Pavé. » : Louise de Coligny qui réussit à s'échapper par les toits, la femme du pasteur Merlin, la fille du chancelier Michel de L’Hospital.
La porte, de la chambre de l'amiral cède. Besme, lui, est en tête des meurtriers, se précipite l'épée à la main.
« - N'es-tu pas l'amiral ? »
« - C'est moi jeune homme tu devrais avoir égard à ma vieillesse et à mon infirmité ; mais tu ne feras pourtant pas ma vie plus brève »
Besme lui plonge l'épée dans la poitrine, chacun des assassins s'acharne sur corps encore vivant. Son cadavre tailladé est défenestré, jeté aux pieds d'Henri de Guise qui l'identifie. Alors la populace s'acharne sur le corps mutilé, éventré, émasculé, décapité, traîné dans la boue parisienne par des enfants, jeté au fleuve où il pourrit trois jours. Puis il est repêché et pendu par les cuisses au gibet de Montfaucon (derrière l'actuel l'hôpital Saint-Louis) où la cour et les dames à la mode viennent se rassasier du spectacle… La tête portée au roi, est embaumée et envoyée, semble-t-il au Pape. Plus tard, on tiendra un "procès", à l'issue duquel son corps, représenté par une paillasse dont il ne manquera même pas le bâton figurant son éternel cure-dent, sera à nouveau pendu à la potence, place de Grève, avec deux autres huguenots rescapés des massacres.
La cloche de Saint-Germain-L’auxerrois sonne les matines (5h du matin). C’est le signal du massacre. A une époque où il n'y a pas d'armée permanente le prévôt des marchands est en mesure de lever un régiment de milice dans chacune des douze paroisses de Paris, une compagnie par quartier. Les portes de la ville sont fermées chaque nuit. Quant ou roi, il utilise surtout des mercenaires dans la mesure où il a l'argent pour les payer.
Le Paris émeutier des petits fonctionnaires et commerçants, fanatisés par le clergé, mêlé au Paris des truands se jette, avec voracité, sur tout ce que la capitale compte de réformés ou supposés tels, ces "calvinistes" si étranges dans leur façon de s'habiller et de manger, qui ne vont pas à la messe, ne se décoiffent pas devant les processions catholiques, ne font pas maigre le vendredi, ne dansent pas les jours fériés ou le dimanche, décapitent les statues de la Vierge et lacèrent les tableaux des saints. Ces calvinistes iconoclastes contre lesquels des torrents de haine se sont accumulés pendant les douze années de "troubles". Le calviniste, "c'est l'Autre, le différent, l'étranger", écrit Janine Garrisson, celui dont on fait le bouc émissaire de tous les malheurs des temps.
Au cimetière des Saints-Innocents, ce jour de la Saint-Barthélemy, à midi, un buisson d'aubépine, desséché depuis des mois, se met à reverdir près d'une image de la Vierge. A la rumeur du prodige, les Parisiens en transes accourent, des femmes crient, des malades guérissent. L'aubépine qui refleurit, c'est le signe de la bénédiction divine donnée au carnage qui vient de commencer, à la résurrection en cours de la France monarchique. Dans son ivresse mystique, la Saint-Barthélemy s'ouvre dans une sorte d'hallucination collective du triomphe de Dieu sur la souillure hérétique.
Chaque huguenot est un Coligny qu'il faut châtier - "la messe ou la mort" - pour être en paix avec Dieu. Ne pas choisir la religion du roi, c'est se rebeller contre lui.
Les instigateurs du massacre ont sans doute été dépassés par un mouvement populaire dont ils n'avaient pas prévu l'ampleur. Plus de 3.000 protestants sont assassinés à Paris, la plupart pendant leur sommeil, leur corps étant ensuite jeté sans ménagement dans la Seine.
Le 26 août, le roi se rend devant le parlement et revendique la responsabilité du massacre. Si les nouvelles puissances protestantes, l'Angleterre, l'Allemagne, les Provinces-Unies, sont effrayées, l'Espagne catholique de Philippe II et la papauté triomphent. Messes solennelles, feux de joie, médailles commémoratives : le pape Grégoire XIII ordonne des réjouissances dans toute la ville de Rome. Pour lui, la justice de Dieu a passé. Dès 1569, son prédécesseur Pie V avait écrit à Catherine de Médicis : "Il ne faut épargner d'aucune manière, ni sous aucun prétexte, les ennemis de Dieu. Ce n'est que par la destruction totale des hérétiques que le roi pourra rendre à ce noble royaume le respect dû à la religion catholique."
Si nombre de petites villes choisissent d'ignorer l'exemple venu de Paris pour préserver la paix civile, le trop-plein de violences de la capitale se déverse à Orléans, La Charité-sur-Loire, Meaux, Angers, Saumur, Lyon... Dans la fureur du galop des chevaux, à la lueur des torches, on tue, on pille, on égorge, on transperce, y compris les enfants et les femmes enceintes, comme pour empêcher tout risque de reproduction de l'"hérétique engeance". Denis Richet observe que si les Anglais de la guerre des Deux-Roses coupaient les têtes et les promenaient dans les rues suspendues à des piques, les Français dénudent, émasculent, frappent "aux entrailles et au sexe". L'autre symbolique est celle de l'enfance. Ce sont des petits vauriens qui ont traîné le corps de Coligny dans les ruelles de Paris, mais on en fait des êtres d'innocence et de pureté, vengeant la souillure dont les huguenots menacent la société et qu'ils doivent payer, sur leurs corps mutilés, comme par anticipation des peines infernales. Ces Saint-Barthélemy locales qui ont lieu d’août à septembre 1572, feront au moins 10 000 morts en province.
Le massacre de la Saint-Barthélemy : l'obsession de la souillure hérétique
(Source : LE MONDE du 3 août 2007 par HenriTincq)
Comment en est-on arrivé à ce crime primitif et sacré ?
La thèse du complot huguenot a fait long feu depuis longtemps. Pour les historiens, autour de Jean-Louis Bourgeon, la Saint-Barthélemy est une manœuvre du pouvoir royal, inspirée par l'Espagne de Philippe II, les Guise et la faction catholique hostiles à la paix de Saint-Germain (1570) qui accorde des "places de sûreté" (comme La Rochelle) aux réformés, soit l'ultime mouture de la politique de compromis. Pour Janine Garrisson, c'est un "massacre politique", doublé chez Denis Crouzet d'un "crime d'amour" : en éliminant les chefs de la Réforme, le roi aurait voulu créer les conditions d'un retour à la concorde. Après avoir beaucoup polémiqué, les historiens convergent aujourd'hui dans un constat de violences symboliques puisées, chez les protestants, dans la peur panique d'une extermination collective, chez les catholiques, dans l'obsession de la contamination hérétique.
En effet, ces guerres de religion écrasent un XVIe siècle hallucinant de soif de Dieu et d'angoisse eschatologique. L'imminence de la fin des temps est attestée par les récits de prodiges, les pluies de comètes et de sang, les naissances de monstres, l'omniprésence de sorciers. Aux calamités naturelles s'ajoutent la pression démographique, le fossé entre les classes sociales, l'inflation découverte avec les métaux précieux d'Amérique. On est loin des clichés sur l'Europe heureuse de la Renaissance. C'est un siècle d'hivers rudes, de jacqueries ouvrières (la "grande Rebeyne" de Lyon) et de guerres paysannes qui, comme en Allemagne, font des dizaines de milliers de morts. Où les scènes macabres emplissent les murs des églises. Où les veilleurs de nuit, munis de leurs clochettes, crient dans les rues : "Réveillez-vous, vous qui dormez, priez pour les trépassés." Où les prêcheurs stigmatisent les vices du clergé, annoncent des catastrophes et réveillent les terreurs antiques.
La critique des abus supposés de l'Eglise romaine, son luxe, son laxisme, sa trahison de l'Evangile, ses "indulgences" ne suffisent plus à expliquer l'expansion de la Réforme en Europe. La vraie raison est que l'Eglise ne répond plus aux besoins de l'homme d'être rassuré spirituellement. Les discours d'un Luther, d'un Calvin se répandent parce qu'ils ont un effet désangoissant : "Dieu sauve gratuitement." Autrement dit, seule la foi, donnée librement et gratuitement par Dieu (sola fide), "justifie" le pécheur (le rend juste). Les bonnes oeuvres ne servent plus à rien, ni le clergé qui cherche à monnayer le salut des âmes. Il n'y a plus à commander de messes pour les morts de peur qu'ils soient damnés, plus de purgatoire, ni de béquilles à prier comme la Vierge et les saints. Tout culte des saints est idolâtre, car Dieu seul doit être adoré. Seule la Bible permet d'accéder à la Vérité. Cette doctrine protestante délivre l'homme de son sentiment de culpabilité devant le péché et lui rend l'espérance, malgré ses faiblesses, d'être sauvé.
S'il y a antériorité catholique, la violence est des deux côtés. Chez les catholiques, des "lignages" intransigeants (les Guise) qui, avec la faculté de théologie et le Parlement de Paris, sont hostiles à tout semblant de reconnaissance des "mal-sentants de la foi" et hérétiques. Toute faveur faite aux huguenots passe pour une trahison. De 1560 à 1572, les "paix" mort-nées concédées par le pouvoir politique, accordant le moindre espace au culte réformé, sont prétexte à d'incroyables provocations, démonstrations de force et faits d'armes meurtriers. Montée en tension rythmée par des curés et moines fanatisés, dont l'histoire retient quelques sinistres noms - Jean de Hans, Pierre Dyvolé, Simon Vigor, curé de Saint-Paul -, qui prêchent une haine quotidienne contre les partisans de la Réforme.
L'imaginaire catholique est saturé de l'angoisse hérétique. L'hérésie, c'est un venin, un poison qui s'infiltre en raison de l'impureté des temps et qu'il faut éliminer sous peine de contagion. Denis Crouzet décrit "un phénomène de fantasme collectif qui va au-devant d'une violence à venir, comme si les hommes avaient vécu les massacres avant même que leur violence n'éclate". Dans ces conditions, tout est signe de Dieu. En 1571, à Lépante, la victoire de la flotte hispano-vénitienne (catholique) sur les Turcs encourage ceux qui prêchent qu'après les infidèles musulmans il faut en finir avec les hérétiques protestants. Nouveaux croisés, les émeutiers de la Saint-Barthélemy portent des croix blanches sur leur chapeau. Peu avant, à Paris, sur l'emplacement de la maison rasée des Gastine - trois huguenots condamnés à mort et exécutés -, une croix a été dressée, puis retirée sur ordre du roi, conformément à l'édit de Saint-Germain, qui interdit tout rappel des troubles passés. L'émotion est considérable.
Qui dira assez, dans ces guerres du XVIe siècle, cette part des signes et de la mémoire qui réveille les instincts primitifs ? Chez les protestants aussi, les morts obligent les vivants. Chaque épisode de répression est le prétexte à célébrer de nouveaux "martyrs", ceux du massacre de Wassy (1562), ceux du siège d'Orléans (1563), du "coup de Jarnac", où est tué le prince de Condé (1569). Des martyrs "qui ne sont pas morts pour rien", selon le discours entendu jusqu'à la guerre d'Irlande. Comme les papistes, les protestants ont leurs extrémistes, leurs lignages (les Condé, les Châtillon), leurs chefs de guerre, comme le baron des Adrets, célèbre pour sa cruauté. Chez eux aussi, il y a escalade : on s'en prend aux statues, aux images pieuses, aux hosties, symboles du désaccord passionnel sur la "présence réelle" du Christ dans le pain et le vin de la messe, avant d'attaquer les "rasés" (les prêtres), de chahuter les offices, les processions, les pèlerinages, de brûler les églises comme lors de la "Michelade" de Nîmes, un massacre de catholiques à la veille de la Saint-Michel, en 1567.
Chaque épisode de guerre est perçu comme le début d'un plan d'extermination que décrit une littérature qui chauffe les esprits. De Genève, l'anti-Rome, Jean Calvin et Théodore de Bèze traitent l'Eglise catholique comme un "cloaque", un "bordel", comme la "nouvelle prostituée de Babylone". Le pape de Rome est "l'Antéchrist". On retrouve ici les mêmes obsessions que dans le camp catholique et les mêmes mots reviennent : "ordure", besoin de "purification", de "lessive générale". Hystérie de chefs radicaux, exaltation de la mémoire des morts et des martyrs, exclusivisme catholique et panique protestante : ce XVIe siècle tragique ouvre un fossé entre les chrétiens qui ne se comblera jamais. C'est la fin de la "chrétienté" unie du Moyen Age qui va faire place aux Etats-confessions et aux Etats-nations, autres visages de l'Europe, autres prétextes à d'insoutenables déchirures.
CONSEIL DE LECTURE : l'excellent Charly 9 de Jean Teulé (Auteur)
Éditeur : Pocket (1 mars 2012)
Langue : Français
Poche : 224 pages
ISBN-10 : 2266220152
ISBN-13 : 978-2260018247
Poids de l'article : 100 g
Dimensions : 10.9 x 1 x 17.8 cm
Langue : Français
Poche : 224 pages
ISBN-10 : 2266220152
ISBN-13 : 978-2260018247
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Dimensions : 10.9 x 1 x 17.8 cm