12 septembre 1642 : la décapitation du Marquis de Cinq-Mars tourne à la boucherie

Jusqu’au pied de l’échafaud, le noble compte sur la clémence du Cardinal, son ancien protecteur. L’exécution sera une boucherie.


En présentant le jeune Henri d’Effiat (16 ans), marquis de Cinq-Mars à la Cour en 1636, Richelieu n’a qu’une seule idée en tête : reconquérir le roi, qui s’était entiché de Marie de Hautefort, proche de l’ennemie personnelle du Cardinal, la reine Anne d’Autriche et faire de son protégé l’instrument de son pouvoir sur le monarque. LOUIS XIII LE JUSTE, roi de France et de Navarre (14.5.1610 au 14.5.1643) qui a tant peur des femmes et qui a toujours besoin d'un favori pour le rassurer, s'est pris d'une amitié exclusive et possessive pour le beau jeune homme et en fait l’un des personnages les plus importants du royaume (grand écuyer de France, grand maître de la garde-robe du roi). Inquiet de son influence grandissante, Richelieu intrigue contre lui auprès du roi. Cinq-Mars n’a alors d’autre choix que de se lancer dans ce complot contre celui qui l’avait élevé. Avec son ami François Auguste de Thou, conseiller au Parlement, les deux hommes, sans même avoir à chercher des soutiens, sont vite rejoints par les grands du royaume qui voulaient affaiblir le pouvoir du monarque (notamment, Gaston d’Orléans, le frère du roi, qui a sauvé sa tête en trahissant tous les acteurs de cette conjuration). Accusés de crime de lèse-majesté le marquis et son complice sont condamnés à la décapitation. La mort du marquis de Cinq-Mars signifiera la fin de la vieille noblesse écrasée par le pouvoir et la raison d'État. Les portes de l’absolutisme sont ouvertes.

Lyon, place des Terreaux, 12 septembre 1642

La ville n'ayant pas de bourreau traditionnel, il a fallu recruter un boucher de village qui ne sait pas se servir d'une épée. C'est donc au couperet que les deux amis vont être décapités.

"Après les trois coups de trompette ordinaires, le greffier criminel de Lyon, étant à cheval assez près de l’échafaud, lut l’arrêt de mort que ni l’un ni l’autre n’écoutèrent. M. de Thou dit à M. de Cinq-Mars : — Eh bien ! cher ami, qui mourra le premier ? Vous souvient-il de saint Gervais et de saint Protais ?
— Ce sera celui que vous jugerez à propos, répondit Cinq-Mars.
Le second confesseur, prenant la parole, dit à M. de Thou : — Vous êtes le plus âgé.
— Il est vrai, dit M. de Thou, qui, s’adressant à M. le Grand, lui dit : — Vous êtes le plus généreux, vous voulez bien me montrer le chemin de la gloire du ciel ?
— Hélas ! dit Cinq-Mars, je vous ai ouvert celui du précipice ; mais précipitons-nous dans la mort généreusement, et nous surgirons dans la gloire et le bonheur du ciel." (2)

"Alors qu’il s’apprête à être décapité selon le protocole établi pour les membres de la noblesse, Cinq-Mars balaie la foule du regard une dernière fois, et cherche la silhouette du Cardinal. Les visages semblent fondus dans un curieux brouillard.
Pas un geste, pas un signe ne vient de celui qui est resté dans son carrosse, face à l’échafaud. Le Cardinal est tapi dans l’ombre. Immobile, il attend la mise à mort." (1)

"Le jeune marquis se jette donc de bonne grâce à genoux devant le bloc, embrass[e] le poteau, m[e]t le cou dessus, l[ève] les yeux au ciel, et demand[e] au confesseur : — Mon père, serai-je bien ainsi ? Puis, tandis que l’on coupait ses cheveux, il éleva les yeux au ciel et dit en soupirant : — Mon Dieu, qu’est-ce que ce monde ? mon Dieu, je vous offre mon supplice en satisfaction de mes péchés.
— Qu’attends-tu ? que fais-tu là ? dit-il ensuite à l’exécuteur qui était là, et n’avait pas encore tiré son couperet d’un méchant sac qu’il avait apporté." (2)

"En posant sa tête sur le billot, Cinq-Mars se remémore un principe de Richelieu. Lorsqu’il avait 18 ans, celui-ci lui avait enseigné qu’il valait mieux perdre la vie que l’honneur. Ce souvenir l’apaise." (1)

Un cri effroyable du peuple, jeté de la place, des fenêtres et des tours, avertit que la tête est tombée et qu’elle a roulé jusqu’à terre. Mais l'homme qui procède à l’exécution n’est pas expérimenté. La tête n'est pas détachée complètement du corps et l'officiant doit terminer son lugubre travail en sciant les chairs avec le tranchant de son couperet. Devant cette boucherie, "le peuple pousse un long gémissement, et s’avance contre le bourreau" (2). Son ami de Thou s’élance sur l’échafaud, s’agenouille et baise le sang de Cinq-Mars. Le "bourreau, effrayé sans doute du premier coup qu’il avait porté, le frappe sur le haut de la tête, où le malheureux jeune homme porte la main (…) : ce misérable, tout troublé, lui porte un second coup, qui ne fait encore que l’écorcher et l’abattre sur le théâtre, où l’exécuteur se roule sur lui pour l’achever. » (2)

"Toute la famille de Cinq-Mars [sera] punie pour ce complot : sa mère [est] exilée en Touraine, son frère, privé de ses bénéfices d’abbé, et le château de famille, rasé « à hauteur d’infamie ». Quant au cardinal de Richelieu, il suivit de quatre mois son protégé dans la tombe. Il mourut le 4 décembre 1642." (1)

Le jeune Henri Coëffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars était-il vraiment le plus grand conspirateur du XVIIème siècle ?

Erigé comme exemple du héros romantique par Alfred de Vigny, Charles Gounod a fait de son histoire l’une de ses œuvres phares, sujet de son dixième opéra. Il faut dire que, parallèlement à cette « sanctification romantique », une autre mode parcourait la période : celle du dénigrement du cardinal de Richelieu, promu, lui, grand méchant loup. Ceux qui n’auront pas lu Cinq-Mars pourront toujours se souvenir des Trois mousquetaires de Dumas père ; ou de ce qu’écrit Victor Hugo dans Marion Delorme. Résultat : si Cinq-Mars est moins présent que d’Artagnan dans l’imaginaire collectif, le cardinal de Richelieu, lui, y a gagné une réputation noire très tenace.

Philippe Erlanger, historien scrupuleux et lucide, apporte une fois encore un démenti à cette définition en se plaçant à la fois au-dessus des événements qu'il évoque et dans leurs profondeurs mystérieuses. Racontant la conspiration de Cinq-Mars, il a non seulement – et pour la première fois – démonté les rouages d'une des entreprises les plus étonnantes de l'Histoire, mais il a montré comment l'avenir de la France aurait pu en être changé, puis de quelles circonstances extraordinaires a dépendu un tel renversement. En même temps, il a sondé les esprits et les cœurs, et a tracé des peintures magistrales des trois protagonistes du drame : Cinq-Mars, bel "enfant perdu", devenu à son corps défendant l'instrument de la fatalité ; Richelieu, au bord de la tombe, ne reculant devant rien pour sauver son œuvre ; Louis XIII, enfin, grand souverain méconnu, déchiré entre ses passions et son devoir, vrai stoïcien de la monarchie dont l'auteur retrace l'image, hallucinante comme un tableau du Greco.

Cette étude fondée sur des documents incontestables ramène le lecteur à une époque où, dans des convulsions toujours renaissantes, les Français troublés s'interrogeaient sur le destin de leur pays. Elle apportera aussi des sujets de méditation à leurs descendants du XXe siècle.

(1) http://www.leparisien.fr/week-end/histoire-un-12-septembre-fatal-au-marquis-de-cinq-mars-05-09-2018-7869132.php
(2) Alfred de Vigny, « Cinq-Mars », Folio Classique. Alfred de Vigny consacrant à Cinq-Mars un livre plein de beautés, mais relevant surtout de l'imagination, disait : " L'historien dominera le siècle qu'il veut peindre, le romancier se transportera au cœur même de ce siècle.


Cinq Mars

de Philippe Erlanger (Auteur)

Éditeur ‏ : ‎ Perrin; Perrin édition (30 octobre 1997)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 318 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2262013691
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2262013691
Poids de l'article ‏ : ‎ 400 g
Dimensions ‏ : ‎ 13.7 x 2.8 x 20.7 cm