21 septembre 1822 : La guillotine pour les « Quatre Sergents de La Rochelle »

Dès 1821, sous la Restauration, le 45e régiment d’infanterie en garnison à Paris inquiète les autorités militaires et civiles à cause de son mauvais esprit. En particulier, les soldats refusent de crier « Vive le Roi ». Aussi, afin de couper le régiment des mauvaises influences politiques (la caserne se situe en plein Quartier Latin de Paris où les étudiants entretiennent la contestation), il est transféré à La Rochelle en janvier 1822.


Comme nombre de militaires hostiles à la Restauration monarchique imposée par l’ennemi vainqueur, quatre jeunes sergents (Bories, Pommier, Raoulx et Goubin, âgés respectivement de 26, 25, 24 et 20 ans) ont fondé dans leur unité une division de la Charbonnerie, société secrète importée d’Italie et visant à renverser la monarchie restaurée. À La Rochelle comme dans la capitale, les conspirateurs entendent bien poursuivre leur action clandestine. Mais quelque peu imprudents par leurs propos, les quatre compagnons sont dénoncés.

Ils sont traduits en justice avec une vingtaine de complices, mais comme ils en ont fait solennellement serment lors de leur adhésion les principaux accusés refusent de dénoncer leurs chefs, malgré pressions et promesses de grâce.

Après un procès jugé d’avance, les quatre sous-officiers sont condamnés à mort et guillotinés publiquement en place de Grève le 21 septembre 1822. Accusés sans preuve et n’ayant participé à aucune rébellion, ils sont considérés par l’opinion publique comme des martyrs de la liberté. La jeunesse romantique exalta le sacrifice des jeunes héros et l’opposition (républicaine, bonapartiste et orléaniste) exploita cette affaire contre le gouvernement de la Restauration.

La Charbonnerie

in « Dieu dispose » Chap. XV, roman d’Alexandre Dumas (1850)

« Au moment où se passe cette histoire, la Charbonnerie était loin du degré de puissance et d'ardeur qu'elle avait atteint dans les derniers temps de la Restauration.
Née au moment où l'invasion de la France, où la coalition étrangère et la popularité de l'empereur, accrue par le martyre de Sainte-Hélène, donnaient une prodigieuse activité aux idées d'opposition contre les Bourbons, la Charbonnerie s'était propagée avec une immense rapidité d'un bout du pays à l'autre.
De la vente suprême, présidée par le général Lafayette et installée à Paris, la volonté commune rayonnait dans un nombre infini de ventes particulières formées de ville en ville.
Ce qui faisait la force et la sécurité de cette vaste association, c'est que, tout en agissant en commun sous l'inspiration de la haute vente, les ventes spéciales s'ignoraient réciproquement et n'avaient aucun rapport entre elles.
Il était interdit, sous peine de mort, à tout Charbonnier appartenant à une vente de s'introduire dans une autre. De cette manière, la police pouvait découvrir une, deux, quatre, dix ventes, sans découvrir l'ensemble de l'organisation. Et l'on était en sûreté tant que le secret restait sur la vente suprême.
Pourtant, pour faciliter les communications, on forma des ventes centrales. Chaque vente particulière élisait un député. Vingt députés formaient une vente centrale, laquelle à son tour nommait un député pour correspondre avec la haute vente.
Les réceptions des Charbonniers n'avaient rien de l'appareil fantastique que leur a prêté l'exagération de l'esprit de parti. Les masques et les poignards sont ici une pure invention. Les admissions, au contraire, se faisaient avec la plus grande simplicité, sur la présentation d'un ou plusieurs membres, dans le premier local venu, sans aucune espèce de solennité.
Le récipiendaire jurait seulement de garder le silence sur l'existence de la société et de ses actes, de n'en conserver aucune trace écrite, de ne garder aucune note ni aucune liste, de ne copier même aucun article du règlement, et l'on s'en rapportait à son honneur, garanti par celui de l'affilié qui l'avait présenté et par la peine terrible qui eût suivi la violation de ce serment.
Il serait curieux de rechercher aujourd'hui les noms des Carbonari. La liste comprendrait une grande partie des hommes qui ont occupé pendant les dernières années des positions importantes dans la politique et dans l'administration.
Voici la composition d'une seule vente prise au hasard pour donner une idée du personnel. Il y avait une vente dont le député était M. de Courcelles fils, aujourd'hui représentant du peuple, et qui comptait parmi ses membres MM. Augustin Thierry, l'historien de la Conquête de l'Angleterre par les Normands ; Jouffroy, depuis professeur de philosophie, député et membre de l'Institut ; Ary et Henri Scheffer, les deux peintres ; le colonel d'un des régiments de ligne composant la garnison de Paris ; Pierre Leroux, etc.
Les membres non militaires, obéissant à une mesure prescrite à toute la Charbonnerie, s'exerçaient au maniement du fusil. M. de Courcelles fils était l'instructeur de M. Augustin Thierry.
Ce ne serait pas une chose sans intérêt de chercher ce que sont devenus, depuis, la plupart de ces conspirateurs, et combien de démentis ont été donnés à ces commencements ultra-libéraux. Beaucoup de ces ardents ennemis de la royauté sont aujourd'hui de fougueux réactionnaires, et n'ont conquis l'influence et les places que pour dépasser en absolutisme et en excès de toutes sortes ceux qu'ils ont dépossédés.
Voici quelques-uns des noms des avocats qui ont plaidé pour les sergents de La Rochelle : Boulay (de la Meurthe), Plougoulm, Delangle, Voinvilliers, Barthe, Mérilhou, Chaix-d'Est-Ange, Mocquart, etc.
Parmi ceux qui travaillèrent, malheureusement sans succès, à l'évasion des quatre sergents, il y avait Ary Scheffer et Horace Vernet.
L'exécution des quatre sergents de La Rochelle fut le plus touchant et le plus triste épisode de la Charbonnerie. Cette quadruple mort restera comme une tache de sang à la face de la Restauration. Bories et ses camarades faisaient partie d'une société secrète dirigée contre le gouvernement, c'est vrai ; mais l'hostilité ne s'était nulle part traduite en actes ; il n'y avait pas eu commencement d'exécution ; aucun fait de révolte ou de résistance, pas même d'indiscipline, ne pouvait leur être reproché. Leur mort fut donc une violence sans excuse et sans motif.
Disons-le à l'honneur du progrès et de la République, un procès analogue a été jugé par la cour d'assies, le 28 mars 1850, et n'a entraîné qu'une punition insignifiante. Il s'agissait d'une société politique secrète constituée sous le nom de Légion de Saint-Hubert, organisée en bataillons et en compagnies, ayant ses chefs, ses officiers, ainsi que son signe de ralliement, et dont les membres prêtaient un serment ainsi conçu : « Nous jurons devant Dieu de mettre notre vie à la disposition d'Henri de Bourbon, notre roi légitime, et de la sacrifier plutôt que de trahir notre serment. » Les accusés avaient été arrêtés au milieu même d'une de leurs séances. Conspirer pour la monarchie en République, cela vaut bien conspirer pour la République en monarchie. Eh bien ! la République a été plus clémente que la royauté. L'échafaud ne s'est pas relevé pour cette conspiration : la peine la plus forte a été un mois de prison.
Le procès de Saumur suivit de près celui de La Rochelle, et, dans toute la fin de 1822, les supplices ne discontinuèrent pas.
Tous ces échafauds amassèrent des ressentiments et semèrent des rancunes profondes, qui devaient éclore et éclater en 1830. Mais, en attendant, les timides furent effrayés ; la Charbonnerie perdit une partie de son prestige, qui avait consisté dans la puissance mystérieuse et irrésistible qu'on lui prêtait. Les masses affiliées croyaient jusque-là suivre des influences hautes et souveraines auxquelles le gouvernement n'oserait jamais toucher, et devant lesquelles la justice reculerait. Quand on vit que les tribunaux condamnaient tout ce qui leur tombait sous la main, la panique se mit dans les rangs, et ce fut une débandade presque complète.
L'anarchie s'en mêla. Deux partis se formèrent : l'un, dont étaient Lafayette et Dupont (de l'Eure), voulait la république ; l'autre, patronné par Manuel, voulait qu'on réservât à la nation le choix du gouvernement. Les divisions s'aigrirent ; on en fut bientôt aux accusations réciproques, et la Charbonnerie, qui avait commencé par le dévouement, s'acheva en intrigues.
Avec la Charbonnerie finit l'ère des conspirations. Il faut en convenir, tout en pleurant et en glorifiant les martyrs qui ont combattu de cette façon pour la cause de la liberté et de l'avenir, les conspirations sont un anachronisme dans un temps de représentation nationale et de liberté de la presse. à quoi bon se cacher dans une cave ou s'enfermer dans une chambre pour se dire tout bas qu'on déteste le gouvernement, quand on peut le dire tout haut dans les journaux et à la tribune ? Ce sont des précautions perdues, et, ce qui est plus triste, du sang perdu.
Combien y a-t-il eu de conspirations sous le Consulat, sous l'Empire, sous Louis XVIII ? Laquelle a réussi ?
La vraie conspiration, c'est l'entente, en plein soleil, de toutes les idées, de tous les instincts, de tous les besoins, c'est la sainte croisade de la civilisation contre les ténèbres, du passé contre l'avenir : c'est le suffrage universel.
Et cette conspiration-là ne craint pas d'être découverte, car elle se montre ; et elle ne craint pas d'être vaincue, car en tête de sa liste elle écrit le nom du peuple tout entier.
Cependant, en 1829, l'approche d'événements qu'on sentait déjà vaguement gronder à l'horizon rendait quelque mouvement et quelque animation à la Charbonnerie française. »

La Charbonnerie française 1821-1823 : Du secret en politique

de Pierre-Arnaud Lambert (Auteur)

Éditeur ‏ : ‎ Presses universitaire de Lyon (31 janvier 1995)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 136 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2729704876
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2729704872
Poids de l'article ‏ : ‎ 240 g
Dimensions ‏ : ‎ 15.6 x 0.8 x 23.9 cm
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