4 septembre 1797 : Coup d'État du 18 fructidor an V


À l’aube du 4 septembre 1797, un simple coup de canon retentit dans les rues désertes de Paris. Trente‑six heures plus tard, sous la pression de dix‑huit mille hommes de troupes dans la région et des preuves accablantes d’un complot anglo‑royaliste placardées sur les murs de la capitale, la législature proscrivit deux directeurs, cinquante‑trois députés, deux généraux, trois conspirateurs royalistes déjà condamnés et un groupe disparate de cinq suspects. Cependant, pour éviter que de nombreuses décapitations ne souillent la place de la Concorde, récemment rebaptisée, on ordonna la déportation des proscrits. Dix‑sept d’entre eux furent arrêtés et déportés en Guyane, dont huit y moururent, donnant lieu au sobriquet de la « guillotine sèche ». La législature avait également annulé les élections du printemps 1797 dans la moitié des départements français, mesure qui entraîna la destitution de cent vingt‑deux députés de plus, ainsi que celle de plusieurs centaines d’administrateurs départementaux, de juges et d’accusateurs publics.

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Le coup d’État du 18 fructidor an V apporta une riposte vigoureuse à ce qui fut une véritable conspiration royaliste aux ramifications internationales. Cependant, l’ensemble des mesures qu’il entraîna dans sa suite dépassait de loin ce qu’il fallait pour contrecarrer un complot. La soi‑disant « terreur directoriale » déclenchée par le coup d’État, ranima la persécution des prêtres réfractaires et des émigrés au nom de la défense de l’ordre républicain. À l’annulation des élections et à la proscription des députés, s’ajoutèrent les articles de la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797) qui imposèrent à l’ensemble des électeurs, des fonctionnaires et du clergé un serment de haine à la royauté et à l’anarchie, remirent en vigueur les lois tout récemment révoquées de 1792 et 1793 contre les prêtres réfractaires, conférèrent au Directoire le pouvoir d’ordonner des déportations individuelles d’agitateurs ecclésiastiques, interdirent une nouvelle fois aux parents d’émigrés d’exercer des fonctions publiques, et s’efforcèrent de purger la République des émigrés rentrés en France. Les émigrés en détention au moment du coup d’État devaient être déportés; ceux qui tentaient de rester en France ou qui reviendraient plus tard seraient condamnés à mort. Afin de mener à bien cette tâche, la législation rétablit les commissions militaires créées en 1792 dont le seul objet était de décider si le particulier comparu devant elles correspondait bien au nom inscrit sur la liste officielle d’émigrés. Dans ce cas, l’accusé devait être exécuté dans les vingt‑quatre heures. En cas de désaccord, les autorités civiles devaient trancher. Ces mesures, selon Jean-Pierre Gallois, rouvrirent « l’effroyable boucherie d’hommes que la mort de Robespierre sembloit avoir irrévocablement fermée ». C’est ainsi que les commissions militaires fructidoriennes devinrent l’instrument définitif de la « terreur directoriale ». (1)

Repenser le pouvoir après la Terreur Justice, répression et réparation dans la France thermidorienne

Ce travail sur la Révolution française consiste à problématiser l’histoire du tournant du 9 thermidor et de centrer les recherches sur l’histoire parlementaire de cette période qui succède à la Terreur. L’étude des promesses et des réalisations de la justice pénale mise en place à partir de thermidor, dans le domaine de la répression politique en particulier, s’étend chronologiquement du coup d’Etat parlementaire contre Robespierre, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), au coup d’Etat militaire du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Ces trois années constituent un ensemble assez homogène du point de vue de la conception de la loi. La sortie de la Terreur interroge, par essence, la question de la sortie de la Révolution. Le 9 thermidor, en effet, est un coup d’Etat de nature parlementaire qui est l’occasion de rationaliser le parlementarisme et de restaurer l’autorité de l’Etat, ce que les Thermidoriens entreprennent en redorant le blason de la loi. A mi-chemin entre l’histoire et l’histoire du droit, ce travail se propose de penser la redéfinition du concept de légalité et d’analyser la difficulté que représente, pour le législateur de l’an III, de finir la Révolution par le droit, par la Constitution, « par la porte libérale » (Pierre Rosanvallon). Pour ce faire, la recherche se concentre sur la refondation de la justice politique dont les contours indiquent clairement la volonté des Conventionnels de renouer avec une violence légale moindre et les pratiques ordinaires de justice pénale. Après thermidor, ne pouvant s’ôter des mains l’arme judiciaire, que représente le Tribunal révolutionnaire, son institution est maintenue, bien que ses règles soient changées et sa marche assouplie. La justice est toujours révolutionnaire mais ce n’est pas la même révolution. On met en place une « justice transitoire » qui est la recherche d’un équilibre entre la nécessaire violence répressive et le respect de la liberté individuelle. L’appel à la justice militaire comme instrument de répression politique, que ce soit après l’insurrection de prairial an III et vendémiaire an IV, témoigne de ce tournant politique et judiciaire qui assure l’ordre légal tout en recourant à des lois d’exception.

Le véritable renforcement des droits de la défense après Thermidor – que ce soit devant le Tribunal révolutionnaire réformé ou devant des conseils militaires créés ad hoc – montre que la République se libéralise globalement. Or, cette recrudescence des libertés déstabilise le gouvernement alors que l’Etat est en quête de stabilité. Ce paradoxe complique la sortie de la Révolution. Le dilemme des Thermidoriens est de parvenir à donner une stabilité au gouvernement de la Révolution tout en demeurant fidèle aux principes énoncés par la Révolution en 1789. Cet équilibre à trouver entre la stabilité du pouvoir et la fidélité aux principes, sur lesquels est fondé et repose le pouvoir, est délicat. Cependant, il y a indéniablement un point aveugle à renouer avec l’idéal de 1789 alors que la situation de la France n’est pas identique à celle du début de la Révolution : en effet, sous la République thermidorienne, le pays est miné par une guerre civile, ce qui n’était pas le cas en 1789. Ce paradoxe thermidorien complique à la fois la renaissance des pratiques ordinaires et la gestion d’une crise extraordinaire. La justice pénale thermidorienne est donc assise sur une contradiction qui oblige les dirigeants à mêler droits ordinaires et lois d’exception. La nature de ce régime transitoire est mixte. Droit et histoire parlementaires se rejoignent ici pour saisir les réformes législatives et crises parlementaires majeures de cette période de la Révolution (peu étudiée comparativement aux autres) alors que Thermidor constitue, comme le pensait François Furet, le socle sur lequel a germé le parlementarisme français. Les événements que constituent les insurrections populaires dirigées contre la Convention, le 1er prairial et le 13 vendémiaire, font l’objet de développements tendant à illustrer la violence des rapports entre le peuple et ses représentants, de même que la violation des fondements de la démocratie représentative, comme en atteste l’assassinat du député Féraud au printemps 1795. On s’aperçoit qu’à chaque fois que la représentation nationale a été outragée, elle a su surmonter la crise et légitimer l’autorité de la loi. A l’inverse, le coup d’Etat militaire et antiparlementaire du 18 fructidor an V, qui a pour conséquence la condamnation à la déportation, sans jugement, de plusieurs dizaines de représentants du peuple et de journalistes – dont un grand nombre de royalistes – rompt avec l’esprit légaliste du régime et constitue une rupture avec le projet politique et constitutionnel des Thermidoriens. (2)

Mythes et massacres : reconsidérer la « terreur directoriale »

« Que pourroit faire de plus que les cinq directeurs, le tyran le plus farouche et le plus sanguinaire ?Robespierre régnoit par la terreur. Ils ont régné par la terreur.
Robespierre mutiloit la convention, ils ont mutilé le corps législatif;
Robespierre avoit créé des tribunaux révolutionnaires, ils ont créé des commissions militaires.
Robespierre faisoit guillotiner les émigrés. Ceux‑ci les font fusiller.
Ainsi s’est r’ouverte sans obstacle et sous une autre forme, l’effroyable boucherie d’hommes que la mort de Robespierre sembloit avoir irrévocablement fermée. »

Jean‑Pierre Gallois, Dix‑huit fructidor; ses causes et ses effets - Hambourg, 1799, pp.151-152.

Un examen de la terreur directoriale doit commencer par l’étude de ses origines en amont du coup d’État du 18 fructidor. Le républicanisme du Second Directoire ne peut être compris qu’en le considérant comme un ensemble de pratiques discursives et de réflexes conditionnés. Ce genre de politique s’est forgé aux moments forts de la jeune République, entre 1792 et 1795, sur un fond de violence, de répression et de guerre à outrance. Ainsi, cette forme de républicanisme fut à la fois solide et peu flexible, le produit d’une praxis révolutionnaire. Au cours de l’année suivant la chute de Robespierre, des républicains de toutes sortes avaient à confronter les problèmes fondamentaux liés à leur expérience révolutionnaire. Dans un premier temps, il leur fallait trouver un moyen de sortir de la Terreur, ensuite de sortir de la Révolution elle‑même. Forts de leurs épreuves, les conventionnels thermidoriens avaient répudié la démocratie radicale de l’an II. À l’automne 1795, ils avaient restreint le pouvoir aux mains des propriétaires, mis un barrage constitutionnel entre le pouvoir politique et la liberté individuelle et imposé une application impartiale de la loi comme une des notions clés de la sécurité personnelle. On ne peut nier la volonté exprimée par ces hommes de tourner la page, de rétablir un ordre politique et une société civile pacifiés, réconciliés sous le règne de la loi. Mais il est vrai aussi que la république constitutionnelle s’était compromise dès sa naissance. La loi des Deux‑tiers votée par la Convention finissante restreignait le choix de l’électorat déjà en 1795, l’amnistie des crimes politiques ne s’appliquait pas aux insurgés des 13‑14 vendémiaire an IV (15‑16 octobre 1795), les parents d’émigrés étaient déclarés inaptes à remplir des fonctions publiques et la Constitution de l’an III interdisait formellement toute nouvelle loi permettant le retour des émigrés. Ce renouvellement des persécutions contre les prêtres et les émigrés risquait de miner la légitimité démocratique et républicaine d’un régime reposant sur les fondements constitutionnels de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif et sur les bases morales d’une Déclaration des droits de l’homme.


Pendant les deux premières années du Directoire, le débat politique fit apparaître souvent des tensions inhérentes au libéralisme démocratique – bien que les arguments pour la défense de la Constitution, de la liberté de la presse, de la citoyenneté et du droit de vote, fussent souvent motivés autant par des considérations de lutte entre les factions que par des considérations de principe. Le débat politique s’articulait aussi autour de discours concurrentiels d’une constitutionnalité rigide et d’un régime révolutionnaire d’exception. Le sujet le plus controversé du débat était la loi du 3 brumaire an IV (22 octobre 1795) qui remit en vigueur les lois anticléricales de 1792‑1793 et qui excluait les proches parents d’émigrés des fonctions publiques. Naturellement, les conservateurs voyaient dans les prêtres réfractaires et les parents d’émigrés des alliés potentiels et firent usage du langage de la liberté afin de discréditer la politique d’exclusion. À la défense de cette législation, les républicains ardents la qualifiaient de rempart essentiel contre une restauration de la monarchie et en fait ils réussirent à la préserver presque intégralement jusqu’au triomphe de la droite aux élections du printemps 1797.C’est alors que, dans l’espace de trois mois, les législateurs permirent aux prêtres réfractaires et aux parents d’émigrés revenus d’exil de rejoindre le corps politique, tentant ainsi un retour au libéralisme politique du début de la Révolution. On vit soudain une foule de prêtres réfractaires et d’émigrés rentrer en France, ou surgir des cabanes forestières et des fermes isolées où ils s’étaient réfugiés. On put constater la cessation de la vente des biens nationaux et l’augmentation notable du crime et des désordres. Le pays subit de nombreux incidents de violence politique, tels l’assassinat près de Bordeaux de Groussac, maire de Toulouse en l’an II, le siège et le massacre des membres du présumé Cercle constitutionnel de Clermont‑Ferrand et l’escalade des heurts entre les « ganses blanches » et les « ganses jaunes » dans les environs de Castres. Dans chacun des cas, les magistrats locaux se montrèrent peu disposés à engager des poursuites. À Paris, on croyait assister à l’enfoncement de l’autorité républicaine dans le bourbier de l’attentisme.

Les événements de l’été de 1797 avaient servi à confirmer les pires craintes des républicains à l’égard des origines et de l’ardeur du sentiment antirépublicain. À l’époque, on justifiait le coup d’État de fructidor par la nécessité de contrecarrer un complot royaliste, mais son but réel était de rétablir l’autorité du gouvernement. C’est l’effondrement général de l’ordre public pendant l’été de 1797, ainsi que la perception qu’avaient les républicains de leur expérience révolutionnaire qui déterminèrent le cours des actions entreprises. Car la plupart des républicains directoriaux n’adhéraient pas à la thèse de Benjamin Constant selon laquelle la République avait été sauvegardée malgré la Terreur et qu’il suffisait de persuader les modérés que tout soutien apporté aux réactionnaires ne ferait qu’encourager davantage l’instabilité. À l’encontre de cette proposition lénifiante et rassembleuse, les républicains engagés ne cessaient d’insister, dans leurs discours, sur les menaces multiples, graves et répétées qui pesaient sur la Révolution et auxquelles il fallait répondre par une vigilance constante et une vigueur agressive. Ils restaient trop conditionnés par leur passé révolutionnaire pour renoncer totalement aux réflexes autoritaires face aux menaces qui pesaient sur la jeune et fragile république.

En dépit de ces raisons invoquées pour un retour à des mesures exceptionnelles, l’inquiétude produite par les entorses données à la légitimité constitutionnelle par la loi du 19 fructidor an V força le gouvernement à en modifier ses applications. L’atténuation de la loi la rendit moins idéologique au prix d’une revalorisation de ses aspects autoritaires et dictatoriaux. Au commencement, les commissions militaires étaient des instruments de terreur rudimentaires et leurs victimes comprenaient inévitablement de pauvres individus qui n’avaient rien fait de pire que de passer outre aux lois d’émigration. La survie de la République dépendait‑elle vraiment du passage de trois veuves devant les pelotons d’exécution à Toulon et à Marseille ? Quel degré d’insécurité fallait‑il pour fusiller un cultivateur âgé de 68 ans à Douai, un autre âgé de 71 ans à Avignon, un prêtre âgé de 76 ans à Marseille et pour déporter un garçon de Mézières de 14 ans ? Même si en fait ces cas restent exceptionnels, le Directoire s’embarrassa de l’arbitraire des commissions et d’injustices grossières. Il n’était pas disposé à en accepter ces excès.

Afin de diminuer de telles cruautés inutiles, aussi bien que de concentrer les commissions sur les véritables ennemis de la République, le Directoire désigna des catégories d’exemptions. Cela réduisit considérablement le nombre d’émigrés susceptibles de passer devant les commissions militaires. (2)

 
(1) Howard G. Brown, « Mythes et massacres : reconsidérer la « terreur directoriale » », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 325 | juillet-septembre 2001, mis en ligne le 10 avril 2006, consulté le 04 septembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/ahrf/434 ; DOI : 10.4000/ahrf.434. Howard G. Brown Department of History, State University of New York at Binghamton P.O Box 6000, Binghamton, NY 13902-6000, États-Unis.

(2)Loris Chavanette , http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/prixe-these-2013-resume.pdf (Résumé de la thèse de doctorat).
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