9 septembre 1627 : Richelieu veut « couper la tête du dragon » (le siège de La Rochelle)
Le siège de La Rochelle s’intègre dans la lutte menée par Louis XIII et Richelieu contre les protestants, dans le désir de les soumettre à l’autorité royale et de les empêcher de constituer un « État dans l’État ». Cette politique conduit à une véritable guerre en 1627 et à l’investissement de La Rochelle. Le port constitue l’une des places de sûreté accordées par l’édit de Nantes et permet au parti protestant de communiquer avec les Anglais.
Le siège de La Rochelle s’intègre dans la lutte menée par Louis XIII et Richelieu contre les protestants, dans le désir de les soumettre à l’autorité royale et de les empêcher de constituer un « État dans l’État ». Cette politique conduit à une véritable guerre en 1627 et à l’investissement de La Rochelle. Le port constitue l’une des places de sûreté accordées par l’édit de Nantes et permet au parti protestant de communiquer avec les Anglais.
LIRE EGALEMENT DE 1598 À 1661 : TEMPS DES COMPROMIS ET DE LA PUISSANCE (grandeschroniquesdefrance.blogspot.com)
A la fois dernier événement des guerres de religion entre catholiques et protestants ; ultime tentative séparatiste d’une ville-état contre le pouvoir royal et fronde avant l’heure ; nouvelle confrontation franco-anglaise ; guerre totale sur terre et sur mer… voilà tout ce que représente le siège de La Rochelle, en 1627.
Après un demi-siècle de guerres de religion, par l’Edit de Nantes, Henri IV avait su ramener la paix dans le royaume de France. Les protestants obtiennent des droits de culte, des droits civils et des droits politiques dans certaines parties du royaume. Il leur est également concédé un certain nombre de lieux de refuge (dont environ 60 places de sûreté) et une indemnité annuelle à verser par les finances royales. Mais l’édit de 1598 a aussi comme effet de transformer les cités protestantes en un « État dans l’État ». Dans un contexte de tension entre la France et l'Angleterre, cette dernière encourageant la sédition des réformés, la ville de La Rochelle entend préserver ses libertés, notamment celle d’entretenir directement des relations avec des puissances étrangères, en particulier l’Angleterre. Par ailleurs, le climat religieux de l'époque est à l’heure d’une contre-offensive du catholicisme. C’est la contre-réforme : Louis XIII est profondément catholique depuis toujours, contrairement à son père Henri IV. La menace vis-à-vis du pouvoir royal est bien réelle, et Richelieu entend bien la réduire à néant. Soutenue et approvisionnée par les Anglais, La Rochelle est une cité riche de 22.000 habitants dont près de 18.000 protestants. Haut lieu de la religion, le port de La Rochelle est la dernière place de sûreté des huguenots. Richelieu craint que cette place forte devienne une sorte de bastion, une tête de pont anglaise en terre française. Sa décision est donc prise : « il faut couper la tête du dragon », il faut prendre sans tarder La Rochelle.
Avec 110 vaisseaux et 8.000 hommes, Buckingham débarque sur l'île de Ré le 12 juillet 1627. Informé, Richelieu réagit immédiatement. Il débute le siège de la ville. L’armée royale déploie quant à elle ses 20.000 hommes autour de la ville, coupant toutes les voies de communication terrestres. Le ravitaillement ne peut plus venir que de la mer. Le commerce est alors bloqué. Richelieu décide de soumettre définitivement la ville et fait édifier une digue de 1 500 mètres qui bloque toute communication de la ville avec la mer.
Nous sommes le 9 septembre 1627 à la veille des combats. Le 10 septembre le premier coup de canon est tiré. Le siège prend alors une tournure dramatique. Les vivres commencent à s’épuiser, et les navires anglais venus en soutien sont contraints de rebrousser chemin. La décision est alors prise, de faire sortir de la ville les « bouches inutiles » : femmes, enfants et vieillards. Tenus à distance par les troupes royales, qui n’hésitent pas à faire feu sur eux, ils errent pendant des jours sans ressources et décèdent de privation. Deux autres expéditions anglaises échouent, malgré des tirs nourris. Les Rochelais sont contraints de manger chevaux, chiens, chats… Lorsque la ville finit par se rendre, le 28 octobre 1628, il ne reste que 5.400 survivants sur les 28.000 habitants. Louis XIII leur accorde son pardon. Ils doivent néanmoins fournir un certificat de baptême, et les murailles sont rasées. La capitulation est inconditionnelle. Par les termes de la paix d'Alès du 28 juin 1629, les huguenots perdront leurs droits politiques, militaires et territoriaux, mais conserveront la liberté de culte.
Après un demi-siècle de guerres de religion, par l’Edit de Nantes, Henri IV avait su ramener la paix dans le royaume de France. Les protestants obtiennent des droits de culte, des droits civils et des droits politiques dans certaines parties du royaume. Il leur est également concédé un certain nombre de lieux de refuge (dont environ 60 places de sûreté) et une indemnité annuelle à verser par les finances royales. Mais l’édit de 1598 a aussi comme effet de transformer les cités protestantes en un « État dans l’État ». Dans un contexte de tension entre la France et l'Angleterre, cette dernière encourageant la sédition des réformés, la ville de La Rochelle entend préserver ses libertés, notamment celle d’entretenir directement des relations avec des puissances étrangères, en particulier l’Angleterre. Par ailleurs, le climat religieux de l'époque est à l’heure d’une contre-offensive du catholicisme. C’est la contre-réforme : Louis XIII est profondément catholique depuis toujours, contrairement à son père Henri IV. La menace vis-à-vis du pouvoir royal est bien réelle, et Richelieu entend bien la réduire à néant. Soutenue et approvisionnée par les Anglais, La Rochelle est une cité riche de 22.000 habitants dont près de 18.000 protestants. Haut lieu de la religion, le port de La Rochelle est la dernière place de sûreté des huguenots. Richelieu craint que cette place forte devienne une sorte de bastion, une tête de pont anglaise en terre française. Sa décision est donc prise : « il faut couper la tête du dragon », il faut prendre sans tarder La Rochelle.
Avec 110 vaisseaux et 8.000 hommes, Buckingham débarque sur l'île de Ré le 12 juillet 1627. Informé, Richelieu réagit immédiatement. Il débute le siège de la ville. L’armée royale déploie quant à elle ses 20.000 hommes autour de la ville, coupant toutes les voies de communication terrestres. Le ravitaillement ne peut plus venir que de la mer. Le commerce est alors bloqué. Richelieu décide de soumettre définitivement la ville et fait édifier une digue de 1 500 mètres qui bloque toute communication de la ville avec la mer.
Nous sommes le 9 septembre 1627 à la veille des combats. Le 10 septembre le premier coup de canon est tiré. Le siège prend alors une tournure dramatique. Les vivres commencent à s’épuiser, et les navires anglais venus en soutien sont contraints de rebrousser chemin. La décision est alors prise, de faire sortir de la ville les « bouches inutiles » : femmes, enfants et vieillards. Tenus à distance par les troupes royales, qui n’hésitent pas à faire feu sur eux, ils errent pendant des jours sans ressources et décèdent de privation. Deux autres expéditions anglaises échouent, malgré des tirs nourris. Les Rochelais sont contraints de manger chevaux, chiens, chats… Lorsque la ville finit par se rendre, le 28 octobre 1628, il ne reste que 5.400 survivants sur les 28.000 habitants. Louis XIII leur accorde son pardon. Ils doivent néanmoins fournir un certificat de baptême, et les murailles sont rasées. La capitulation est inconditionnelle. Par les termes de la paix d'Alès du 28 juin 1629, les huguenots perdront leurs droits politiques, militaires et territoriaux, mais conserveront la liberté de culte.
LIRE EGALEMENT : Pourquoi y a-t-il eu un siège à La Rochelle ? (futura-sciences.com)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65646916/f1.image
« (...) à tous ces maux le vrai et premier remède étoit de prendre La Rochelle promptement ;
Il étoit vrai que si le Roi ne prenoit La Rochelle cette fois-ci, il ne la prendroit jamais, et les Rochelois et les huguenots seroient plus insolens que jamais, et que tous les ans on auroit la guerre par les huguenots et les grands factieux, la plupart desquels, et tous les petits qui vouloient faire fortune dans la confusion, appréhendoient qu’elle fût prise, autant que l’Angleterre, l’Espagne et tous les princes voisins ; mais que si le Roi la prenoit, il aurait la paix pour jamais ; que sa réputation passeroit celle de ses prédécesseurs ; qu’il seroit le plus puissant roi de l’Europe, et arbitre des affaires de la chrétienté ; que, sans doute, un tel dessein seroit beaucoup traversé, qu’il y trouveroit beancoup de difficultés, mais qu’il étoit certain que, s’il persévéroit, il l’emporteroit ...
Alors on entreprit, à bon escient, le siège de La Rochelle.
Le duc d’Angoulême, les maréchaux de Bassompierre et de Schomberg, et les maréchaux de camp prirent la charge d’empêcher la communication de la terre, et le cardinal celle de la mer, par le moyen d’une digue de deux cents toises, avancée dans la mer des deux côtés, et des vaisseaux maçonnés, qui seraient enfoncés dans le milieu. Pompée Targon proposoit de barrer le canal avec des inventions particulières, dont il donnoit si peu de connoissance qu’il étoit possible d’y avoir grande foi. Cependant, pour ne rien omettre, on lui laissa choisir le lieu de son travail. Il embarqua à un grand fort de terre pour soutenir son estacade, et enfin après plus de six mois de patience, ses desseins se trouvant chimériques, on fut contraint d’abandonner le travail du fort, qui étoit assis en mauvais lieu, et tracé contre les règles ordinaires. La digue, dont le cardinal s’étoit chargé, fut commencée le premier jour de décembre. Quant aux vaisseaux, le cardinal avoit commencé de les faire préparer à Bordeaux six semaines auparavant. Chacun commença à travailler, mais la saison étant mauvaise et les pluies grandes, quelque diligence qu’on pût faire on avançoit fort peu ; la mer, par plusieurs fois, rompoit tout ce que l’on avoit fait. Les Rochelois demandèrent des passe-ports pour faire sortir les bouches inutiles qui étoient en leur ville, sous prétexte de la compassion de l’infirmité des femmes et enfans ; mais il leur fut refusé, comme aussi à madame de Rohan celui qu’elle demanda pour elle et deux cents femmes.
(...)
Dès le commencement de l’année [1627], les Rochelois dépêchèrent vers le roi de la Grande-Bretagne, le suppliant de les prendre sous sa protection, et les assister jusques à ce qu’ils pussent être délivrés de l’oppression qu’ils disoient souffrir, remis en la bonne grâce du Roi, et jouir d’une bonne paix. Les Anglais qui avoient expérimenté en Ré la foiblesse de leurs armes et de leur prudence à l’encontre du Roi, ne perdirent pas pour cela leur espérance, ou plutôt leur présomption ; mais les reçurent et firent un traité avec eux, par lequel le roi de la Grande-Bretagne promettoit de les secourir par mer et par terre à ses dépens, jusques à ce que les forts de Ré et ceux d’alentour de La Rochelle fussent rasés, et qu’ils eussent une bonne paix. En même temps il pensa aussi à affermir la ligue qu’il avait faite en Italie et en Lorraine contre le Roi, et à traiter de paix avec le roi d’Espagne.
(...)
Cependant, tandis que le cardinal employoit tout l’esprit que Dieu lui avoit donné à faire réussir le siège de La Rochelle à la gloire divine et au bien de l’Etat, et y travailloit plus que les forces de corps que Dieu lui avoit départies ne lui sembloient permettre, on eût dit que la mer et les vents, amis des Anglais et des îles, s’efforçoient à l’encontre et s’opposoient à ces desseins. Le 10 janvier le vent fut si furieux, qu’une partie de ce qui étoit commencé de la digue en fut emporté. Le cardinal, jugeant que cela provenoit de ce qu’elle n’avoit pas assez de talus, la fit promptement raccommoder et lui en donner davantage ; il fit aussi le 21 échouer dans le canal douze vaisseaux maçonnés qui arrivèrent de Bordeaux. Et pource que la solde est l’âme du soldat, et l’entretien de son courage , qu’il semble perdre quand il n’est pas payé, afin qu’ils ne manquassent pas à l’être ponctuellement, il fit commettre autant de commissaires qu’il y avoit de régimens, et ordonna que la paie seroit distribuée par leurs mains aux soldats, et non à leurs capitaines, d’où il revint trois grands avantages à l’armée : que les soldats étoient effectivement payés ; que les capitaines ne leur pouvant plus faire perdre leurs montres, ils ne pouvoient plus passer aucun passe-volant, et que le Roi savoit toutes les semaines le nombre effectif des soldats qu’il avoit en son armée ; à faute de quoi les historiens remarquent que François I, pensant avoir beaucoup plus de troupes qu’il n’avoit, perdit la bataille de Pavie. Les capitaines s’y opposèrent tant qu’ils purent pour leur injuste intérêt ; mais la fermeté du cardinal et la justice l’emportèrent. Au même temps,dans le même mois,arriva un autre effet de la prévoyance qu’on avoit eue pour le bien des mêmes soldats : c’est qu’il fut apporté en l’armée grande quantité d’habits que les principales villes du royaume avoient eu commandement de faire faire pour eux, et chacune d’elles l’exécuta à l’envi avec grand contentement. Et, afin qu’il y eût presse et honneur à se tenir dans les galiotes, barques et traversiers de l’armée de mer, qui étoit le poste le plus important et le plus hasardeux, le Roi commanda le même jour à ses carabins, mousquetaires et à tous les volontaires, d’y coucher les uns après les autres.
Cela fait, le Roi commença à s’ennuyer à La Rochelle, et son ennui vint jusqu’à tel point, qu’il estimoit sa vie être en péril s’il ne faisoit un tour à Paris. Le cardinal, ne sachant point la grande envie que Sa Majesté avoit de se retirer, s’y opposoit autant qu’il lui étoit possible, représentant qu’il y alloit de sa réputation s’il se retiroit. Cette vérité déplaisoit tellement au Roi qu’il s’en prenoit à celui qui la disoit, jusque-là qu’il tomba aucunement dans sa disgrâce. Le dégoût qu’il avoit de lui étoit tel qu’il se prenoit à lui de toutes choses.
(...)
Enfin le Roi s’en alla le 10 février [1627]. Le cardinal, jugeant bien que, s’il s’en alloit, le siège de La Rochelle seroit ruiné s’il n’y demeuroit, vu la créance qu’en avoit en lui par l’honneur qu’il lui plaisoit de lui faire, il aima mieux, en y demeurant, s’exposer à sa perte, pour beaucoup de raisons, que de manquer à la prise de la ville.
Quant au canal de La Rochelle, il n’y avoit encore que quatorze ou quinze vaisseaux qui y fussent enfoncés. Il en manquoit plus de cinquante pour le barrer entièrement, encore n’étoit-ce pas assez, vu qu’à tous les gros d’eau la mer passoit par-dessus tous les vaisseaux plus de six ou sept pieds. Mais il s’avisa, en cette extrémité, de faire, pour empêcher le passage, une estacade flottante de vaisseaux attachés ensemble par quantité de câbles et de haubans qui étoient entortillés de chaînes de fer, pour empêcher qu’ils ne fussent coupés. Chacun estimoit qu’il serait impossible de la maintenir dans le canal, où les tempêtes sont souvent furieuses ; mais l’expérience fit connoître que rien n’est impossible ou l’on ne plaint point la dépense et la peine ; car souvent les tempêtes mettaient trois et quatre de ces vaisseaux a fond ; mais le mal n’étoit pas plutôt fait qu’on ne le réparât, ou en relevant lesdits vaisseaux, ou y en remettant d’autres. Car, prévoyant tels inconvéniens, il avoit dès auparavant arrêté tous les vaisseaux hollandais qui se trouvèrent dans nos côtes, et en avoit amassé, par ce moyen, tant de ceux-là que de français, jusques au nombre de cent, qui furent appréciés et payés, et employés à cet effet-là ; et il en avoit fait un si bon amas, qu’il en resta assez pour faire une grande demi-lune du côté de la mer pour rompre son impétuosité. Il avoit soin de rendre un compte très-exact au Roi de ces choses, et généralement de tout ce qui se passoit en son armée, pour lui ôter les inquiétudes qu’il sembloit qu’il en prenoit, et fit travailler si puissamment aux travaux de la terre, que les forts, redoutes et lignes de communication , furent presque achevés un mois après que Sa Majesté fut partie ; de sorte qu’il n’entroit plus rien dans La Rochelle par terre. Il lit aussi commencer les batteries de Coreille et de Chef-de-Baye, et du long du canal, où il y avoit en batterie quarante ou cinquante pièces de canon. Il fit mettre à fond, dix jours après le partement du Roi, vingt-quatre vaisseaux murés qui arrivèrent de Bordeaux, et, dès lors, le canal commença à être embarrassé de plus de quarante vaisseaux enfoncés. La digue n’étoit encore lors que de cent soixante pas, mais on la hâtoit avec une merveilleuse diligence, et continuellement on amenoit des traversiers et autres vaisseaux, pour se préparer et fortifier a recevoir les Anglais, qui se vantoieht de devoir bientôt venir pour secourir et ravitailler La Rochelle.
Depuis le 23 jusques au 28, le vent, la pluie et la tempête rendoient la mer effroyable, sans néanmoins que les vaisseaux du Roi en fussent endommagés, ni même beaucoup l’estacade flottante. Tout le mal que fit la tempête tomba sur une machine chargée de fascines, que Pompée Targon avoit mise derrière son petit fort pour le couvrir de la mer, laquelle fût emportée vers La Rochelle, et échouée entre la porte des Deux-Moulins et le Fort-Louis. Les Rochelois voulurent profiter de ce débris de fascines, mais ce qu’ils en prirent leur coûta bien cher ; les soldats du Fort-Louis en retirèrent la plus grande part.
Le cardinal étoit, par la grâce de Dieu, bien assuré de la prise de La Rochelle avec le temps
(...)
le cardinal recherchoit en son esprit tous les moyens qui pouvoient abréger ce siège, et estima devoir faire tenter l’entreprise que l’on avoit sur La Rochelle, il y avoit plus de quatre mois. Peu de temps après que le Roi fut venu en l’armée, plusieurs lui proposèrent diverses entreprises sur ladite La Rochelle, et combien qu’à l’abord il y eût lieu de croire qu’on ne les pourrait exécuter, sans de grandes difficultés, contre une ville assiégée, la même prudence qui faisoit concevoir ce doute, obligeoit de ne pas rejeter des ouvertures qui pouvoient prévenir les incommodités d’un si long siège, et qui étoient faites par des personnes que l’on savoit avoir une parfaite connoissance des lieux. Le Heaume, qui s’étoit retiré au service du Roi depuis quelques années, après avoir eu long-temps la charge de sergent-major dans La Rochelle dont il avoit reconnu les défauts, mit en avant le dessein de surprendre le port du bastion des Vases et la porte de Saint-Nicolas, et de donner en même temps à la porte des Deux-Moulins par une poterne qui en étoit fort proche et avoit sa sortie du côté de la mer. Cette proposition ne sembloit pas hors d’apparence, à cause principalement que tous ces lieux étant peu éloignés rendoient l’attaque plus facile ; toutefois, après une diligente remarque de chacun en particulier, on ne la trouva pas bonne, et, à la vérité, c’eût été hasarder beaucoup de monde avec peu d’espoir.
Cette considération porta le cardinal d’écouter plus volontiers un autre avis qui lui fut donné par un des principaux habitants de la ville, catholique et officier du Roi. Il dit avoir reconnu deux endroits qui se touchoicnt presque l’un l’autre, dont l’on pouvoit se promettre un heureux succès, ou au moins les tenter avec fort peu de perte. L’un de ces lieux étoit la porte de Maubec, laquelle n’étant pas faite pour servir ordinairement, et restant murée en temps de paix, l’on n’avoit pas pris tant de soin de fortifier comme les autres ; que deux pétards y donneraient entrée, et que, de plus, à trente pas de là, dans la même courtine où se trouvoit la porte, il y avoit une fort grande voûte fermée d’une grille de bois, que l’on levoit pour faire passer dans la ville les bateaux chargés de sel, dont l’on fait quantité dans les marais salans qui de cette part l’environnent. En même temps le marquis d’Effiat, sans savoir chose quelconque de cet avis, fit voir au cardinal un homme de la fidélité duquel il s’assuroit, qui, ayant fait du séjour dans La Rochelle, disoit avoir fort considéré cette grille, et qu’à la voir elle donnoit envie d’y former une entreprise pour la facilité qui s’y rencontroit.
Sur la fin de novembre [1627], le cardinal donna charge à cet officier du Roi de faire choix de paysans catholiques et fidèles, qui eussent habitude des lieux, et députa quelqu’un de sa maison pour s’enquérir d’eux à loisir, sous prétexte d’autres desseins. Pour cet effet on se servit de quatre sauniers, qui n’avoient fait autre métier toute leur vie que de travailler aux marais proches de Maubec, savoient tous les chemins qui conduisoient à la porte et à la grille, et les détours d’un canal qui, entre les marécages, s’alloit rendre dans les fossés de la ville, et coule sous la voûte où la grille est posée. Ces gens, interrogés à part et à diverses fois, rapportèrent que, pour aller dans la ville par la porte Maubec, l’on passoit sur un pont dormantde sept à huit pieds de largeur, et aussi long que le fossé, qui pouvoit être de douze toises ; qu’à l’entrée du pont dormant vers la contrescarpe, la nuit on levoit un pont-levis de huit pieds de longueur, qu’au bout du pont dormant vers la ville, sur lequel jusque-là le chemin étoit libre, on trouvoit un pont-levis, long de dix pieds, au devant de la première porte de la ville qui touchoit le derrière du pont, depuis laquelle s’étendoit une voûte de la longueur du rempart jusqu’à la dernière porte à l’entrée de la rue, sans qu’il y eût fossé ni barrière entre deux ; qu’ils n’avoient point vu faire garde au dehors, ni sur le pont dormant, ni sur la porte, entre laquelle et la grille l’on mettoit sur le rempart un corps-de-garde de trente ou quarante hommes. Quant à la voûte fermée d’une grille, ils disoient avoir conduit fort souvent des bateaux sur le canal, qui, descendant des sources de Périgny le long de la Moulinette jusque dans le fossé, entroit sous cette voûte dans la ville, et à quelque trois cents pas de là s’alloit rendre dans le port, d’où le flux de la mer montoit par ce canal jusque dans le fossé, et bien loin au-delà ; qu’en cet endroit le fossé etoit large de douze toises, et creux de quelque six pieds ; qu’en basse mer l’eau n’y étoit pas plus haute que de trois ou quatre pieds ; qu’il y avoit un peu de fange à l’entrée du fossé, en sorte toutefois que l’on marchoit aisément ; qu’après avoir fait trois ou quatre pas on y trouvoit le roc et le gravier jusqu’à la voûte ; et durant toute sa longueur, qui s’étendoit sous le rempart, le canal qui alloit au port continuoit d’avoir le terrain ferme, et l’eau de la même hauteur, avec cette commodité que, sortant de dessous la voûte pour entrer dans la ville, il y avoit sur le bord du canal une montée fort facile, d’où l’on se pourroit mettre à terre, pour y former des bataillons et se saisir du corps-de-garde qui en étoit fort près. Ces hommes assuroient avoir passé souvent a pied par tous ces lieux quand la mer s’étolt retirée, et quelques-uns disoient y être allés depuis deux mois, et avoir raccommodé quelques pièces rompues de la grille qui n’étoit que de bois, sans autres défenses que d’un gros mât attaché sous la voûte à deux pieds de la grille, d’un bout de la muraille à l’autre, avec des chaînes de fer qui lui donnoient l’ébat de flotter à fleur d’eau. Sur la fin de novembre, cet officier du Roi prit l’occasion de quelques affaires domestiques d’entrer dans la ville, sous le passe-port du maire, pour reconnoître s’il n’y avoit rien de changé depuis qu’il en étoit parti, et rapporta que non.
Après tant de témoignages, le cardinal, pour s’éclaircir encore mieux de cette affaire, envoya deux gentilshommes de sa maison, Saint-Germain et La Forêt, pour reconnoître si le rapport des paysans étoit véritable, qui, leur servant de guide, les menèrent la nuit jusque sur le bord de la contrescarpe, ou ils demeurèrent et marchèrent long-temps vis-à-vis de la porte de la grille sans être aperçus, et trouvèrent les choses comme on les avoit dites. Quinze jours après, Marillac, maréchal de camp, fut la nuit visiter les lieux avec les mêmes gentilshommes et les mêmes paysans. La garde étoit si mauvaise qu’ils ne furent point découverts, encore qu’étant sur le bord de la contrescarpe, ils parlassent souvent ensemble pour mieux former leur avis sur ce qu’ils voyoient. La Forêt mit une jambe dans le fossé, et, avançant le bras, le sonda avec un bâton, et trouva qu’il n’y avoit que trois pieds d’eau, combien que la mer ne fût pas encore toute basse. Cependant il fallut trouver des pétards et des gens pour les exécuter, dont l’on manquoit en cette armée, pource qu’on ne s’étoit pas imaginé de rencontrer une occasion si favorable de s’en servir. Le sieur de Feuquières, qui s’offrit de conduire et soutenir les pétardiers, en alla quérir quelques-uns à Paris de sa connoissance par le commandement du cardinal, qui en fit aussi venir de Gascogne et de Bretague, des plus habiles et des plus estimés. Il envoya fondre à Saintes quantité de pétards. Il en eut d’autres de l’Arsenal, et en fit faire chez lui plusieurs de bois, reliés de bandes de fer, pour la commodité d’être légers et forts. Il eut soin de recouvrer des ouvriers fort rares, pour forger toutes sortes de ferremens, et préparer les machines dont l’on pourrait avoir besoin en cette occasion.
Vers le 25 de janvier [1628], le Roi s’étant résolu à cette entreprise, il donna l’ordre au cardinal de pourvoir à tout ce qui seroit requis. L’exéculion fut principalement commise au maréchal de Schomberg et au sieur de Marillac, pour y faire sa charge de maréchal de camp ; Feuquières devoit avoir la pointe avec les pétardiers et faire la première attaque. A ce sujet, le sieur de Marillac, qui n’avoit pu reconnoitre la nuit distinctement les avenues, jugea expédient que Feuquières y allât le jour, mais de loin et autant que sa vue se pourrait étendre. Sur quoi le malheur voulut que La Forêt, qui avoit fait le chemin deux fois, s’étant offert de le guider, le mena dans une embuscade à mille pas de la ville. Ils aperçurent d’assez loin quelques soldats cachés dans des masures, que Feuquières jugea être des ennemis, leur voyant des fusils et longues arquebuses, et dit à La Forêt ce qu’il en pensoit. L’autre repartit qu’il connoissoit tout ce quartier, et que c’étoit un corps-de-garde que les nôtres avoient avancé ; comme ils s’approchèrent d’eux ils leur firent une salve de douze coups, dont l’un frappa La Forêt à la tête et le porta par terre tout roide mort, le cheval de Feuquières, fort blessé à l’épaule, tomba sous lui ; il se releva, et comme il vint mettre l’épée à la main, il vit qu’on lui présenta deux arquebuses contre l’estomac à bout portant ; il les écarta si heureusement avec les deux bras qu’elles tirèrent à ses côtés sans le toucher. Soudain ses preneurs le menèrent à grands pas dans la ville, ayant vu quelques-uns des nôtres qui venoient pour le secourir, et emportèrent le corps de La Forêt. Il survint ensuite un nombre de rencontres défavorables et favorables, d’une considération non petite pour causer ou pour empêcher la ruine de cette importante entreprise. Sans doute elle courut un extrême hasard par la prise de Feuquières, pour la grande intelligence qu’il en avoit, comme l’un des premiers qui donna le dessein et l’estime ; mais ce qui achevoit de détruire l’affaire, c’étoit que lors il portoit sur soi le nom et l’ordre de l’attaque des lieux et des troupes. Il se souvint de ce papier dès qu’il se vit entre les mains des ennemis, et le déchira par le chemin sous son manteau, sans qu’ils le vissent ; ils le firent entrer par la porte de Maubec, de laquelle se voyant proche il se mit à marcher plus lentement, comme s’étant lassé d’avoir été mené si vite ; il reconnut l’état de la grille et de la porte, et trouva moyen de faire savoir au cardinal qu’à son avis l’entreprise pouvoit réussir, et beaucoup mieux qu’il n’eût pensé auparavant. L’on crut, avec raison, qu’il falloit surseoir quelque temps, jusqu’à ce que l’on fut assuré que ceux de La Rochelle fussent entièrement hors du soupçon que les circonstances de la prise de Feuquières pouvoient leur faire concevoir.
Un mois après le cardinal trouva moyen de faire sortir un habitant de la ville, catholique et homme sûr, pour s’informer de lui sans lui rien découvrir ce que l’on y disoit, y ayant lieu de croire qu’une nouvelle de telle conséquence pour l’intérêt de tous ne se pourrait celer parmi le peuple. L’on apprit qu’on ne témoignoit aucune défiance, que l’on ne voyoit aucun changement ni dedans ni dehors aux lieux où l’on avoit dessein , que la garde s’y faisoit avec beaucoup de négligence, et qu’ordinairement on ne mettoit la nuit en cet endroit que vingt-cinq ou trente hommes, dont la plupart étoient valets tenant la place de leurs maîtres, qui s’en alloient chez eux dormir à leur aise vers les deux ou trois heures avant le jour. Le 7 de mars [1628], le cardinal envoya les pétardiers, conduits par les mêmes guides dont nous avons parlé, pour voir les lieux de l’attaque et s’y préparer de loin ; ils aperçurent quelques mèches sur leur chemin, ce qui les arrêta pour n’être découverts, et fit craindre que l’ennemi, ayant appris notre dessein, n’eût mis des gens de guerre sur les avenues, ou que ce fût une sortie par hasard : ce que l’on trouva être ainsi par l’événement Pour ne rien tenter qu’à propos, et pour ne s’émouvoir aussi de vaine crainte, le jeudi 9 de mars, le cardinal envoya derechef sur les lieux Cahusac et Arnauld, avec les deux principaux pétardiers. Ils allèrent sans alarme sur la contrescarpe, y demeurèrent près de deux heures, eurent loisir de remarquer tout distinctement. Ils revinrent fort satisfaits, disant d’un commun accord, et spécialement les pétardiers, que s’étant trouvés en plusieurs entreprises de beaucoup moindre conséquence, ils n’en avoient point vu une plus raisonnable ; que jamais ils n’eussent pu croire une si mauvaise garde pour une telle ville ; que la commodité de l’approcher et de la retraite donnoit lieu de ne hasarder que fort peu de gens en une action dont l’effet ne se pouvoit acheter assez chèrement.
Enfin on se résolut à l’exécution, n’y ayant plus moyen de tenir cette affaire secrète, dont l’on n’avoit pu prendre une exacte connoissance sans donner sujet à plusieurs de s’en douter. Du commun avis des principaux chefs de l’armée, le temps fut pris entre la nuit du samedi au dimanche le 12 de mars ; il n’eût été possible d’en souhaiter une plus favorable, pour n’être ni trop claire ni trop obscure ; la lune, qui luisoit jusque sur les dix heures du soir, donnoit la commodité de faire marcher de loin les troupes avec ordre, et puis les laissoit approcher sans alarme. Le cardinal trouva moyen de faire sortir de la ville, sur les cinq heures au soir du samedi, trois heures devant que l’on commençât l’entreprise, un habitant catholique, lequel apprit qu’il n’y avoit nul soupçon ni nul changement. Sur les sept heures du soir le cardinal alla à Périgny, où il avoit donné le rendez-vous aux chefs pour prendre leur avis sur les occurrences, ordonner des commandemens, et voir en quel état étoient les pétards et machines que l’on y avoit apportés, comme au quartier le plus proche des lieux de l’attaque, à laquelle on marcha selon cet ordre : à dix heures du soir, Cahusac, Charmassé, Saint-Germain, La Louvière et vingt autres gentilshommes de la maison du cardinal, avec nombre de ses gardes et autres soldats choisis, s’embarquèrent dans cinq chaloupes, sur le canal près de la Moulinette, pour conduire et soutenir les pétards que Banneville et Beauregard avoient charge d’appliquer à la grille, laquelle étant de bois on ne pouvoit manquer à rompre, non plus que le mât attaché a deux pieds de la grille sous la voûte ; que si après le premier coup de pétard il fût resté quelque autre chose à faire, nos gens en avoient quantité d’autres, et de toutes sortes de tenailles, de marteaux et de haches pour faire promptement le passage, lequel étant ouvert, ces cinquante premiers, bien armés et fort résolus, s’en devoient rendre maîtres, et donner lieu aux troupes qui suivoient d’entrer avec sûreté, descendant, sans beaucoup de peine, du pied de la contrescarpe dans le fossé, où, pour le plus, il n’y avoit que trois pieds d’eau. Et pour marcher avec plus d’assurance, ceux qui étoient dans les chaloupes devoient sonder et montrer le chemin, et s’il se fût rencontré quelque fossé, on le pouvoit passer sur les bateaux et s’en servir comme de ponts.
Arnauld, mestre de camp des carabins, eut le commandement, avec sa troupe, de soutenir les pétardiers destinés pour la porte de Maubec, conduits par Saint-Ferjus. On avoit préparé un pont volant étroit, et long de quinze pieds, lequel, étant posé sur le bord de la contrescarpe, et appuyant son autre bout sur le pont dormant, gagnoit aisément le derrière du dernier pont-levis, d’où nos gens pouvoient aller droit au second et dernier pont-levis, et pétarder la première porte de la ville qui le touchoit. Or, comme ceux-là s’avanceroient, quelques autres avoient la charge de lever, par derrière, les serrures du premier pont-levis, avec des ferremens faits exprès pour l’abattre sans bruit et y faire passer les troupes, ou, s’il eût été besoin, ils l’eussent pétardé pour rompre en même temps les deux ponts-levis et surprendre plus à coup les gardes ; et, quant à la dernière porte de la ville, n’y ayant ni pont-levis ni herse, elle n’eût pas fait résistance. Le cardinal ordonna que ceux qui faisoient la pointe avec les pétardiers seroient soutenus de cinq cents hommes, séparés en diverses troupes, commandés par le sieur de Marillac, et qu’assez proche de là, le maréchal de Schomberg se tint prêt pour donner avec quinze cents hommes, et que les premiers entrés par la grille, ou par la porte de Maubec, après avoir taillé en pièces le premier corps-de-garde, et dressé un corps de bataille en la place de la Ville-Neuve pour s’opposer aux ennemis, iraient ouvrir par dedans celle de Cogne, près de laquelle le cardinal ferait halte avec mille chevaux et quatre mille hommes de pied, pour faire le plus grand effet où il seroit plus de besoin.
Sur les onze heures du soir, ledit sieur de Marillac s’avance avec Arnauld, et se met à faire deux ponts pour faciliter le passage dans les marais, et attendit long-temps les pétards sur le dernier pont à trois cents pas de la contrescarpe ; mais le malheur voulut que Saint-Ferjus, destiné pour l’attaque de la porte de Maubec avec Le Limousin et autres pétardiers, étant parti de Périgny, entre onze heures et minuit, avec tout l’équipage des pétards et machines, pour arriver au lieu de l’entreprise entre les deux et trois heures du matin, s’étant mis en chemin, se vit abandonné de la plupart de ceux que le maréchal de Schomberg, qui commandoit à ce quartier, avoit ordonnés pour lui aider, et lui fut impossible dans l’obscurité de les retrouver. De sorte que dans ce travail de chercher du secours, et de faire porter par peu de gens ce qui en requéroit quatre fois autant, il employa cinq heures à faire le chemin qu’il eût pu faire en deux fort à son aise, n’ayant à marcher qu’une demi-lieue. Sur cela le sieur de Marillac, n’entendant rien de cette part, alla chercher Cahusac qui avoit conduit ses bateaux, deux heures devant le jour, le long du canal de la Moulinette, à deux cents pas du fossé de la ville, et si près, que les sentinelles l’eussent aperçu s’il ne les eût rangés contre la rive, du côté où étoit ledit sieur de Marillac, lequel ne les put voir à cause qu’un ruisseau l’empêcha d’aller sur le bord du canal ; de sorte qu’ils n’eurent point de nouvelles les uns des autres ; ce qui fit que Cahusac mit en terre quelques-uns de ses compagnons, qui demeurèrent plus d’une grosse heure sur la contrescarpe, allant et venant vis-à-vis de la grille et de la porte pour regarder la contenance des ennemis, et s’ils verroient paroltre nos gens. Ils ne furent point découverts des sentinelles et des rondes qu’ils virent et ouïrent parler, sans reconnoltre aucun bruit dans la ville, et ne retirèrent leurs bateaux qu’il ne fût jour.
En ces entrefaites, le sieur de Marillac étant retourné à ce dernier pont, Le Limousin, l’un des pétardiers de la porte, lui vint dire que son équipage étoit demeuré assez loin de la, et ne pouvoit arriver d’une heure, pour l’accident que nous avons représenté, et que l’on pourrait être surpris du jour avant que de commencer l’exécution. Sur ce doute, le sieur de Marillac fit remporter par des soldats le bois de ces deux ponts, et envoya Arnauld donner avis de cet événement au cardinal, qui s’étoit avancé à la tête des troupes à trois cents pas de la porte de Cogne, pour être prêt de donner au premier bruit, et y demeura jusqu’au grand jour avec impatience, attendant l’effet du pétard ou des nouvelles du sieur de Marillac, qui le laissa toujours en cette incertitude. La plupart crurent que Marillae, qui ne fut jamais hasardeux, saigna du nez en cette occasion, et n’osa se hasarder d’entrer en un lieu dont il ne voyoit pas la sortie.
Plusieurs marques de considération se rencontrèrent en cette entreprise : qu’elle fut conduite avec tant de secret durant quatre mois, qu’après avoir passé par les mains de plusieurs personnes dont l’on avoit besoin, et après que dix mille hommes avoient été en armes toute une nuit autour des murailles d’une telle ville de guerre, et dans le temps d’un siège si jaloux, les Rochelois n’en avoient eu connoissance que le jour suivant, par ceux des nôtres qu’ils prirent à l’attaque de Tadon ; que l’on eût approché si près, et demeuré si long-temps, jusques au grand jour, sous la batterie de tant de canons sans avoir perdu un seul homme ; que l’on eût pris ses mesures si justes pour reconnoitre au vrai la facilité du succès, que même les ennemis furent contraints d’avouer qu’il étoit infaillible sans ce malheur. Tous ceux qui sortirent depuis pour diverses occasions le déclarèrent. Grossetière, qui fut pris à son retour d’Angleterre, le donna sous son seing. Aux voyages que plusieurs fois Arnauld fit à La Rochelle à leur prière, pour obtenir sûreté à leurs députés, les principaux de la noblesse et des gens de guerre reconnurent cette vérité, et le peuple réputa à miracle d’être échappé de ce danger. De vrai, il y eut bien quelque sorte de merveille en la conduite, et l’on n’en voit pas moins en la rupture de ce dessein si bien entrepris, lequel Dieu voulut changer en une autre manière de châtiment plus convenable à la malice des coupables, qui étoit si extrême qu’on ne leur pouvoit donner de bourreaux moins cruels et plus infâmes que les propres auteurs, se faisant mourir eux-mêmes par la faim et toutes sortes de misères.
Mais comme cette entreprise n’avoit point fait ralentir les travaux du siège, aussi quand elle fut faillie n’en fut-on point moins encouragé. Dès deux ou trois jours après, quatorze autres vaisseaux maçonnés arrivèrent de Bordeaux, et furent soudain coulés au fond dans le canal. D’autre port on continuoit la digue avec grande diligence. La prévoyance du cardinal étoit si grande à faire venir en l’armée toutes choses nécessaires, que les munitions de guerre, vivres, foins, avoines, y étoient en abondance, même l’argent n’y manquoit point aux nécessités, y employant son crédit et ses deniers lorsqu’il en étoit besoin. Il se faisoit presque tous les jours des escarmouches, où les Rochelois étoient toujours battus. Dix-huit chevau-légers de La Rochelle sortirent vers le Colombier-Rouge, où étoit en garde la compagnie de chevau-légers de La Roque-Massebaut, qui les chargea, en sorte que huit maîtres de ladite compagnie, qui se trouvèrent lors à cheval, repoussèrent les ennemis jusque dans les marais, et prirent un nommé Bonneval, et en tuèrent un autre et un cheval. Le 19 mars, ils furent encore battus proche le fort de Beaulieu, où le sieur de La Borde-Vely avec quinze maîtres de sa compagnie chargea trente des ennemis, en tua trois, prit un, et en blessa cinq ou six de leurs meilleurs hommes, qui se retirèrent à La Rochelle, entre lesquels étoit Jean Farine, qui en mourut quelques jours après.
Le cardinal maintenoit aussi un grand ordre parmi les gens de guerre ; les prévôts de Fontenay, Saintes, Angouléme, Saumur et Angers, furent mis avec leurs compagnies sur les avenues de La Rochelle, et principalement sur les gués et passages de Marans, Nouaillé, Vrison. Allère, Millescu et Charroux, afin d’arrêter les soldats qui se retiroient de l’armée sans congé. Le régiment de La Meilleraie étoit d’ordinaire au fort de La Font, qui étoit fort proche de la porte de Cogne, par où les ennemis sortoient d’ordinaire. Un gentilhomme poitevin, nomme Contentier, qui étoit dans la ville, se battit avec ledit sieur de La Meilleraie, en pourpoint, entre ledit fort et la ville, avec le pistolet et l’épée ; et parce qu’auparavant un pareil combat avoit été défendu au sieur de Roque-Massebaut, et que ledit sieur de La Meilleraie l’avoit fait sans permission, le cardinal le suspendit de sa charge, et l’interdit de l’armée pour trois mois, pour montrer l’exemple, bien que la plupart de ceux qui étoient au conseil de guerre fussent de contraire avis et autorisassent cette action plutôt que lui en donner du blâme ; néanmoins, à cause qn’il étoit son parent il en usa ainsi.
Les huguenots de la campagne, voyant les choses aller de la sorte, commencèrent à croire à bon escient que le Roi viendroit a son honneur de ce siège, et, ne pouvant souffrir sans un extrême regret de voir prendre cette ville, commencèrent à faire force assemblées secrètes dans les maisons de quelques gentilshommes ; dont le cardinal étant averti, il fit trouver bon à M. d’Angoulème d’nller en bas Poitou avec deux compagnies de cavalerie et ses gardes, pour les mouvemens qui pouvoient être de ce côté-la, et se saisir de la personne et maison de La Rolandière, ainsi que le Roi l’avoit résolu ; et le maréchal de Schomberg envoya en Saintonge et Angoumois, pour faire veiller aux actions des plus remuans et s’en saisir.
Le 22 mars [1628], trois barques rocheloises, qui venoient d’Angleterre chargées de vivres, parurent, l’une de vingt-cinq tonneaux, l’autre de treize, et la troisième de dix, et se hasardèrent de tenter le passage de l’estacade, laquelle étoit seulement commencée, et bien loin de la perfection en laquelle elle fut par après. Le Roi n’avoit pas encore une armée navale formée, mais seulement quelques vaisseaux à l’embouchure du Chef-de-Baye. Le grand nombre de barques, chaloupes et gnliotes armées, qu’il y eut depuis pour la garde du canal, n’y étoient pas encore, de sorte qu’ils espéroient facilement passer. Leur dessein, à l’aide du temps qui leur étoit favorable par la tempête qu’il faisoit et la nuit, leur réussit en partie, car il y en eut une qui passa vers le Fort-Louis, en un lieu ou l’estacade flottante finissoit, en touchant néanmoins aux vaisseaux enfoncés ; mais le vent étant grand la porta jusque dans La Rochelle. La seconde voulut passer par le même endroit, mais elle fut prise par le sieur de Saint-Germain qui commandolt une galiote ; la troisième s’alla échouer auprès du fort de Tadon que les Rochelois gardoient. Marillac alla dès la nuit même pour s’en rendre maître avec quelques troupes qui étoient en garde au fort d’Orléans : il entra dans ladite barque et tua ce qui étoit dedans ; mais, faute de pétards et de haches pour la crever et rendre inutile, qu’il oublia de faire porter avec lui, la marée venant avec impétuosité par la tempête qu’il faisoit, le contraignit de l’abandonner, de sorte qu’elle fut poussée par ladite marée dans La Rochelle. Quelques-uns des nôtres voulurent l’empêcher d’y aller à force de galiotes et de chaloupes ; mais, sans le commandeur Desgoutes qui commandoit dans le canal, qui alla pour faire retirer nos gens qui étoient après ladite barque, la marée et le mauvais temps les eût tous emportés avec la barque dans la ville. Cette entrée fit beaucoup plus de bruit que d’effet, car en toutes les deux barques il n’y avoit que vingt-deux tonneaux de seigle, encore se trouva-t-il tout gâté, et le peuple conçut de mauvaises espérances de l’assistance d’Angleterre, voyant le petit secours qu’ils en avoient reçu après une si longue attente. Le Roi en tira ce profit, que les Rochelois qui étoient daus la première barque, se sentant toucher aux vaissennx enfoncés, crurent être pris et jetèrent leurs papiers dans la mer, qui furent trouvés le lendemain et apportés au cardinal qui les fit déchiffrer, et, par ce moyen, connut particulièrement tous leurs desseins et négociations avec l’Angleterre, et quels secours ils en devoient espérer.
Leurs députés en Angleterre leur mandoient qu’il se préparoit un secours pour eux, mais que les difficultés qui se rencontroient aux préparatifs de vaisseaux, munitions de guerre, amas de matelots et de soldats étoient si grandes, que le temps dudit secours étoit fort incertain, outre que le Roi [d’Angleterre] étoit en une merveilleuse disette d’argent qui paroissoit en deux choses : l’une, que les vingt-deux tonneaux de seigle chargés dans les deux barques des capitaines Daniel et David, étoient pour le compte des Rochelois particuliers qui étoient en Angleterre, qui n’avoient jamais voulu les envoyer que sous la promesse qu’ils leur avoient faite qu’ils pourraient les débiter comme bon leur sembleroit sans payer aucuns droits ; l’autre, en ce que lorsqu’on parloit de leur envoyer nombre de vaisseaux chargés de blé, sous l’escorte du comte d’Embigh, c’était pour le compte de Buckinghnm, qui vouloit être assuré que le maire lui enverroit les deniers du prix que le blé seroit vendu dans La Rochelle ; qu’ils avoient cru néanmoins devoir passer un traité avec lui, selon le pouvoir qu’ils en avoient d’eux, par lequel ledit Roi promettoit de n’entendre a aucun accord, sans les y comprendre et conserver leurs privilèges. Et eux lui avoient promis qu’en revanche ils ne traiteroient point sans son consentement, et se mettroient ouvertement en sa protection, et seroient tellement attachés à lui, que toutes fois et quantes qu’il auroit la guerre avec la France, ils se déclareroient pour lui et l’assisteroient de leurs ports. Ils envoyoient le projet de traité, afin qu’ils le signassent à La Rochelle et qu’ils le pussent mettre entre les mains du roi d’Angleterre.
Ces nouvelles nous donnèrent courage, tant parce qu’elles nous apprenoient que nous avions du temps pour avancer la digue, nos estacades, et barrer le canal par toutes sortes d’inventions, que parce aussi qu’elles nous faisoient connaître la foiblesse et la nécessité d’Angleterre, et peut-être le peu de volonté qu’ils avoient de revenir au lieu où ils avoient été battus.
Le cardinal pensa lors à disposer encore une nouvelle estacade, en forme de demi-lune, au-devant de celle dont nous avons déjà parlé. Chacun estimoit qu’il seroit impossible de l’y faire subsister ; le cardinal avoit bien les mêmes pensées pendant les tempêtes, mais il se résolut à faire seulement provision de vaisseaux, et ne dresser cette estacade qu’à la fin d’avril, où les vents sont d’ordinaire passés, voyant par les avis que l’on avoit eus que les Anglais ne pouvoient venir qu’à la fin de mai. Et en effet, ce projet réussit avec fruit et approbation de tout le monde. Et pource qu’en matière de grandes affaires, qui veut faire assez doit vouloir trop, et ne refuser aucun moyen de tous ceux qui se proposent pour parvenir à ses fins, les chimères de Targon ayant donné lieu à plusieurs personnes de rechercher des inventions aussi solides pour barrer le canal, que les siennes avoient été vaines, Le Plessis-Besançon fit voir au cardinal un modèle de machine qu’il approuva grandement, et qui réussit fort bien ; depuis, Vassal lui en proposa un autre qu’il accepta aussi.
(...)
Cependant on reçut avis de toutes parts qu’une armée navale étoit prête à partir d’Angleterre, pour accompagner et faire entrer dans La Rochelle un grand secours de vivres. Cette armée partit de Portsmouth au commencement de mai [1628], sur ce que les Rochelois qui étoient sortis de La Rochelle auparavant, avoient fait entendre aux Anglais qu’ils passeraient à la digue sans obstacle , étant fort peu avancée, et n’y ayant à l’embouchure du canal que quinze ou seize petits dragons, qui s’enfuieroient à leur arrivée en Brouage ou dans la rivière de Charente. Cette armée étant arrivée, les Anglais pensoient d’abord entrer dans La Rochelle, ainsi qu’on leur avoit fait espérer ; mais ils trouvèrent qu’il en étoit bien autrement, voyant tout le canal rempli de vaisseaux, et ces estacades flottantes qui le fermoient, et les vaisseaux de guerre du Roi en ordre de bataille entre la pointe de Chef-de-Baye et celle de Coreille, où il y avoit de fortes batteries ; cela les épouvanta tellement qu’ils n’osèrent approcher, et allèrent mouiller dans le pertuis d’Antioche, qui est entre les lies de Ré et Oleron. Le cardinal, qui savoit qu’il n’y a point de plus dangereux péril que de n’en craindre point de la part de son ennemi, avoit dès longtemps auparavant donné ordre à toutes choses, comme si tous les jours les Anglais devoient arriver. Il fit faire défense à tous les matelots qui servoient et serviroient aux galiotes, barques, brigantins, traversiers et chaloupes, employés à la garde dudit canal de La Rochelle, de quitter et abandonner l’équipage où ils seroient engagés, sans congé de celui qui commanderoit à leurs vaisseaux, sous peine d’être pendus et étranglés, en quelque temps et lieu qu’ils fussent trouvés par après. Semblablement furent faites défenses à tous les susdits matelots de coucher hors de leurs bords, sur peine d’être coulés en mer. Comme aussi leur fut enjoint de se trouver tous les jours en leursdits bords, trois heures devant que la marée fût pleine, sans pouvoir sortir d’icelui qu’après qu’elle seroit plus que moitié retirée, sous peine, pour la première fois, d’être calés en mer, et de la vie pour la seconde. Pareillement fut défendu à tous capitaines de galiotes, barques et brigantins, traversiers et chaloupes, de s’éloigner de jour ou de nuit de la digue, en quelque temps que ce put être, aux heures même non spécifiées ci-dessus, sans le congé du commandeur Desgoutes, qui avoit le commandement desdits vaisseaux ; comme aussi aux matelots des susdits vaisseaux de s’en éloigner audit temps, sans congé des capitaines d’iceux, nonobstant lequel encore ils se rangeraient tous à leur bord au premier coup de canon d’alarme qu’ils entendroient tirer de la mer ou de la pointe de Coreille. Il fut aussi défendu à tous matelots et autres, de quelque condition qu’ils fussent, de couper aucuns cables ou cordages, ou rompre aucune chose des vaisseaux enfoncés ou flottans sous peine de la vie.
(...)
On ordonna aussi des ordres pour la garde et conservation de la digue et palissade, tant enfoncée que flottante, dans le canal de ladite Rochelle. L’on régla ladite garde, en sorte que chacun savoit, en cas d’alarme, quel poste il devoit avoir, afin de s’y rendre sans attendre aucun autre commandement. [id.]
(...)
Tous ces ordres-là étoient donnés dès auparavant que les Anglais parussent ; mais, dès qu’ils furent venus, le cardinal disposa toutes les choses si bien pour le combat et la défense du canal, qu’il n’étoit pas possible d’être sage et de croire que les ennemis pussent sans leur honte hasarder de passer. Les volontaires entroient en foule dans les vaisseaux de guerre, et ceux des estacades flottantes furent remplis de soldats pour les défendre. Le canal fut bordé des deux côtés de gens de guerre, et les gardes ordinaires redoublées ; les Suisses demandèrent à être de la partie, et furent mis sur la digue et à la pointe de Coreille ; de sorte que, si quelque vaisseau des ennemis se fût échoué, il ne se fût pas sauvé un seul de ceux qui eussent été dedans. L’ordre de l’armée et du combat, au cas que les Auglais eussent voulu tenter le passage, fut aussi donné avec grande prévoyance. Ce qui étoit le plus à craindre, étoit la confusion dans le canal lorsque les Anglais entreprendroient leur attaque, et les vaisseaux à feu des Anglais avec lesquels ils tenteroient de faire ouverture à l’estacade flottante, et de brûler des vaisseaux de guerre du Roi. On pourvoyoit à éviter ces deux inconvéniens par un bon ordre. On divisa la flotte du Roi, composée de vingt-huit grands vaisseaux et de dix hirondelles, en quatre escadres principales. La première, commandée particulièrement par le chevalier de Valençai, étoit composée de douze grands vaisseaux qui étoient divisés en deux corps, qui mouilloient tous deux sépurémeut à l’entrée de la pointe de Chef-de-Baye, au-dessous des batteries. Et d’autant qu’il faut toujours couvrir le pavillon du Roi autant qu’il se peut, six vaisseaux de ladite escadre, commandés par le sieur de Miraumont, mouilloient entre les ennemis et le sieur de Valençai. La deuxième, commandée par le sieur de Poincy, étoit composée des sept dragons de la Manche, et mouilloit au-dessus de la pointe de Coreille, au sud-ouest de l’escadre du sieur commandeur de Valençai. La troisième, commandée par le sieur de Mailly, étoit composée encore de dix vaisseaux, et mouilloit justement à l’ouvert des deux pointes vis-à-vis de celle de Coreille. La quatrième étoit composée de dix hirondelles commandées par le sieur de Cahusac, et mouilloit entre l’escadre de Valençai et les terres de Chef-de-Baye.
La flotte anglaise étoit composée de soixante vaisseaux, huit roberges, vingt vaisseaux de guerre, et le reste de brûlots et de barques chargées de vivres. Le lendemain de leur arrivée, un Rochelois, nommé Vidault, entra dans La Rochelle dans un petit esquif de la Tamise qui ne péchoit pas un pied d’eau. Ce Vidault avoit une lettre du comte d’Embigh au sieur de Bassompierre, pour, au cas qu’il fût pris, dire qu’il alloit au Port-Neuf, offrir de rendre quelques prisonniers qu’ils avoient pris le jour auparavant en l’Ile de Ré dans une barque. Mais son entrée ne profita à cette ville rebelle que pour leur faire savoir que, si elle ne leur rendoit le passage ouvert tel qu’ils l’avoient promis en Angleterre, leur secours s’en retourneroit. Ils eurent jusqu’au 17 le temps à souhait pour tenter le passage, le vent étant si grand que non-seulement il leur servoit, mais il nuisoit beaucoup à nos travaux faits dans la mer. Ils se contentèrent, durant ce beau temps, d’envoyer seulement un brûlot, qui vint échouer sous la batterie de Chef-de-Baye, et une chaloupe dans laquelle il y avoit un ingénieur qui avoit voulu pétarder quelque vaisseau de Toiras au Texel, et fit crever la chaloupe qui enfonça dans la mer, et, parce moyen, tout ce qui étoit dedans fut noyé. Ce qui les divertit plus de hasarder le passage, ce furent les matelots qu’ils prenoient en mer, revenant de Brouage à la digue, qui leur figurèrent l’impossibilité de pouvoir exécuter leur dessein, et leur firent un plan de la digue, des estacades et des batteries du canal, ensemble de l’armée navale, des galères, galiotes, barques, chaloupes et brigantins qui défendoient ladite estacade et le canal : ce qui étonna fort le comte d’Embigh, amiral anglais, lequel, voyant qu’il ne pouvoit rien faire, fit signer pour sa décharge un acte aux capitaines rochelois qui l’avoient embarqué à ce dessein, par lequel ils déclarèrent qu’il étoit impossible de passer par mer à La Rochelle, et après fit voile, le 19 de mai sur les cinq heures du soir, et en fort bon ordre.
Les Rochelois, croyant qu’ils voulussent donner combat, pour les animer avoient arboré quantité de drapeaux sur les lieux éminens de leur ville, et sur le fort et moulins de Tadon que les Anglais gardoient, et tirèrent force canonnades en témoignage de joie ; mais ils l’eurent bien courte, voyant que cette armée s’éloignoit d’eux sans leur laisser qu’une vaine espérance de secours, et s’en retournoit par le pertuis d’Antioche. Le cardinal envoya des dragons pour la suivre, et apporter nouvelles de leur route, qui revinrent après l’avoir vue entrer dans la Manche. Il arriva en même temps dix matelots français que les Anglais avoient pris en mer, et renvoyés dans une chaloupe sans voiles, gouvernail, ni rames, qui confirmèrent cette nouvelle. Ils ne rapportèrent pas en Angleterre tous les vivres qu’ils en avoient apportés pour ravitailler La Rochelle, car le chevalier Guitault trouva moyen d’écarter un des vaisseaux qui les portoient et le prit ; le Roi lui donna la charge d’icelui, qui étoit prisée 10,000 écus. II y avoit dans ce vaisseau des matelots bretons que Bregnaut, Rochelois, avoit pris à leur arrivée en l’île d’Aix, qui rapportèrent que les Anglais et les Rochelois avoient été en grande dispute du passage de La Rochelle, les Anglais soutenant qu’il étoit impossible, et Bregnaut assurait impudemment le contraire et s’affronta à s’y hasarder le premier, mais les autres Rochelois ne furent pas de son opinion. Cette retraite anglaise pleine de honte, et leur secours qui n’avoit été reçu des Rochelois que par foi, comme ils font l’Eucharistie, les étonna si fort, qu’ils eussent volontiers incliné à se rendre, si madame de Rohan la mère, de qui l’espérance pour ses enfans étoit toute fondée en la conservation de cette ville, et le ministre Salvert [ou Salbert], homme très-séditieux, ne les eussent repus de secours imaginaires qu’ils leur faisoient espérer. Ils leur promettoient qu’une nouvelle armée reviendroit dans peu de temps d’Angleterre, et par ce moyen donnèrent lieu aux séditieux de prévaloir contre ceux qui, en effet, étoient las de pâtir.
Cependant, pour se décharger toujours d’autant, le 24 mai [1628] ils mirent hors les femmes et les bouches inutiles ; mais le Roi commanda qu’on les rechassât de force ; et, de plus, sachant qu’ils avoient semé des fèves auprès des contrescarpes de leur ville, on les envoya couper comme elles commençoient à lever, et semblablement un peu de blé qu’ils avoient semé en quelques places sèches de leurs marais. Un chacun jugeoit qu’ils ne pouvoient passer le mois de juin, tous les avis étoient qu’il n’y avoit pas de vivres pour davantage, et en effet on n’eût pas été trompé en ce calcul, s’il y eût eu quelque humanité parmi les principaux de la ville, qui eurent bien la barbarie de voir mourir la plupart de leurs concitoyens de faim, sans leur donner du blé qu’ils se réservèrent pour eux-mêmes, fondés en cette maxime, qu’il étoit expédient que les trois quarts périssent pour sauver la ville ; de sorte que depuis la fin de juin, la moitié de la ville n’ayant plus de blé, ils vécurent de légumes, d’herbages et de coquillages ; les plus misérables étoient sustentés, les uns d’une folle espérance, les autres d’un désespoir prétendu de la miséricorde du Roi, de laquelle néanmoins on les envoya deux fois assurer par des hérauts, mais toutes les deux fois l’entrée leur fut refusée aux portes. Et bien que, le dernier de juin, le maire envoyât vers le cardinal pour savoir s’il voudrait bien implorer la bonté du Roi pour eux, et qu’il eût reçu réponse favorable et telle qu’il pouvoit désirer, il changea d’avis et s’affermit en son obstination, témoignant quelquefois au sieur de Feuquières avoir dessein de se remettre à son devoir ; mais ou les volontés en étoient foibles, ou les difficultés si grandes par la multitude des têtes qui y dévoient consentir, et particulièrement l’opiniâtreté de madame de Rohan, qu’on n’en voyoit aucun effet, bien que tous les jours grand nombre d’eux mourût de faim, la plus grande partie ne vivant que d’herbes et racines sauvages qu’elle prenoit dans les marais, et que la nécessité qui croissoit de jour en jour fût venue à tel point, que sur la fin de juillet ils commençassent à n’avoir plus rien de quoi sustenter leur misère, et fissent bouillir des parchemins et des cuirs de bœufs et autres animaux, avec un peu de suif et de cassonade, pour en faire du pain, et en fissent d’autres de racines de chardon, qu’ils appeloient du pain chaudy, et fussent contraints, quand la mer étoit basse, d’aller dans les vases recueillir le coquillage qu’ils y pouvoient trouver, lequel ils mangeoient tout cru comme si c’eût été quelque bonne viande ; mais dès qu’on le sut on les en empêcha, et y avoit souvent de la batterie et des hommes tués, de sorte qu’enfin le cuisinier de madame de Rohan sortit de la ville et se laissa prendre, disant qu’il aimoit mieux être pendu que de retourner mourir de faim.
Mais autant que leurs nécessités étoient grandes, autant le camp du Roi étoit-il abondant en toutes choses nécessaires ; tout le monde y étoit bien logé, les soldats bien huttés et bien payés, le camp étoit comme une foire, les vivres à meilleur marché que dans Paris, et peu de malades par le bon ordre qui étoit gardé. Et, d’autre part, bien que l’on reconnût l’impuissance et la timidité des Anglais, et que les Rochelois étoient extrêmement pressés, on ne laissoit néanmoins de continuer plus fort qu’auparavant le travail de la digue, en sorte que l’on avançoit plus en un mois que l’on avoit fait auparavant en deux, par le moyen des vaisseaux enfoncés, sur lesquels on faisoit des ponts que l’on remplissoit de pierres. On trouva encore une invention de machines nommées chandeliers, qui étoient faits et attachés l’un à l’autre, de sorte que par ce moyen, outre la digue et les estacades qui fermoient deux fois le canal, l’avenue en étoit encore impossible, par le moyen de ces machines qui faisoient deux rangs, et qui étoient si fortes qu’un vaisseau à pleines voiles y étoit arrêté et crevé, de sorte que les personnes non passionnées voyoient bien qu’il n’y avoit plus d’espérance pour les Rochelois d’un nouveau secours. L’inutilité du premier, et la honteuse retraite des Anglais, fut un coup de massue qui étourdit tous les autres ennemis du Roi et les mécontens qui cabaloient contre lui, fit tout aussitôt résoudre les conseillers du comte de Soissons à lui dire que le meilleur pour lui étoit de laisser à part toutes les demandes déraisonnables qu’ils lui avoient fait faire pour retourner en France, et demander à venir trouver Sa Majesté sans autre condition que celle de ses bonnes grâces.
(...)
Cependant il s’étoit fait quelque mutinerie à La Rochelle, quelques-uns représentant qu’il valoit mieux se rendre à la miséricorde du Roi, que de demeurer exposés à la rigueur impitoyable de la faim. Mais le maire, ayant fait pendre promptement ceux qui avoient commencé cette émeute, avoit mis une telle terreur dans les esprits, qu’ils se laissoient mourir de faim sans oser parler. Feuquières même se ressentit de cette extrémité, et demeura quatre jours sans pain ; le maire lui fit excuses et lui permit d’en faire venir du camp du Roi pour lui. Ils étoient cinquante ou soixante des plus mutins et des principaux de la ville, qui ne manquoient pas de vivres, et empêchoient qu’on ne fit enquête dans les maisons de ceux qui en avoient, pour le distribuer aux pauvres qui mouraient tous les uns après les autres, et toutefois révisèrent encore d’écouter une sommation que le Roi, le 16 août, leur envoya faire de se rendre. Ils sortoient de la ville par le canal, la mer étant basse, à centaines, de tout sexe et de tout âge. Les soldats pour du pain faisoient ce qu’ils vouloient des femmes, ce qui obligea à faire une défense étroite de laisser plus approcher des lignes de communication aucuns d’eux, mais de les faire retirer ou les tuer. Il arriva en ce temps qu’ils surent qu’un des leurs, nommé Grossetière, avoit été pris prisonnier et amené à l’armée du Roi, où il courait fortune ; ils eurent bien encore la hardiesse d’écrire au cardinal en sa faveur, le suppliant de ne permettre qu’il lui fût fait mal, vu qu’il y avoit quartier entre l’armée du Roi et eux, qu’il n’avoit rien fait qu’avec charge d’eux, et dont ils ne l’avouassent Mais le cardinal leur répondit qu’empêchant comme ils faisoient la ville de recevoir les effets de la miséricorde du Roi, ils avoient mauvaise grâce de la rechercher pour des particuliers ; qu’ils n’étoient de condition ni en état de traiter du pair avec leur maître, que la pensée en étoit criminelle, partant qu’il leur conseilloit de n’augmenter par cette voie le nombre de leurs fautes ; qu’il ne savoit quelle étoit la volonté du Roi, dont la bonté étoit infinie, sur le sujet de La Grossetière, mais qu’il savoit bien qu’il ne pouvoit recevoir aucune peine qui ne fût moindre que ses démérites. Cette réponse les étonna, et dès le même jour ils firent demander par le sieur de Feuquières à parler à son beau-frère qui étoit dans l’armée, auquel ils avouèrent franchement qu’ils le faisoient pour voir si on pouvoit commencer quelques pourparlers. C’étoit horreur d’ouïr conter à ce tambour comme ils vivoient. Il fut pris un espion qu’ils envoyoient en Angleterre avec un billet dans une boite d’argent, qu’il avala, par lequel ils disoient être à la dernière extrémité. Il fut pendu et quelques autres comme lui. Aucuns d’entre eux, espérant en la miséricorde du Roi, qui s’étoit fait paraître en tant d’occasions, se hasardoient, nonobstant les mousquetades, de se venir jeter dans les lignes de communication ; on les faisoit tirer au billet, quelques-uns d’entre eux étoient pendus, et les autres renvoyés à La Rochelle. Ils dirent que le maire les animoit à tenir contre le Roi, leur disant qu’ils seraient tous pendus, et leurs femmes et leurs filles violées devant leurs yeux ; qu’il valoit mieux mourir que voir cela ; et, quant a lui, qu’il s’offroit au sort avec un autre à qui vivroit, ou à qui devoit être tué pour nourrir son compagnon de sa chair.
Toutefois, la ville étant de jour en jour plus pressée de faim et de toutes sortes de misères, ils commencèrent enfin à n’en pouvoir plus, toute la force naturelle de ses habitans fut Ia première consommée. Leur fureur enragée leur en donna une nouvelle, ou plutôt l’ire vengeresse de Dieu leur en fit subministrer une extraordinaire par son mauvais esprit, pour prolonger leurs maux et leur faire souffrir une peine plus proportionnée à l’excès de leurs crimes. Ils étoient déjà quasi à bout de celle-là, et les misères ne trouvoient plus en eux de sujet qui les put appuyer et supporter : c’étoient squelettes, fantômes vains, morts respirant plutôt qu’hommes vivans.
(…)
Cependant le cardinal, voyant que la misère extrême en laquelle étoient les Rochelois ne les retirait pas encore de leur opiniâtreté, et qu’ils étoient résolus de mourir de faim les uns après les autres plutôt que de se rendre, trouva moyen de faire semer dans la ville plusieurs billets, par lesquels on leur représentait que la résolution qu’ils avoient prise étoit une tyrannie injuste d’un petit nombre des plus puissans d’entre eux, lesquels, ayant seuls du blé dont ils se sustentaient, voyoient à leur aise mourir de faim tous les jours les pauvres, et auraient seuls enfin tout l’avantage de la composition qu’ils feraient avec le Roi ; que, s’ils étoient bons citoyens, ils dévoient prendre part à la misère commune, et distribuer de leur blé à tous les autres, et que, lorsque la nécessité seroit égale, les conseils seraient désintéressés. Ces billets, qui furent lus de plusieurs, mirent entre eux quelque division ; ensuite ils envoyèrent des députés au cardinal pour parler de se rendre ; mais comme on étoit sur le point de traiter, et que les députés sortaient de la porte de Cogne pour faire le traité, il entra dans La Rochelle un habitant de la ville, qui avoit passé à pied par la batterie de Sauvagère, et revenoit d’Angleterre, ayant descendu en la rivière de Bordeaux, qui les assura qu’il avoit vu l’armée prête à partir pour les secourir ou se perdre, et qu’elle devoit arriver huit jours après : ce qui fit que les députés retournèrent dans la ville, et qu’on se prépara du côté du Roi à recevoir cette armée, qui partit de Plymoutb le 17 de septembre, fut vue aux rades d’Olonne le 28, le 29 vint mouiller l’ancre à Saint-Martin-de-Ré, et le 30 arriva à Chef-de-Baye, composée de cent quarante voiles, trois vaisseaux murés, et d’autres pleins de fumier, où ils devoient mettre le feu pour empêcher, par la fumée, de voir les vaisseaux qu’ils enverraient à la suite de ceux-là pour quelques entreprises.
Ils portoient six mille hommes de guerre sans les matelots. Dès qu’ils parurent, le cardinal en envoya donner avis au Roi à Surgères, d’où il vint en diligence reconnoître l’ennemi à La Leu, et fit avertir les volontaires, qui, ne trouvant pas de chevaux à la poste, y allèrent à pied. Quand ils furent arrivés on avoit peine à les retenir, tant ils se jetaient en foule dans les vaisseaux du Roi. Cette armée étoit tout l’effort d’Angleterre ; car le parlement qui tenoit lors avoit accordé six millions de livres pour la dresser, afin de venger les affronts et ignominies que la nation anglaise avoit reçus en l’Ile de Ré, et depuis par la retraite honteuse de leur année au mois de mai. Mais elle arriva trop tard, 1a digue étant parachevée et deux ou trois rangs de machines fermant le canal, outre trente-six vaisseaux de guerre, les palissades flottantes et la petite armée de galères, galiotes, brigantins, barques, traversiers et chaloupes qui défendoient l’avenue, de sorte qu’il n’y avoit nulle apparence que les Anglais y pussent faire aucun effet Mais, afin d’en donner plus de connoissance, il est à propos de particulariser un peu ces choses.
La digue étoit divisée en deux : l’une commençoit au rivage devers Coreille, l’autre au rivage vers Chef-de-Baye, et s’avançoit de côté et d’autre jusques à cent toises, qui étoit ouverte au milieu pour le passage des marées ; elle étoit en telle distance de la ville que le canon n’y pouvoit aller de point en blanc. Et pource que par l’ouverture le secours eût facilement pu entrer, on fit deux forts sur l’un et l’autre rivage où les deux digues commençoient, et deux autres encore aux deux têtes d’icelle, et on munit ces quatre forts de quantité de canons. Et, afin qu’aucun vaisseau du secours n’osât entreprendre d’y passer au hasard du canon, on fit un autre fort au milieu de Iadite ouverture, un peu avancé dans la mer, nommé le fort d’Argencourt. Et pour fermer le passage à quelque petit vaisseau qui eût pu se couler, on y fit d’autres machines qui tenoient toute l’ouverture de la digue et beaucoup davantage, et étoient faites de grandes pièces de bois enfoncées et liées pardessus avec de Ia charpente. On appela ces machines-là chandeliers ; on en fit d’autres encore au-devant dudit fort, de la même étendue que les chandeliers, et liées les unes aux autres avec du bois et du fer. Ces machines furent, du nom de celui qui les fit, appelées du Plessis-Besançon. Bien que Ia mer semblât être par ce moyen surmontée et son passage fermé aux ennemis, de crainte, toutefois, que les ennemis vinssent de nuit à ces machines et les rendissent inutiles, on mit devant Ia première machine vingt-quatre vaisseaux, les deux premiers desquels étoient sur les deux extrémités d’icelle, et tous les autres, l’un après l’autre, aboutissoient en un angle, et au côté desdits vaisseaux dix chaloupes couvertes, cinq de chaque côté pleines de pétards, et au-devant de tout cela toute l’armée navale disposée en bon ordre. Et pour défendre du côté de La Rochelle, le cardinal avoit fait mettre au-devant de l’ouverture de ladite digue, de leur côté, une palissade flottante composée de trente-sept grands vaisseaux de deux à trois cents tonneaux chacun, attachés les uns aux autres avec des câbles par les mâts, avec force canons et gens de guerre dessus, et après cette palissade il y avoit cinquante-neuf navires enfoncés en une ligne droite, répondant a l’ouverture de la digue, qui est ce qu’on appeloit estacade, et un fort de bois en triangle commencé par Pompée-Targon.
Toutes ces choses étant ainsi disposées, il est aisé à juger que le Roi étoit bien assuré contre tous les efforts qu’eussent pu faire les Anglais. Dès qu’on eut nouvelles d’eux, toute l’armée fut disposée pour les recevoir, et les petites galiotes du Roi les alloient provoquer au combat ; mais elles ne les pouvoient attirer : ils ne firent que tirer force canonnades aux vaisseaux de Sa Majesté, lesquels étoient à l’ancre à l’embouchure du canal, et ils leur répondoient de même, sans qu’ils se fissent grand dommage les uns aux autres. Les Anglais envoyèrent quelques pétards flottans sur l’eau, qui jouoient par le moyen de ressorts qui se lâchoient à la rencontre d’un vaisseau ; mais ils furent tous pris sans faire mal. Ils firent aussi quelque mine de mettre pied à terre, mais ils ne l’osèrent exécuter, voyant qu’on se disposoit à les bien recevoir.
Enfin le mardi [3 octobre 1628], sur les quatre heures du matin, ils vinrent avec vent et marée pour attaquer nos vaisseaux qui firent merveilles, et les étonnèrent tellement qu’ils n’en osèrent aborder aucun. Le Roi ne perdit en ce combat que vingt-huit hommes, les Anglais beaucoup davantage ; une de leurs roberges fut démontée, laquelle ils furent contraints d’envoyer raccommoder en l’île de l’Oye, deux de leurs barques perdues et un vaisseau. Cette honte les anima davantage, et les obligea à voir le lendemain s’ils pourroient entreprendre quelque chose qui leur fût plus avantageux ; ils envoyèrent neuf brûlots qu’ils firent suivre de vaisseaux qui venoient cachés à l’obscurité de leurs fumées ; mais nos hirondelles, armées de soldats qui craignoient aussi peu le feu que l’eau, allèrent courageusement au devant et les détournèrent. Cependant la batterie de Chef-de-Baye, en laquelle étoit le Roi, endommageoit de sorte leur flotte, qu’elle se retira et alla mouiller l’ancre vers l’île d’Aix, sans plus oser retourner faire effort. Le Roi, voulant donner avis aux Reines de la retraite des Anglais, fut contraint d’y envoyer un aumônier, n’ayant pu trouver aucun autre qui y voulût aller, pas un ne voulant partir tandis que les Anglais pouvoient encore attenter quelque chose : un chacun étoit ardent de s’y trouver, pour avoir part à la victoire de laquelle ils ne pouvoient douter.
Quand ils furent retirés vers l’Ile d’Aix, ils désirèrent faire une conférence avec quelques capitaines de l’armée navale du Roi, de chaloupe à chaloupe. On y envoya le sieur Treillebois, capitaine de la marine, huguenot, qui avoit été, dès le commencement de Ia descente des Anglais en Ré, remis en l’obéissance du Roi par le cardinal, avec le sieur de L’isle pour l’assister, et lui fut commandé de prendre des matelots basques, afin qu’ils ne pussent entendre ce qu’ils diroient, d’ôter toute espérance à ses patriotes que La Rochelle reçût jamais pardon du Roi par l’entremise des Anglais. Et si on demandoit de le mener à l’amiral anglais, qu’il répondit n’avoir point cette permission-là ; mais que s’ils vouloient envoyer quelqu’un de qualité vers le Roi, ils le proposeraient au commandeur de Valençai, qui en parlerait au cardinal. Cette conférence ne produisit autre chose, sinon que le sieur de Montaigu, Anglais, obtiendroit permission de venir trouver le cardinal pour proposer quelque accommodément, ce qui fut fait [le 14 octobre] ; et après avoir vu le cardinal, il retourna en Angleterre pour savoir la dernière volonté du Roi son maître. Il demanda pardon pour les Rochelois, liberté de conscience et quartier à la garnison anglaise de La Rochelle. On lui dit que les Rochelois étoient sujets du Roi, qui savoit bien ce qu’il avoit à faire avec eux, et que le Roi d’Angleterre ne s’en devoit mêler. Quant aux Anglais, on leur feroit le même traitement que recevroient les Français qu’ils tenoient prisonniers. Cependant on prenoit tous les jours force espions qui passoient les vignes, et furent tous pendus. Enfin l’extrémité des Rochelois étant en son dernier point, n’ayant plus d’herbe à manger sur leurs contrescarpes, de cuirs de boeuf ni de cheval, de courroies, de bottes, de souliers, de ceintures, de pendants d’épée, de pochettes dont ils faisoient des gelées avec de la cassonade et des bouillies sucrées qu’ils mangeoient pour se nourrir, et les plus riches d’entre eux à qui, à la venue des Anglais, il restoit encore quelque provision, sur l’espérance de l’effet de leur venue , la leur ayant vendue à haut prix, et se trouvant lors en égale nécessité que les autres, ils se résolurent d’envoyer tous demander miséricorde , et supplier le cardinal de faire agréer au Roi qu’ils lui envoyassent des députés pour se remettre à sa merci : ce qui leur ayant été accordé, ils les y envoyèrent le 27 octobre. Le jour de devant étoient arrivés aussi ceux des Rochelois qui étoient dans l’armée anglaise, sans qu’ils sussent rien les uns des autres. Le cardinal, pendant la conférence de ceux de La Rochelle avec lui, leur dit que leurs confrères qui étoient en l’armée anglaise avoient déjà obtenu grâce. Comme ils ne le vouloient pas croire, il leur fit venir Vincent et Gobert ; ils s’embrassèrent avec larmes, n’osant parler d’affaires, pource qu’il leur avoit été défendu sur peine de la vie. Ce fait, ils s’en retournèrent en la ville, le cardinal leur ayant promis de faire, envers le Roi, en leur faveur tout ce qu’il pourrait.
L’audace qui accompagne toujours la rébellion étoit si profondément empreinte en l’esprit de ces misérables, que, quoiqu’ils ne fussent plus qu’ombres d’hommes vivans, et qu’il ne leur restât plus de vie qu’en la clémence du Roi dont ils étoient indignes, ils osèrent néanmoins bien encore proposer au cardinal qu’ils vouloient faire un traité général pour tous ceux de leur parti, et avoir la continuation de tous leurs anciens privilèges, franchises et immunités, fors ceux qui pouvoient donner ombrage de nouveaux troubles ; que madame de Rohan fût comprise au traité ; qu’elle fût remise en ses biens ; M. de Soubise, comme les ayant particulièrement assistés , y fut compris aussi ; qu’ils pussent donner part de ce qu’ils faisoient aux Anglais ; qu’ils ne missent aucune chose dans le traité qui donnât lieu au rasement de la ville, ni au changement de leur gouvernement ; que ce traité fût appelé traité de paix, et non pas un pardon et une grâce ; que le maire fût maintenu ; que les gens de guerre sortissent tambour battant, la mèche allumée. Le cardinal se moqua de leur impudence, leur dit qu’ils ne devoient rien espérer que simplement le pardon, lequel encore ne méritoient-ils pas. D’un côté il savoit bien que dans dix ou douze jours on les aurait la corde au cou ; mais d’autre côté il considérait qu’il falloit se hâter, pour éviter plusieurs inconvéniens, et pour que Montaigu trouvât la.paix faite, que l’armée navale la vit faire sans son consentement, à sa vue, ce qui rendrait le reste des affaires du Roi plus facile, soit au regard de l’Angleterre, soit d’Espagne, soit au dedans du royaume.
Le 28 [octobre 1628], le traité, ou plutôt la grâce fut signée, par laquelle le Roi donnoit la vie et les biens à ceux des habitans de la ville qui lors y étoient, et l’exercice de la religion prétendue réformée en La Rochelle. Le 29, ils envoyèrent douze députés au Roi, lesquels le maréchal de Bassompierre à cheval, lui et toute sa suite, mena à pied au logis de Sa Majesté, où le cardinal les reçut et les présenta à Sadite Majesté, à laquelle ayant avoué leurs crimes et leurs fréquentes rechutes en la rébellion, et protesté en avoir regret et horreur, ils demandèrent miséricorde ; témoignant ne la pas mériter, et ne l’oser espérer qu’en considération de leur véritable repentance, protestant une fidélité entière à l’avenir, et suppliant le Roi qu’il se souvint qu’autrefois ils avoient rendu quelques services au Roi son père. Sa Majesté leur répondit qu’il prioit Dieu que ce fût de cœur qu’ils lui portassent honneur , et non pas par la nécessité où ils étoient ; qu’il savoit bien qu’ils avoient toujours été malicieux, et qu’ils avoient fait tout ce qui leur avoit été possible pour secouer le joug de son obéissance ; qu’il leur pardonnoit leurs rébellions, et que s’ils lui étoient fidèles sujets il leur seroit bon prince, et si leurs actions étoient conformes aux protestations qu’ils lui faisoient, il leur tiendroit ce qu’il leur avoit promis. Le 30, on envoya des gens de guerre se saisir du fort de Tadon, et d’autres à La Rochelle pour se saisir des portes, des tours, des places de la ville, et de leurs canons et munitions, et faire sortir leurs gens de guerre, qui ne se trouvèrent de Français que soixante-quatre, et d’Anglais que quatre-vingt-dix, tout le reste étant mort de misère. Le cardinal y entra aussi, où le maire s’étant présenté avec six archers pour le saluer, il lui fit commandement de congédier ses archers, et défense de se plus qualifier maire, sur peine de la vie.
On trouva la ville toute pleine de morts, dans les chambres, dans les maisons, et dans les rues et places publiques, la foiblesse de ceux qui restoient étant venue à tel point, et le nombre de ceux qui mouroient étant si grand, qu’ils ne se pouvoient enterrer les uns les autres, et laissoient leurs morts gisant où ils avoient expiré, sans que pour cela l’infection en fût grande dans la ville , pource qu’ils étoient si atténués de jeûnes, qu’étant morts ils achevoient plutôt de se dessécher qu’ils ne pourrissoient.
Le premier novembre [1628] au matin, le cardinal y dit la sainte messe en l’église de Sainte-Marguerite, ou sont les pères de l’Oratoire, et après midi le Roi y fit son entrée, armé et à cheval, après y avoir auparavant fait entrer toutes sortes de vivres. En quoi est à remarquer la grande clémence du Roi, qui ne se contenta pas de leur donner la vie par sa grâce, mais encore, par sa charité, leur envoya du pain en suffisance pour les nourrir dans l’extrême nécessité où ils étoient, sans quoi Ia plupart de ceux qui étoient restés en cette ville-là fussent morts de faim deux jours après. Le cardinal conseilla au Roi d’envoyer le maire hors de la ville, à cause de la grande inhumanité dont il avoit usé envers ses citoyens, ayant mieux aimé les laisser misérablement périr de faim que d’avoir recours à la clémence du Roi pour mettre fin à leurs misères ; d’envoyer à Niort madame de Rohan la douairière, comme étant indigne que Sa Majesté la vit, pour avoir été le flambeau qui avoit consumé ce peuple ; et de renvoyer dans les vaisseaux anglais les députés des Rochelois qui étoient en ladite armée, afin qu’ils dissent des nouvelles de ce qu’ils avoient vu. Sa Majesté aussi, après cela, commanda qu’on fit démolir les fortifications et les murailles de cette ville si insigne en sa rébellion. Le méchant naturel de ses habitans, nés et nourris dans l’anarchie, et le châtiment exemplaire que le service de l’Etat requérait qui fût pris d’eux, y sembla obliger Sa Majesté, qui fit ensuite raser la citadelle de Saintes et les châteaux de Saint-Maixent, Chinon, Loudun, Mirebeau, et les nouvelles fortifications des tours qui n’étoient plus nécessaires, et principalement la citadelle de Saint-Martin-en-Ré, qui étoit la plus belle fortification qui fût en France, et beaucoup plus forte que La Rochelle, et située en lieu bien plus dangereux et plus important, et la meilleure rade de toutes les côtes de France, où étant détachée de la terre ferme, elle se pouvoit dire comme imprenable, et celui qui en seroit gouverneur ne dépendroit pas davantage de la France que de l’Espagne ou de l’Angleterre ; de sorte que de la conserver ayant pris La Rochelle, n’eût été faire autre chose que remédier aux maux qui avoient pris naissance sous les Rois prédécesseurs de Sa Majesté, et laisser un levain pour d’autres à ses successeurs, auxquels ils ne pourraient apporter remède. Joint que pour conserver ladite place, de la grandeur dont elle étoit, il falloit au moins deux mille hommes, ce qui eût été une dépense insupportable pour conserver une île, laquelle s’étoit toujours maintenue sans garnison, et se pouvoit garder avec cent hommes ; outre que les droits de Sa Majesté n’avoient pu être établis jusqu’alors dans cette île ; ce qui étoit de plus d’importance qu’on ne pouvoit penser. Sa Majesté fit néanmoins conserver le petit fort de La Prée, afin d’avoir toujours une porte assurée pour faire, quand elle voudrait, descendre des troupes dans l’Ile de Ré, si des ennemis y étoient entrés. Toiras s’y opposa tant qu’il put ; mais les raisons qui furent mises en avant pour montrer qu’on la devoit raser étoient si évidentes, qu’il n’osa pas insister à y contredire : le Roi lui donna 100,000 écus de récompense. On eût pu accourcir le temps de la prise de cette ville [La Rochelle] si on leur eût coupé leurs eaux, ce qui étoit aisé ; si on eût fait un dégât fort exact des blés, légumes et vivres que les assiégés recueillirent sur le bord de leur contrescarpe, ce qui pouvoit être empêché, et fit subsister deux mois cette malheureuse ville par sa propre confession ; si on eût commencé plus tôt à traiter avec rigueur ceux qui entroient ou sortoient de la ville, étant certain que l’exemple et le châtiment eussent arrêté ces misérables, qui, ne pouvant plus se sauver, et pâtissant tous dans la ville, eussent porté le gros à se rendre plus promptement ; et si, au retour du Roi, qui fut en avril, on l’eût attaquée par force, cette ville étant destituée de gens de guerre, pleine seulement d’habitans peu accoutumés aux fatigues, et incapables de supporter celle d’une garde extraordinaire avec la misère de la faim. On s’étonnera peut-être que le cardinal, ayant le crédit qu’il avoit auprès du Roi, puisque ces choses pouvoient avancer le siège, ne les lui ait proposées et fait résoudre : à quoi il n’y a rien à répondre, sinon qu’il est fâcheux en un conseil d’emporter par autorité ce qu’on devrait céder à la raison, et se rendre garant d’un événement au mauvais succès duquel tout le monde contribue d’autant plus volontiers, que le conseil a été pris contre leur jugement. Voilà les fautes qui arrivèrent depuis que le Roi fut venu en personne au siège ; mais, auparavant, deux principales avoient été commises, bien plus notables que toutes les autres. Le duc d’Angoulême, que le Roi envoya, dès le commencement de sa maladie, pour s’opposer aux descentes que pourroient faire les Anglais, et favoriser le secours de Ré, ne fut pas plutôt arrivé, en juillet, devant La Rochelle, qu’on lui fit plusieurs dépêches pour empêcher que les Rochelois ne serrassent tous les blés qu’ils avoient dans leurs fermes et maisons des champs. Mais ce commandement, pour être réitéré plusieurs fois, n’en fut pas mieux exécuté, tous les habitans de la ville ayant serré leurs grains à leur aise, et un seul n’ayant reçu traverse en ce dessein, ce qui allongea le siège de plus de trois mois. L’autre fut d’avoir laissé fortifier Tadon, et n’en avoir pas pris l’éminence pour y faire un fort, au lieu de le faire à Coreille où il étoit inutile, étant certain que si on eût pris ce poste on eût pu ruiner les tours et l’entrée du port, qu’il commande tout-à-fait, battre la ville en ruine ; et au cas qu’on eût voulu attaquer la place de force, il étoit fort aisé, en conduisant une attaque à la porte Saint-Nicolas qui est tout contre, et qui ne pouvoit faire aucune défense, supposé que Tadon fût pris. Pompée-Targon fut la principale cause de cette faute, préférant, par imaginations, le poste de Coreille inutile à celui-là, dont les ennemis connoissoient si bien l’importance qu’ils le fortifièrent, reconnoissant que de là dépendoit leur salut ou leur perte.
Mais, en quelque temps que Dieu en ait donné la victoire au Roi, elle apporta un découragement universel à ses ennemis, comme au contraire une grande espérance à ses alliés … »