Les carburants sont-ils aussi chers que l’on pense ? - Par Philippe Charlez


La précarité énergétique n’est en rien liée aux prix de l’énergie mais à l’arbitrage du budget des ménages en faveur d’autres postes comme l’alimentation, et surtout le logement dont les prix ont largement excédé l’inflation.

Depuis début août, la hausse du prix des carburants revient régulièrement en boucle dans les médias et sur les réseaux sociaux, un carburant jugé toujours plus cher, avec notamment la barre symbolique des deux euros dépassée.

Pourtant, depuis janvier 2023, la hausse du SP95 n’est que de 4 %, et de seulement 1 % par rapport à avril.

En revanche, on observe d’importantes variations au sein des différents facteurs contribuant au prix du baril.

Rappelons que le prix du litre d’essence se décompose en quatre parties distinctes :
  1. Cours du baril
  2. Marge de raffinage (différence entre la valeur du produit raffiné et celle du baril de pétrole)
  3. Marge de distribution (incluant le transport vers le site de distribution)
  4. Taxes (TICPE fixe de 69 centimes pour le SP95, et 20 % de TVA sur la somme HT + TICPE)
Par ailleurs, le baril de pétrole étant coté en dollar, le prix en euro dépend aussi implicitement du change euro/dollar. Depuis le début de l’année, ce dernier n’a que peu varié, et son taux actuel (1,07) est plutôt favorable par rapport à 2022 (<1).

Depuis début 2023, le prix du baril s’est renchéri de 4 %.

Cette hausse est liée à des tensions sur les marchés pétroliers : forte demande du Sud-Est asiatique et baisse de l’offre imposée par les pays de l’OPEP pour maintenir des prix hauts. L’accroissement du prix du baril ne justifie toutefois que deux centimes supplémentaires sur le prix du litre d’essence.

En revanche, la marge de raffinage (+35 %) a explosé au cours de ces derniers mois, avec une augmentation de 35 % justifiant un incrément de 5 centimes sur le prix du litre de SP85. Ceci est dû à de très fortes tensions sur le marché des produits raffinés, dont une partie significative était importée de Russie avant le conflit russo-ukrainien. Les raffineries européennes ne pouvant à elles seules satisfaire la demande de produits raffinés (SP95 mais aussi diesel), l’Europe est obligée d’importer ces produits du Moyen-Orient, mais aussi de l’Inde.

En revanche, alors qu’au début de l’année, les marges de distribution étaient anormalement élevées (0,27 centime en avril), au cours de ces derniers mois, et pour des raisons commerciales, les distributeurs les ont réduites en moyenne de 5 centimes.

En conséquence si, depuis janvier, le prix HT a augmenté de 7 %, le prix du litre à la pompe TTC n’a finalement pris que 4 %, passant en moyenne de 1,88 euro à 1,96 euro. Compte tenu de l’engagement de TotalEnergies de maintenir sous les deux euros le prix de l’ensemble des carburants (SP95, SP98 et diésel), on ne devrait pas assister à de nouvelles augmentations au cours des quatre prochains mois.

Cette analyse montre que sur une année, les prix des carburants ont moins augmenté que l’inflation (+4,8 % en un an), et bien moins que les produits alimentaires (+11 % sur un an).

Cette observation est d’ailleurs confirmée par l’histoire.

Entre 1960 et 2020, alors que le SMIC a été multiplié par 40 et le prix du pain par 20, le prix moyen des carburants a été multiplié par 10, soit moins que l’inflation globale. Et pourtant, la perception de la population est tout autre.

Contrairement aux autres matières premières (acier, cuivre, blé…) diluées sous forme manufacturée dans les biens et les services, l’essence est en prise directe sous sa forme (quasi) brute avec les consommateurs. Cette prise directe confère aux produits pétroliers un caractère d’instantanéité : contrairement aux prix des produits manufacturés, les prix à la pompe varient au jour le jour. De cette prise directe et de cette instantanéité résultent des réactions émotionnelles où le ressenti l’emporte sur la réalité.

Dans les faits, la précarité énergétique des plus modestes s’est donc largement réduite au cours des trente dernières années.

Pourtant, dans les faits de nombreux ménages rechignent à s’éclairer, à se chauffer ou à prendre des douches. La précarité énergétique n’est en rien liée aux prix de l’énergie, mais à l’arbitrage du budget des ménages en faveur d’autres postes comme l’alimentation, et surtout le logement dont les prix ont largement excédé l’inflation.

En filigrane des prix trompeurs de l’énergie, l’amélioration du pouvoir d’achat demande d’aller bien au-delà d’un poste énergétique représentant finalement moins de 10 % du budget des ménages. Une stratégie à l’opposé de celle du gouvernement dont le package pouvoir d’achat (plus de 50 milliards d’euros) a reposé à 80 % sur des aides énergétiques.

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