11 octobre 1443 : la Justice royale à Toulouse

"Le parlement jugea en dernier ressort de presque toutes les affaires du royaume" 

Montesquieu Esp. XXVIII, 39

D'inspiration franque, issu de la Curia Regis accompagnant les monarques de France depuis les premiers Capétiens, le Parlement de Paris fut un organe judiciaire puissant qui s'est peu à peu substitué au pouvoir de justice royal.
Treize autres Parlements furent d'ailleurs créés en droite ligne du précédent pour la Province mais celui de Paris restera le plus emblématique de tous, lieu d'affrontement et de résistance notables contre le pouvoir absolu du souverain.

Les plus lointaines résurgences des Parlements remontent aux descendants de Clovis sous les ères mérovingiennes et carolingiennes. A ces époques, se réunissaient respectivement les assemblées dites du "Champ de Mars" et du "Champ de Mai" où se cotoyaient les grandes figures militaires, politiques et judiciaires du royaume, membres de la célèbre Curia Regis (cour du roi) entourant constamment le chef.

En ce sens, le terme de parlement, du latin "Parlamentum", définissait ces réunions où se discutaient les grandes affaires, souvent militaires, du pays franc. Le Parlement fut donc à l'origine plus un corps guerrier (et forcément aristocratique) qu'un corps judiciaire. Mais des hommes de droit ont commencé à faire peu à peu leur apparition au côté des nobles pour finalement constituer la base principale de l'institution.

Cette prise de pouvoir des légistes issus de la Curia Regis poursuivait une logique implacable de défense des intérêts des villes et petites bourgades, en général fidèles au roi, contre les grands seigneurs défiant l'autorité de ce dernier. Le but final étant évidemment de renforcer considérablement le pouvoir du Roi de France pour en faire sans aucune contestation possible le premier personnage du royaume. Machiavel dira à ce sujet dans ses écrits que le Parlement représenta un "tiers juge qui, sans que le roi en eût la responsabilité, abattit les grands et vint en aide aux petits".

A partir du 12ème siècle le pouvoir que les comtes de Toulouse détiennent sur la ville qui est leur capitale diminue (rappelons que leur territoire va de la Garonne au Rhône).

En 1147, des notables toulousains parviennent à obtenir l’accord du comte Alphonse Jourdain pour la création d’un consulat, dont les consuls furent vite appelés capitouls, chargé de l’administration de la ville.

En 1188 les capitouls arrachent encore aux comtes des prérogatives et notamment leur autonomie, et voilà la ville transformée en République !

Au 13ème siècle la croisade contre les cathares met fin à cette relative indépendance. Le pouvoir royal récupère le territoire des comtes et crée la province de Languedoc. Les nouveaux comtes de Toulouse n’ont alors plus de lien avec l’ancienne lignée éteinte, ils sont désormais parisiens et leur titre est surtout honorifique, ils n’influeront plus sur la vie de la cité.

Il y avait longtemps que l'on réclamait un parlement pour les pays de Languedoc. Les dernières phases de la guerre de Cent ans et la réorganisation du royaume par Charles VII allaient permettre son installation. L'action des états de Languedoc a été déterminante. Charles n'était encore que régent lorsque, présidant les états tenus à Carcassonne en mars 1420, il institua un parlement pour le Languedoc et le Duché de Guyenne deçà la Dordogne. La cour siège très irrégulièrement à Toulouse, à Béziers. Mais cette première expérience est éphémère ; elle est interrompue le 7 octobre 1428.
Dès 1430, les états interviennent auprès du Roi pour le rétablissement de la cour ; leur action est inlassable, ils invoquent constamment que "ou pays de Languedoc doit avoir un Parlement". Ils finissent par obtenir satisfaction ; le 11 octobre 1443, Charles VII, par un édit signé à Saumur, restitue à Toulouse son parlement. Il est solennellement installé le 4 juin 1444, en présence de celui qui allait devenir son premier président, Aynard de Bletterens, mais aussi des délégués envoyés par le Roi, Tanneguy Du Châtel, lieutenant général en Languedoc, Pierre Dumoulin, archevêque de Toulouse, Jean d'Etampes, maître des requêtes de l'hôtel du roi, et Jacques Coeur, son argentier. Mais l'entrée solennelle du parlement de Toulouse n'eut lieu qu'en novembre 1444.

Les raisons de la création du parlement à Toulouse sont bien connues. On invoquait constamment les spécificités du droit méridional, l'éloignement du parlement de Paris auquel il fallait recourir, la longueur des procès et leur coût. Les états insistaient également sur les dangers qu'il y avait à se rendre à Paris, ou à Poitiers. D'autres arguments positifs étaient également mis en avant, notamment l'existence à Toulouse depuis le XIIIe siècle d'une illustre faculté de droit, qui pouvait largement pourvoir au personnel judiciaire. Les circonstances ont, peut-être plus encore que les raisons, servi la cause des Toulousains. En ce milieu du XVe siècle, au moment où s'achève la reconquête du royaume, le Roi inaugure une grande politique de réformation : l'armée, les finances, l'église, le droit, la justice vont être réorganisés. La création du parlement de Toulouse s'inscrit parfaitement dans cette politique. Ajoutons qu'il ne déplaît pas à Charles VII de remercier la fidélité que les méridionaux lui ont toujours gardée et d'infliger par là même une espèce de sanction au parlement de Paris.

Ainsi, le deuxième parlement de France étend son influence sur un ressort immense, du Rhône à l'Atlantique, des Pyrénées au Massif Central. En 1462, avec la création du parlement de Bordeaux, il se verra amputé d'une partie de la Guyenne et de la Gascogne, des Landes, de l'Agenais, du Béarn et du Périgord. L'étendue reste cependant considérable.

Dès les premières années, les affaires affluent en grand nombre. Arrivent en appel les affaires civiles, criminelles et ecclésiastiques. Mais son autorité s'étend bien au delà des questions judiciaires. Le parlement se reconnaît, dans l'étendue de son ressort, compétence pour s'occuper de tout. La lecture des registres d'arrêts parfaitement conservés depuis l'origine, montre la diversité de ses activités. Rien ne paraît lui échapper, au point que bien plus qu'une simple étude judiciaire, c'est toute la vie de la province qui apparaît tout au long des décisions, qu'il s'agisse des questions économiques, politique ou administratives. Le parlement contrôle l'administration municipale, défend l'intégrité du domaine royal, surveille l'administration universitaire. Pendant plus d'un siècle, celui de son installation, le parlement de Toulouse est véritablement l'un des éléments de la réforme administrative du royaume, à l'heure où les nouveaux pouvoirs s'installent et sont dans les provinces les premiers instruments de la centralisation monarchique.


« […] Pièce maîtresse du nouveau palais de justice, la salle des pas perdus s’avère très symbolique.

Marquée d’une certaine solennité, elle exprime tout à la fois la transparence de l’institution judiciaire, ouverte sur la Cité, et l’ancrage du projet dans l’histoire de la ville de Toulouse. […] Englobant les contreforts du XV° siècle de la Grand’Chambre avec ses cinq grandes fenêtres à ogives, cette salle monumentale constitue un extraordinaire trait d’union entre l’ancien Parlement et le Palais de justice du XXI° siècle. Le béton, l’acier et le verre répondent harmonieusement à la brique toulousaine et aux enduits colorés des bâtiments anciens.

Le visiteur qui pénètre dans le palais de justice ne peut qu’être saisi par la luminosité de cet espace, d’ordre, de calme et de sérénité, point de rencontre apaisé des conflits et du tumulte extérieur. […] S’il doit exister un rapport étroit entre l’exercice d’une des principales fonctions régaliennes relevant de la puissance publique et le lieu de son exercice, l’architecture du nouveau palais doit être montrée en exemple.

La Justice a évolué, son architecture en a fait de même, quelques fois avec beaucoup moins de bonheur qu’à Toulouse. A ses fonctions traditionnelles se sont ajoutées de multiples et nouvelles missions d’assistance, d’éducation, d’accueil.

Par souci de rationalité, les bâtiments judiciaires n’auraient-ils pas quelques fois perdu de leur grandeur d’antan… ?

L’architecture du Palais de Justice de Toulouse parvient à exprimer tout à la fois la transparence de la Justice de la République, son accessibilité à tous les justiciables, l’ouverture sur la Cité, et la majesté dont elle n’est pas dépourvue, traduit la prééminence du droit dans une société qui en réclame sans cesse davantage. Enraciné dans un lointain passé, ouvert sur la justice de demain, le nouveau palais rappelle ainsi que depuis plus de 1000 ans la justice continue à être rendue, à Toulouse, en ces mêmes lieux. […] »