13 octobre 1307 : Les Templiers sont arrêtés et torturés
« Une chose amère, une chose lamentable, une chose assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, un forfait exécrable, un acte abominable, une infamie détestable, une chose tout à fait inhumaine, bien plus, étrangère à toute humanité, a, grâce au rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles. […] Les frères de l'ordre de la chevalerie du Temple, cachant le loup sous l'apparence de l'agneau et, sous l'habit de l'ordre, insultant misérablement la religion de notre foi, ils s'obligent, par le vœu de leur profession et sans crainte d'offenser la loi humaine, à se livrer l'un à l'autre, sans refuser, dès qu'ils en seront requis. […] Attendu que la vérité ne peut être pleinement découverte autrement, qu'un soupçon véhément s'est étendu à tous, […] nous avons décidé que tous les membres dudit ordre de notre royaume seraient arrêtés, sans exception aucune, retenus prisonniers et réservés au jugement de l'Église, et que tous leurs biens, meubles et immeubles seraient saisis, mis sous notre main et fidèlement conservés. »
Ordre d'arrestation des « frères de l’ordre de la chevalerie du Temple »
précisant les charges qui pèsent contre les Templiers.
En ce début de XIVème siècle, le royaume de France, sous le règne de Philippe IV le Bel, est à l’apogée de sa puissance médiévale. Avec plus de treize millions d'habitants, il est l'État le plus peuplé de la Chrétienté. Le pouvoir royal accomplit de nombreux progrès, les traditions féodales font place à une administration moderne.
Pour autant, des tensions politiques sont palpables entre le roi et la papauté. Boniface VIII, ayant affirmé la supériorité du pouvoir pontifical sur le pouvoir temporel des rois (bulle pontificale Unam Sanctam de 1302), a été quelque peu « secoué » par les représentants du roi lors de l’attentat d’Anagni. Mort le 11 octobre 1303, son successeur, Benoit XI le suit dans la tombe le 7 juillet 1304. Elu le 5 juin 1305, Clément V se révèlera plus conciliant.
Ensuite, militairement, les croisés ont perdu Acre le 28 mai 1291, à la suite d’un siège sanglant. Les chrétiens sont alors obligés de quitter la Terre sainte. La question de l'utilité de l'ordre du Temple se pose car il a été créé à l'origine pour défendre les pèlerins allant à Jérusalem sur le tombeau du Christ. La maîtrise de l'ordre du Temple est déplacée à Chypre. Les Templiers représentent une force militaire d'importance et entièrement dévouée au pape, équivalente à quinze mille hommes dont mille cinq cents chevaliers entraînés au combat. D’autre part, ils possèdent d'importantes richesses, augmentées par les redevances (droits d'octroi, de péage, de douane, banalités, etc.) et les bénéfices issus du travail de leurs commanderies (bétail, agriculture…).
Enfin, le royaume de France doit faire face à des difficultés financières. Philippe IV le Bel dévalue la monnaie, augmente les taxes et impôts, et va même jusqu'à spolier les biens des marchands lombards et des juifs. La hausse des loyers entraîne, fin 1306, une révolte à Paris. Les tensions sociales sont tendues. L’exécution par pendaison de 28 meneurs n’arrange rien.
Philippe le Bel mettrait bien un terme à cette puissance chevalière. Mais il manque de preuves pour ouvrir un procès. Mais c’était sans compter sur le zèle de Guillaume de Nogaret. Celui-ci trouve en Esquieu de Floyran, l’outil nécessaire à satisfaire la volonté du roi.
Prieur de Montfaucon, emprisonné pour meurtre, Esquieu de Floyran aurait reçu la confession d’un ancien templier condamné à mort, alors qu’il partageait la même cellule. Il aurait avoué les pratiques de ses coreligionnaires : reniement du Christ, pratiques obscènes des rites d'entrée dans l'ordre, sodomie. Dans un premier temps, Esquieu de Floyran cherche à vendre ses rumeurs à Jacques II d’Aragon. Il trouvera auprès de Philippe le Bel une oreille plus attentive. Nogaret paiera le prieur de Montfaucon pour qu’il diffuse dans la population la rumeur des pratiques des Templiers : reniement du Christ et crachat sur la croix, relations charnelles entre frères, baisers obscènes exercés par les chevaliers du Temple.
Le maître du Temple, Jacques de Molay, réclame une enquête au pape Clément V. L’enquête est acceptée le 24 août 1307. Mais le roi n’attend pas les résultats de l’enquête et, par un mandement du 14 septembre 1307, les sénéchaux et baillis, reçoivent ordre de procéder à la saisie de tous les biens mobiliers et immobiliers des templiers ainsi qu'à leur arrestation massive en France au cours d'une même journée, le vendredi 13 octobre 1307. La décision de l’arrestation est prise en violation du droit canonique et des prérogatives du pape, supérieur hiérarchique de l’ordre. Clément V est tenu à l’écart de la décision. Philippe le Bel fera reposer la légitimité de sa décision sur le simple aval de Guillaume Humbert, son confesseur et grand inquisiteur de France.
Le secret exigé par le roi semble avoir bien été gardé. La veille de l’arrestation, Jacques de Molay assiste, à une place d'honneur, aux funérailles de Catherine de Courtenay, épouse de Charles de Valois, le propre frère du roi. Les admissions dans l'ordre n'ont pas cessé au cours du mois précédent. Au matin du vendredi 13 octobre 1307, des hommes d’armes, menés par Guillaume de Nogaret, pénètrent dans l’enceinte du Temple, à Paris. La même scène est reproduite au même moment dans toutes les commanderies de France. À la vue de l'ordonnance royale qui justifie cette rafle, les templiers se laissent emmener sans aucune résistance. Le 27 octobre, le pape Clément V fait savoir par écrit son indignation et reproche le mépris dont le roi a fait preuve en agissant ainsi.
Mais dès le 19 octobre, des interrogatoires d’une exceptionnelle brutalité commence, menées par l’Inquisition. Affaiblissement physique (nourriture limitée à du pain et de l'eau), affaiblissement psychologique, tortures, les inquisiteurs ne reculent devant rien. Brûlures de la plante des pieds, on note également l'emploi du chevalet qui consiste à écarteler lentement le supplicié et de l'estrapade qui provoque une dislocation des épaules accompagnée d'une intense douleur.
La brutalité employée dans les interrogatoires conduit logiquement à l’aveu. Des cent-trente-huit prisonniers interrogés à Paris, seuls quatre n'avouent rien : Jean de Châteauvillars, Henri de Hercigny, Jean de Paris et Lambert de Toucy. Guillaume Humbert prend lui-même en charge l'interrogatoire à Paris de Geoffroy de Charnay et Jacques de Molay. Le premier se confesse le 21 octobre et le second le 24.
Puis viennent les confessions des autres dignitaires de l'ordre : Hugues de Pairaud, maître de province de l'ordre du Temple en France, se confesse le 9 novembre; celle Raimbaud de Caron, maître de province de Chypre, est déclarée le matin du 10; enfin celle du maître de province d'Aquitaine et de Poitou, Geoffroy de Gonneville le 15 novembre 1307.
Tous laissent à penser que le procès va pouvoir être clos rapidement. Trois ans plus tard, l'affaire n'est toujours pas réglée…
Les Templiers (réédition): Une chevalerie chrétienne au Moyen Âge
de Alain Demurger (Auteur)Éditeur : POINTS (9 octobre 2014)
Langue : Français
Poche : 720 pages
ISBN-10 : 2757844415
ISBN-13 : 978-2757844410
Dimensions : 10.9 x 4.9 x 17.8 cm
Les Templiers
de Renaud Thomazo (Auteur)Éditeur : Larousse (11 février 2015)
Langue : Français
Relié : 96 pages
ISBN-10 : 2035909090
ISBN-13 : 978-2035909091
Poids de l'article : 340 g
Dimensions : 15.5 x 1.5 x 21.5 cm